Qotb Héba

De Didaquest
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  • | 1967 : Naissance au Caire.
  • | 1991 : Diplôme en médecine, Université du Caire.
  • | 1997 : Magistère en médecine légale, Université du Caire.
  • | 2000 : Doctorat en médecine légale, Université du Caire.
  • | 2003 : Doctorat en sexologie, Université de Floride (Etats-Unis).

Héba Qotb est l’une des pionnières de la sexologie en Egypte, à qui incombe le rôle de briser le tabou des relations intimes. Rebelle et réservée, elle concilie habilement les antagonismes.


La thérapeute du logis « Je n’aime pas les eaux stagnantes et je suis fascinée par les flots. Puisque nous sommes arrivés sur terre, il ne faut pas rester les bras croisés et attendre qu’un changement tombe du ciel ». Héba Qotb résume ainsi sa manière de voir les choses. La jeune lycéenne qui refusait autrefois que les garçons fassent la loi dans la cour de son école, est devenue l’une des premières sexologues féminins en Egypte. Détentrice à 37 ans d’un magistère et de deux doctorats, son style vestimentaire classique et assez élégant reflète le sérieux de son caractère. Ses yeux pétillent chaque fois que l’on évoque son travail, lequel constitue pour elle l’objectif d’une vie. Car c’est l’une des rares femmes ayant pris la responsabilité de briser le tabou sexuel qui prévaut en Egypte. Elle collabore d’ailleurs avec d’autres afin de divulguer une culture sexuelle et corriger certaines notions faussées. « Il est temps d’aborder cette question longuement gardée sous silence. Elle constituait une zone d’ombre que nul n’osait approcher, bien qu’elle soit vitale », dit Héba Qotb. Son téléphone portable ne cesse de sonner, les demandes de consultations affluent. Par courrier électronique, elle reçoit chaque jour des centaines d’appels au secours.


Ses articles dans les magazines hebdomadaires Al-Ahram Al-Arabi et Koll Al-Nass sont très attendus. Elle entre également en contact direct avec les jeunes à travers le premier magazine électronique du genre, Boss we toll (Jette un coup d’oil), afin de fournir une pure information scientifique. Ce, sans oublier les tournées effectuées dans nombre de pays arabes, lui attribuant une renommée régionale.


En préparant une thèse de doctorat en médecine légale, Héba Qotb a dû examiner de près les affaires de viols et s’est alors rendu compte du vide énorme qui caractérise les études sur la sexualité. Pour avoir plus de détails sur la vie intime des Egyptiens, cette jeune femme voilée a eu recours à des références islamiques et médicales très diversifiées. Des lectures sur la charia (loi islamique) ont été inévitables pour mieux connaître les droits des deux sexes dans la relation intime. Surprise ! Elle découvre que ses connaissances sur la vie sexuelle sont très modestes. Beaucoup d’informations lui manquaient. La tradition joue en effet le beau rôle dans la déformation des connaissances en la matière. « Certaines coutumes nocives, notamment l’excision, provoquent la frigidité des femmes. Pourtant, le droit de la femme à la jouissance sexuelle est garanti par la charia alors que la tradition ne fait d’elle qu’un objet de satisfaction pour son partenaire. Par exemple, les gouttes de sang, signe du dépucelage pour les Orientaux, n’est pas la seule preuve de l’honneur de la fille. Parfois, avec un hymen élastique, la jeune mariée est injustement condamnée par son entourage », précise la sexologue, soulignant les méfaits des préjugés sur la vie du couple. « Les parents insistent parfois à intervenir dans les moindres détails de la nuit de noces. De quoi engendrer une ambiance électrique et rendre le premier rapport difficile ». Et d’ajouter : « Je me suis posé la question : comment puis-je être médecin alors que j’ignore beaucoup de choses là-dessus ? ».

La quête commence alors. Il fallait trouver une université acceptant qu’elle suive ses études dans ce domaine par correspondance, car en tant que mère de trois filles et enseignante à la faculté de médecine de l’Université du Caire, elle ne pouvait se rendre à l’étranger. Seules sept universités octroyaient ce degré. Et Héba Qotb choisit l’Université de Floride, où elle travaille actuellement en tant que consultante en thérapie sexuelle et éducation. Elle est en outre membre de l’Académie américaine, Clinical Sexologists.

Aujourd’hui, la clinique de Héba Qotb fait office d’une sorte de Mecque. Nombreux sont ceux qui viennent demander son aide, en toute discrétion. Ils viennent remédier à un problème déjà existant ou améliorer leurs performances pour éviter les infidélités conjugales. « J’organise quatre stages pour enseigner l’harmonie sexuelle. Le premier à l’attention des personnes qui s’apprêtent à se marier, visant à leur donner une idée générale sur le sexe. Le deuxième s’adresse aux adolescents afin de leur donner les bonnes informations. Le troisième concerne les femmes mariées depuis longtemps et qui souffrent de monotonie dans la relation intime. Et enfin, un quatrième stage vise à former des spécialistes chargés de répondre aux interrogations des gens via des numéros gratuits ».


Mais devenir sexologue dans une société égyptienne très conservatrice n’est pas chose facile. Les gens n’ont pas l’habitude de recourir à ce genre de service connu en Occident depuis plus de 50 ans. Plusieurs hésitent à consulter un spécialiste et s’ils le font, ils réclament de le faire sous le sceau du secret. Sur ce, le Dr Héba Qotb reçoit ses patients, sur rendez-vous ; ils appartiennent majoritairement à un certain rang social, d’où une antichambre quasiment vide la plupart du temps.


Elle est en fait parfaitement consciente de l’ampleur des problèmes sexuels à même de séparer les couples, en silence. Et montre du doigt une tradition stérile et une culture « malade ». « C’est la charia, que beaucoup d’Egyptiens respectent énormément, qui est mon arme de défense. Elle s’avère plus puissante que la tradition lorsqu’il s’agit de convaincre et de lutter contre certaines mauvaises habitudes ».

A travers ses lectures de la charia, elle a découvert que le Coran et les hadiths ont abordé les moindres détails de la relation intime du couple. Les propos du prophète étaient très explicites à cet égard. « Je me suis sentie très fière de ma religion, familière de la sexologie depuis plus de 14 siècles alors que l’Occident ne l’a connue qu’il y a 50 ans ». Elle se tait un moment pour réfléchir. Plusieurs détails lui viennent à l’esprit. « Je me souviens du jour où je suis allée aux Etats-Unis pour passer un examen préliminaire à la thèse ; chaque candidat devait parler pendant 10 minutes sur un sujet de son choix relatif à la relation sexuelle. C’était une table ronde. Dès que j’ai évoqué le sexe en islam, le comité a été très attentif et m’a accordé un temps supplémentaire pour m’exprimer. Le lendemain, tous les candidats devaient passer un autre examen, moi seule en étais dispensée ». D’abord prise de panique, elle apprend ensuite que le comité estime qu’elle a un niveau supérieur aux autres candidats et qu’elle pouvait passer directement à la thèse. « J’ai tout de suite voulu commencer la thèse sur le sujet qui me tenait à cour : la relation sexuelle dans l’islam ».

Le voile qui couvre ses cheveux est en effet loin de voiler sa force tranquille. Cette force qui la marquait depuis sa jeunesse et qui transparaît à travers sa douceur et son sens de l’humour, exacerbé par une éducation très ouverte. Car la petite Héba avait toujours son mot à dire. Elève du Lycée français, elle se comportait souvent en leader parmi ses camarades. Et lorsqu’une bataille se déclenchait dans sa classe mixte, les fillettes demandaient son aide. « Je pratiquais le karaté et lorsque l’une de mes collègues appelait au secours car un garçon l’agaçait, je ne tardais pas à battre ce dernier, lui infligeant une bonne leçon. Je voulais prouver que la fille pouvait être l’égale du garçon, même quand il s’agit de muscles ».

Fille du peintre Gamal Qotb, elle a vécu dans une maison qui n’était qu’un large atelier où l’on organisait régulièrement un salon culturel. Ainsi, dès l’âge de 7 ans, elle a fréquenté la majorité des intellectuels de l’époque tels Youssef Al-Sébaï, Ihsane Abdel-Qoddous, Youssef Idriss et Naguib Mahfouz. Son père illustrait les couvertures de toutes leurs ouvres. « Même si parfois je ne comprenais pas ce qu’ils disaient vu mon jeune âge, j’insistais à assister à leurs rencontres pour apprendre. Plus tard, je commentais chacune de leurs réunions, dans des discussions interminables avec mon père ». Duranla Foire du livre, la maison Qotb se transformait en un grand salon accueillant les intellectuels de tout le monde arabe, notamment ceux en provenance du Liban tels Mounir Baalbaki, auteur du dictionnaire Al-Mawrid, et Jabbour Abdel-Nour, auteur d’Al-Manhal.

Héba a appris ainsi à être une femme rebelle. Outre cette ouverture d’esprit, elle a hérité des doigts de son père. Des doigts longs, agiles et effilés qui la destinaient à faire carrière de chirurgienne et à jouer au piano. « J’aime jouer au piano, lire, nager et surtout accomplir mes tâches de mère. Car ma propre mère, également artiste, avait préféré se consacrer à sa vie de famille ».

Son agenda surchargé, ses voyages à l’étranger et son travail universitaire lui laissent quand même le temps de rêver. Son mari, également médecin, rêve avec elle. Le corps humain représente pour tous les deux une matière d’étude scientifique, aucunement objet d’embarras. Pour ce, son époux ne lui a posé aucun problème, ne se dressant guère contre ses aspirations. « Mon ambition n’a pas de limites. Je veux laisser une trace, changer, inculquer aux gens une culture sexuelle comme il faut, dans l’ultime but de rendre la vie des couples plus gaie. Car j’ai l’impression que la joie conjugale s’évapore. Je veux apprendre aux gens que la jouissance est accessible s’il y a une satisfaction psychique et un désir de combler son partenaire ». L’homme doit comprendre que vu la nature cyclique et émotionnelle de la femme, elle peut parfois ne pas avoir envie de passer à l’acte. La spécialiste ne peut s’empêcher de donner la prescription suivante : le bonheur à deux.

Dina Darwich


Paru en 2004 sur le site de l’Hebdo en ligne Al Arham, hebdomadaire égyptien en langue française, aujourd’hui en stand-bye.

http://hebdo.ahram.org.eg/Arab/Ahram/2004/12/22/visa0.htm

Portrait Al Ahram. Autres photos : Farah Wikarski.