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== L'émergentisme britannique ==
 
Bien qu'on puisse certainement rechercher des positions proches chez des auteurs antérieurs, c'est au {{s-|XIX}}, chez un certain nombre de philosophes britanniques, que le concept d'émergence fait explicitement son apparition. Le premier à l'employer avec une définition philosophique précise est [[George Henry Lewes]] dans ''Problems of Life and Mind'' (« Problèmes de la vie et de l'esprit ») en 1875. Mais [[John Stuart Mill]] est présenté généralement comme la première source d'inspiration de ce courant{{sfn|O'Connor|Wong|2012|loc=1.1 J.S. Mill|id=SEP}}, bien qu'il n'utilise pas directement le terme. Dans son ''Système de logique déductive et inductive'' publié en 1843, celui-ci propose une distinction entre des lois ''homopathiques'', dont les effets se combinent selon le principe de « composition des causes » (sur le modèle de l'[[addition vectorielle]] des forces en termes contemporains), et des lois ''hétéropathiques'', dont les effets se combinent en violant ce principe de composition des causes. Les [[réaction chimique|réactions chimiques]] en particulier mobilisent des lois hétéropathiques. Pour Mill, les organismes vivants sont donc strictement composés d'éléments physiques mais leurs propriétés, résultant de lois hétéropathiques, diffèrent d'une simple composition des propriétés de leurs constituants.
 
 
 
=== Samuel Alexander ===
 
C'est avec le philosophe britannique [[Samuel Alexander]] que la notion d'émergence apparaît pour la première fois, à la fin des années 1910, comme un concept philosophique central au cœur d'un véritable système métaphysique. L'œuvre principale d'Alexander, ''Space, Time and Deity'' (1920), expose cette conception métaphysique du monde fondée sur l'idée d'une hiérarchie entre les différents niveaux d'existence. Cet ordonnancement du monde est lui-même le résultat d'un processus évolutif.
 
 
 
Alexander place l'Espace et le Temps à la base de ce système, chacun d'eux étant concevable séparément, bien qu'ils soient à l'origine équivalents. Emerge à partir de cette réalité fondamentale l'[[Espace-Temps]] proprement dit (première forme d'émergence), au sein duquel les processus se réalisent en tant que simples mouvements ou déplacements. C'est l'Espace-Temps qui constitue pour Alexander la substance proprement matérielle du monde, encore dépourvue de qualités matérielles autres que celles qui définissent le mouvement<ref>S. Alexander, ''Space, Time and Deity, The Gifford Lectures At Glasgow'', Vol. I, Kessinger Publishing, 2004, {{p.|342}}.</ref>. À partir du mouvement, de nouvelles « qualités émergentes » apparaissent à différents niveaux d'organisation : la matière constituée, la vie et l'esprit (''mind'') font partie de ces qualités qui ont émergé au cours du processus évolutif à des niveaux d'organisation toujours plus élevés. Samuel Alexander forge alors la notion d'« évolution émergente » pour caractériser ce processus qui, bien qu'inhérent à l'Espace-Temps, conduit inexorablement à l'émergence d'un niveau de réalité supérieur associé au « divin » (''Deity'').
 
 
 
=== C. L. Morgan ===
 
En 1923, [[Conwy Lloyd Morgan]] expose dans ''Emergent Evolution'' une conception émergentiste forte <ref group="E" name="E12">{{p.|12}}</ref> du monde et de l'[[Évolution (biologie)|évolution]]. Il établit une distinction entre les propriétés dites « résultantes », qui sont « seulement additives ou soustractives, et prévisibles »<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=|prénom1=C Lloyd|nom1=Morgan|titre=Emergent Evolution|passage=3|lieu=London|éditeur=Williams and Norgate|collection=Gifford lectures|année=1922|date=|réimpression=2013|pages totales=313|isbn=|oclc=186978255|lire en ligne=|id=NJCNS3}}</ref>, et les propriétés émergentes. Morgan distingue également les processus émergents des simples relations de causalité entre les phénomènes. Il nie que l'émergence soit une forme de causalité<ref>{{Harvsp|Morgan|1922|p=28|id=NJCNS3}}</ref>.
 
 
 
Morgan défend également le principe de « niveaux de réalité ». Le schéma fondamental de l'émergence selon Morgan est constitué de trois niveaux : le « niveau A » est le plus bas des trois, et il peut émerger au « niveau B » de nouvelles caractéristiques non prédictibles à partir des seules informations concernant le niveau A ; de même, de nouvelles propriétés peuvent émerger au « niveau C » qui ne sont pas déductibles à partir de la connaissance des niveaux A et B<ref>{{Harvsp|Morgan|1922|p=5-6|id=NJCNS3}}</ref>. Morgan propose alors une image verticale de l'émergence, du bas vers le haut, avec un diagramme qui dépeint ce qu'il appelle un « schème pyramidal ». L'[[espace-temps]] constitue la base de cette pyramide, suivie de la matière, tandis que l'esprit se trouve proche du sommet, au-dessus de la vie<ref>{{Harvsp|Morgan|1922|p=11|id=NJCNS3}}</ref>. Morgan explique que cette pyramide est [[synoptique]] dans le sens où elle est censée comprendre toutes les entités naturelles, depuis les atomes et les molécules à la base du monde jusqu'aux êtres humains en haut, en passant par les minéraux, les plantes et les animaux. Toute entité dans le monde doit appartenir à un seul et unique niveau, dans un système hiérarchisé qui comprend tout. Toutefois, cette pyramide ne justifie pas une conception [[moniste]] de la réalité car chaque niveau de la pyramide est, selon Morgan, ''en substance'' différent du niveau sous-jacent<ref group="E" name="E11"/>.
 
 
 
Comme [[Samuel Alexander]] dont il s'inspire, C. Lloyd Morgan considère l'émergence du point de vue évolutif. Mais il s'oppose au [[principe de continuité]] darwinien et associe l'émergence à des « sauts » évolutifs. Contrairement à [[Alfred Russel Wallace]], qui défendait également le principe des étapes évolutives (associé à des interventions divines), Morgan pense qu'il est possible de formaliser ces étapes par un procédé scientifique ne faisant intervenir que des mécanismes d'émergence<ref group="E" name="E11">{{p.|11}}</ref>. Ces mécanismes sont associés à une forme de [[causalité]] descendante et, en ce sens, ils peuvent faire l'objet de théorisations et de tests à caractère scientifique. Cette causalité part du  haut de la pyramide (proche de l'esprit, donc), et influence chaque niveau sous-jacent (''causalité descendante''), contrairement à une conception [[réductionniste]] de la causalité selon laquelle ce sont nécessairement les entités de bas niveau qui ont une action causale sur les niveaux d'organisation supérieurs. Il existe également, au sein de chaque niveau, une « causalité horizontale » plus habituelle<ref group="E" name="E12"/>.
 
 
 
=== C. D. Broad ===
 
La publication en 1925 de ''The Mind and Its Place in Nature'' (« L'esprit et sa place dans la Nature ») de [[Charlie Dunbar Broad]] constitue le second moment majeur de l'émergentisme britannique<ref>{{Citation étrangère|lang=en|British Emergentism reaches its zenith with C. D. Broad's monumental ''The Mind and Its Place in Nature'' (1925)}} {{harvsp|O'Connor|Wong|2012|loc=1.2 C.D. Broad|id=SEP}}.</ref>. Broad propose l'émergence comme une troisième voie permettant de dépasser le débat entre les [[vitalisme|vitalistes]] — qui défendent l'idée d'une différence fondamentale entre la matière inerte et le vivant – et les [[Mécanisme (philosophie)|mécanistes]] — qui défendent l'idée d'une nature entièrement mécanique, y compris pour les organismes vivants. Il introduit pour cela l'idée de « niveaux d'organisation » successifs, idée qui restera associée à la notion d'émergence. Pour Broad, même s'il n'existe bien qu'un seul type de substance physique composant tous les corps ([[monisme]]), on peut toutefois distinguer des agrégats de différents ''ordres'', dont l'étude relève de différentes sciences spéciales hiérarchisées et non réductibles à la physique (comme la biologie, la psychologie, etc.). À cette fin, Broad distingue deux types de [[loi naturelle|lois]] : les lois « ''intra-ordinales'' » qui décrivent l'interaction entre les propriétés d'agrégats d'un même ordre, et les lois « ''trans-ordinales'' » qui connectent les propriétés d'un agrégat avec les propriétés des agrégats de l'ordre immédiatement inférieur. Par exemple, une loi intra-ordinale propre à la biologie peut caractériser l'interaction de neurones entre eux, tandis qu'une autre loi intra-ordinale propre à la psychologie peut caractériser l'évolution des états mentaux d'un individu, alors qu'une loi trans-ordinale pourrait connecter la présence de certains états mentaux avec certaines propriétés neuronales du cerveau. Dans ce schéma, il est important de noter que chaque loi trans-ordinale est considérée comme fondamentale, impossible à déduire des lois intra-ordinales inférieures. Elle se contente de décrire la « covariation synchronique » de propriétés d'un niveau donné avec une propriété émergeant à un niveau supérieur.
 
 
 
Ces principes sont compatibles avec la notion d'émergence faible, mais c'est dans le traitement spécifique du [[problème corps-esprit]] que Broad exprime des considérations plus proches de l'émergence forte<ref group="E" name="E10">{{p.|10}}</ref>. Selon lui, les lois intra-ordinales ne sont pas suffisantes pour expliquer l'esprit. Il postule alors l'existence d'un « centre mental » qui unifie les événements mentaux en un seul « esprit », constitué de « particules mentales » analogues aux particules physiques, mais fondamentalement différentes d'elles. Cette position est proche du [[Dualisme (philosophie de l'esprit)|dualisme]], mais selon Clayton, elle s'en distingue toutefois nettement et constitue plutôt une position d'émergentisme fort. En effet, un dualiste postule ''a priori'' l'existence d'une substance mentale et en déduit l'existence d'événements mentaux, tandis que Broad procède à l'inverse et considère l'esprit en tant qu'émergeant à partir des entités mentales élémentaires<ref group="E" name="E10"/>.
 
 
 
== Un concept réinvesti depuis les années 1970 ==
 
Le développement de la [[mécanique quantique]], qui a fourni une explication physique aux liaisons chimiques, puis de la [[biologie moléculaire]], ont consacré l'approche réductionniste dans les sciences de la nature à partir de l'entre-deux-guerres<ref>{{article|auteur=Hervé Zwirn|titre=Qu'est-ce que l'émergence ?|périodique=[[Sciences et Avenir]] Hors-série|numéro=143|mois=juillet-août|année=2005|pages=19}}</ref>. Mais un intérêt renouvelé pour le concept d'émergence se fait jour depuis les années soixante-dix, avec l'essor de deux nouveaux champs scientifiques : d'une part les [[sciences cognitives]] et la [[philosophie de l'esprit]], qui vont réintroduire l'émergence dans leur analyse des [[Problème corps-esprit|rapports entre le cerveau et l'esprit]] ; d'autre part l'étude des [[systèmes complexes]], à l'interface entre physique, mathématiques, informatique et biologie, qui va mobiliser cette idée pour mieux appréhender l'apparition de comportements collectifs globaux dans toute une classe de systèmes composés d'un grand nombre de constituants en interaction.
 
 
 
[[Category: Émergence]]
 

Version actuelle datée du 30 avril 2020 à 23:34

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