Éducation à la sexualité en Tunisie, attentes des élèves et conceptions des enseignants

De Didaquest
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Résumé

L’éducation à la santé définie par l’Organisation mondiale de la santé (1983) inclutl’éducation à la sexualité. En Tunisie, les questions liées à la sexualité se posent fortement, se détachent de la culture conservatrice qui règne et bousculent les tabous ainsi que les limites religieuses imposées. Une stratégie globale d’éducation sexuelle en milieu scolaire s’est, par conséquent,imposée à la communauté éducative tunisienne pour permettre aux apprenants d’appréhender leur corps et ses fonctionsbiologiques, de se construire une idée juste de leur sexualité et d’adopter des comportements qui favorisent une vie plus seine et des risques réduits.Dans cette étude, nous nous demandons si les objectifs fixés parles programmes officiels et véhiculés par les enseignants de biologie sont cohérents avec les attentes qu’ont leurs élèves quant à leur éducation à la sexualité. L’enquête par questionnaire, menée auprès de 95 enseignants de biologie et 735 élèves de 4e, âgés en moyenne de 18 ans, montre à quel point les visées des premiers diffèrent des attentes des derniers et à quel point un travail d’adaptation s’impose.

Introduction

Les données issues des recherches internationales [1-4]défendent l’idée de la prévention et celle de l’éducation à la santé qui restent des éléments essentiels dans l’épanouissement et le bien-être des individus à qui des soins, de plus en plus performants, sont dispensés, sans pour autant améliorer considérablement l’état de santé général d’une population. Les transformations des comportements alimentaires,l’accroissement de la consommation des drogues ainsi quel’apparition des infections sexuellement transmissibles dans la société tunisienne ont poussé les autorités à instaurer une action éducative précoce qui agirait en concertation avec les autres structures sociales impliquées dans l’éducation à la santé. Présente dans les textes officiels des Sciences et vie de la terre, l’éducation à la santé se fixe comme objectif de permettre aux apprenants tunisiens de résoudre des problèmes en relation avec les fonctions biologiques de leurs corps et de se prévenir contre les maladies. Elle préconise que ces derniers devraient avoir un mode de vie actif, des comportements prudents, et adoptent des attitudes favorables pour préserver leur santé et leur environnement [5]. Incluse dans l’éducation à la santé, l’éducation à la sexualité fait partie des objectifs prioritaires de la politique éducative en Tunisie. Le chapitre « Reproduction humaine et santé » est censé être une porte d’entrée principale à l’éducation à la sexualité en milieu scolaire tunisien. En post-révolution, la société tunisienne connaît des mutations : nous assistons à une montée du nombre de mères célibataires ainsi qu’a une vie sexuelle précoce et clandestine [7], indice qui confirme l’urgence à mettre en place une nouvelle stratégie globale qui impliquerait l’ensemble de la communauté éducative. Les mariages « orfi 1 »qui se multiplient surtout à l’université, montrent l’évolution d’une situation et de pratiques qu mériterait d’être analysée et étudiée. Les directives politiques en matière d’éducation à la sexualité restent cependant limitées et prennent souvent la forme de campagnes ponctuelles sur le sida dans une approche principalement hygiéniste. Les questions liées à la sexualité, encore sujet tabou, ne sont abordées que rarement entre pairs du même genre, à un âge plutôt avancé et quasiment pas entre pairs de sexe différent. La famille et les parents en particulier n’osent pas aborder ce sujet avec leurs enfants [6]. Les enseignants ne semblent pas déroger à la règle avec leurs élèves.

Contexte de la recherche

L’éducation à la sexualité implique une approche globale de l’être humain dans ses dimensions biologique, psychoaffective et sociale [8]. Elle trouve sa place dans un projet éducatif global [9] pluridisciplinaire qui irait au-delà d’une simple transmission des connaissances et dans l’acquisition de compétences personnelles et sociales [10]. La dimension biologique se centre sur la connaissance de l’anatomie et la physiologie du corps, les caractéristiques de chaque sexe ainsi que des connaissances relatives aux différentes maladies sexuellement transmissibles. La dimension psychoaffective concerne la construction psychique de l’individu sexué [11] qui se construit une image de soi dans un environnement en perpétuel changement et qui bâtit ses relations avec l’autre sous l’emprise d’un désir qui se veut contrôlé. Enfin, la dimension sociale est complexe, elle comprend un système de valeurs dont l’aspect culturel et religieux ainsi que les normes et les règles du groupe social auquel on appartient. L’éducation à la sexualité aide l’élève à appréhender et à accepter les transformations biologiques et physiologiques que subit son corps en donnant du sens aux connaissances scientifiques acquises au sein de la classe. C’est un apprentissage qui se fait en prenant en considération la réalité d’un apprenant dont le comportement se transforme avec sa propre vision changeante de la société. L’éducation à la sexualité en milieu scolaire s’inscrit dans une approche qui vise la construction d’un citoyen responsable qui conçoit sa sexualité comme composante essentielle de la vie [12]. Elle l’aide à se construire une image positive de soi et à intégrer les dimensions biologiques, psychoaffectives et sociales.Elle l’accompagne dans le développement d’un esprit critique qui l’amènerait à dépasser certains stéréotypes relatifs au genre et à la sexualité. Plusieurs auteurs [13, 14]soulignent l’importance de la dimension éducative de la prévention en dépassant l’approche prescriptive et se centrant sur l’élève, ses attentes, ses besoins ainsi que ses conceptions. Cependant, il semblerait que des obstacles en matière d’éducation à la sexualité persistent chez les enseignants pour mettre en place des actions auprès de leurs élèves [15]. Les savoirs relatifs à l’éducation à la sexualité appartiennent, à la fois, aux sciences humaines, à la médecine et à la biologie. Ils ont un rapport étroit à l’intime et se trouvent parfois en contradiction avec les systèmes de valeur de la société et les indications de la santé publique. Ces savoirs posent problème [16] puis qu’ils sont issus d’épistémologies parfois très différentes et qu’ils s’articulent sur des questions socialement vives [17]. Les débats qui persistent entre les différents spécialistes de ces champs disciplinaires et la société entraînent des jugements qui se combinent aux références issues des pratiques sociales,culturelles, religieuses et éthiques. Les représentations sociales ainsi que les idéologies sous-jacentes sont particulièrement importantes. L’éducation à la sexualité à l’école ne peut pas être traitée comme une discipline scolaire avec un cadre didactique et avec une pédagogie clairement définis. Elle s’inscrit plutôt dans une forme non scolaire du savoir [18] et ne dispose pas d’une matrice claire en termes d’objet, de tâches et de savoirs [19]. Elle prend forme dans la conjoncture intime/sociale.Elle est, par conséquent, délicate à enseigner et nécessite des stratégies et des pédagogies innovantes et non classiques.Elle oblige les enseignants à puiser dans leur expérience pour transformer et restructurer les savoirs de manière réfléchie et à dispenser des enseignements qui cadrent avec la demande et l’attente de leurs apprenants. Le but étant de s'autoréguler dans l’action didactique en fonction d’objectifs pédagogiques, de finalités didactiques et d’un ensemble cohérent de valeurs : de construire un savoir d’action [20]. Partant du fait que l’éducation à la sexualité prévoit une régulation continue des actions pédagogiques et didactiques en fonction des objectifs, finalités, valeurs et croyances et qu’il s’agit d’un projet global centré sur l’apprenant, nous nous sommes intéressés aux différentes attentes des élèves de terminale en termes de sexualité ainsi qu’aux différentes visées pédagogiques et didactiques des enseignants qui dispensent les enseignements relatifs à la «reproduction humaine et santé ». Le travail que nous présentons étudie l’ES et son enseignement en Tunisie mais surtout présente la différence qui existe entre les attentes des élèves et les visées pédagogiques de leurs enseignants.

Hypothèses

Le chapitre « Reproduction humaine et santé » dispensé aux élèves de classe terminale se centre sur des savoirs biologiques qui décrivent l’anatomie des organes génitaux,les conditions de la fécondation humaine ainsi que ses étapes. Il détaille le rôle hormonal, explicite les causes de stérilité et présente la procréation médicalement assistée.Un bref moment est consacré à la pilule contraceptive. Ce chapitre, à forte composante biologique, ne permet pas de répondre aux questions des « élèves-adolescents » en termes de sexualité. Ces derniers ne peuvent pas mettre à la lumière des préoccupations ou des jugements intimes qui trouvent forme dans un environnement culturel et social particulier. Les contenus scientifiques dispensés ainsi que les pédagogies élaborées et mises en place par les enseignants, permettent difficilement de dépasser l’approche biologique pour englober les composantes psychoaffective et sociale. Se pose alors avec force la question de la formation des enseignants [2]. Deux hypothèses ont été retenues : • l’intérêt en matière de sexualité porté par les élèves tunisiens de quatrième année secondaire n’est pas seulement biologique mais comporte des versants psychoaffectifs et sociaux ; • il y a des écarts importants entre les visées des enseignants et les attentes de leurs élèves en matière de sexualité.