Comment évoluent actuellement les émissions de gaz à effet de serre ?

De Didaquest
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Depuis que Denis Papin et James Watt nous ont fait découvrir les joies de la machine à vapeur, la croissance de la production industrielle - qui, en volume, augmente sans discontinuer depuis cette époque, la "dématérialisation" n'étant qu'un terme à la mode - les émissions de CO2 - le principal gaz à effet de serre d'origine humaine - augmentent, et non seulement elles augmentent, mais elles ont même tendance à augmenter de plus en plus vite, comme on peut facilement le constater ci-dessous.



Evolution constatée des émissions mondiales du seul CO2 provenant des combustibles fossiles, en millions de tonnes de carbone. Le lien entre développement industriel et émissios de CO2 est manifeste, et fonctionne dans les deux sens : la récession qui a frappé les pays de l'Est après la chute du Mur de Berlin a engendré une baisse massive de leurs émissions (Eastern Europe sur le graphique).


Source : Marland, G., TA. Boden, and R. J. Andres, 2003. Global, Regional, and National Fossil Fuel C02 Emissions. In Trends: A Compendium of Data on Global Change. Carbon Dioxide Information Analysis Center, Oak Ridge National Laboratory, U.S. Department of Energy, Oak Ridge, Tenn., United States


Incidemment il y a une observation intéressante à faire à partir du graphique ci-dessus : les seules occasions de diminution des émissions de CO2 nous ont été fournies par des événements peu agréables (guerres, récessions...). Une conclusion élementaire de cette remarque est que, dans un monde fini, avec des émissions qui ne peuvent donc pas croître indéfiniment, si nous ne mettons pas en oeuvre un programme volontaire de décroissance des émissions, c'est la finitude du monde qui s'en chargera à notre place, à travers une ou plusieurs catastrophe(s).

Le lien entre degré "d'avancement" industriel et niveau des émissions est malheureusement très fort ; ainsi, si l'on répartit les émissions mondiales de CO2 entre les pays "développés", qui sont aussi ceux qui ont pris un engagement de réduction au titre du protocole de Kyoto (dans le langage du protocole la liste de ces pays s'appelle l'annexe 1), et pays en développement, qui n'en ont pas, il est facile de constater que :

  • l'essentiel des émissions mondiales en 1990 vient des pays industrialisés (qui ne représentent pourtant que 1 milliard d'être humains)
  • les pays en cours d'industrialisation ont cependant des émissions en hausse plus rapide (et ils ont aussi une croissance économique plus forte), avec pour conséquence que, tendanciellement, les pays "en développement" rattraperont les pays "développés" en 2020.



Emissions de CO2 seul dans le monde, en millions de tonnes d'équivalent carbone. Source : Mission Interministérielle de l'Effet de serre

Annex I désigne l'ensemble des pays qui ont pris un engagement de réduction dans le cadre du protocole de Kyoto ; il s'agit des pays développés ou "en transition" (pays de l'Europe de l'Est, essentiellement).

Annex II désigne les pays signataires du protocole de Kyoto mais qui n'ont pas pris d'engagement de réduction (essentiellement les pays du tiers monde, dont la Chine, premier consommateur mondial de charbon).


L'examen des sources de CO2 fossile explique facilement cette situation : en effet, ce gaz est émis là où nous brûlons du charbon, du gaz et du pétrole, et cela signifie souvent une application "industrielle", ou du moins de la "civilisation industrielle", car une voiture ou un chauffage central au gaz en font assurément partie.



Répartition par activité des émissions de CO2 seul dans le monde en 2004 (source GIEC). On remarque que la première source mondiale est la production d'électricité. On comprend alors que, compte tenu des niveaux de réduction qu'il serait souhaitable d'atteindre si l'on veut sérieusement se préoccuper du phénomène, que le combat contre l'effet de serre sera plus facilement gagné si l'on ne refuse pas le recours au nucléaire.


En regardant le graphique ci-dessus, nous pouvons êtres tentés de penser que l'essentiel du problème vient "des entreprises" : après tout, ce sont elles qui produisent l'électricité, possèdent les raffineries, opèrent les industries, et une partie des moyens de transport. Mais une autre lecture - intéressante, assurément ! - peut être proposée si l'électricité est imputée au secteur qui la consomme.



Répartition par activité des émissions de CO2 seul dans le monde en 1999 (source Agence Internationale de l'Energie) en imputant l'électricité au secteur de consommation. Surprise ! les bâtiments font jeu égal avec l'industrie : la consommation d'énergie dans les bâtiments - et en particulier dans les logements - est donc un enjeu majeur pour la lutte contre le changement climatique.



Mais le CO2 d'origine fossile ne représente pas l'intégralité du problème : une partie de l'effet de serre d'origine humaine vient d'autres gaz, dont la contribution n'est pas totalement marginale.



Emissions mondiales pour les divers gaz à effet de serre en 2000 (excepté l'ozone), en milliards de tonnes équivalent CO2. Les gaz hors CO2 lié à l'usage de l'énergie représentent environ 40% du problème. Source : GIEC, 2007



Les émissions des autres gaz concernent :

  • le CO2 lié à la déforestation, souvent rangé dans la catégorie "changement d'utilisation des sols", parce que en pratique le changement d'utilisation des sols qui engendre des émissions de CO2 significatives est la déforestation : la plupart du bois coupé est brûlé (l'exploitation forestière ne représente qu'une petite partie du bois coupé, même si les forestiers créent des chemins qui sont ensuite utilisés par les paysans locaux qui défrichent le reste), ce qui conduit à des émissions de CO2, puis le sol libère du CO2 additionnel lorsqu'il est labouré (le labourage expose l'humus à l'air, ce qui conduit à une oxydation accélérée du carbone du sol),
  • Du méthane et du protoxyde d'azote, qui sont très liés à la production agricole (en croissance, à cause de la croissance démographique d'une part, et de l'augmentation de la part animale dans les rations alimentaires d'autre part, ce qui nécessite plus de surfaces agricoles).
  • Des halocarbures, dont l'usage est très lié à la chaine du froid (en croissance) ou à l'industrie des semi-conducteurs (en croissance aussi).

Si nous jouons maintenant au petit jeu qui consiste à affecter à chaque usage les émissions qui le concernent, alors la situation, au plan mondial, se présente à peu près comme suit



Répartition approximative par activité des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2004, tous gaz pris en compte, et l'électricité étant imputée aux secteurs qui la consomment. Compilation personnelle réalisée à partir de chiffres GIEC.



Ce dernier camembert indique clairement que la responsabilité est très diluée, et surtout que l'alimentation et les bâtiments sont des contributeurs égaux, voire supérieurs, à l'industrie et aux transports. Rien n'est simple !



Tous les pays sont-ils égaux ?

Le niveau des émissions de gaz à effet de serre et la répartition par activité de ces émissions est bien sûr très variable d'un pays à l'autre, selon la richesse globale, le mode de production d'électricité, le régime alimentaire, et le stade de l'industrialisation....



Répartition par activité des émissions de CO2 seul pour un pays développé : les USA (l'électricité est imputée aux secteurs qui la consomment). Le bâtiment est la première source dans le monde (avec l'électricité qui lui correspond, faite pour l'essentiel, dans le monde, avec des combustibles fossiles). Source : CO2 emissions by fuel, AIE, 2004



Répartition par activité des émissions de CO2 seul pour un pays en cours d'industrialisation : la Chine (l'électricité est imputée aux secteurs qui la consommen). On note la part prépondérante de l'industrie et la part très mineure des transports. Source :, CO2 emissions by fuel, AIE, 2004



Nous pouvons ensuite disposer d'émissions par pays, et si les pays à population importante ont des émissions par tête bien inférieures à ce qu'elles sont pour les pays industrialisés, ils fournissent néanmoins une large partie des émissions mondiales à cause de leur démographie.




Emissions de gaz à effet de serre, sans prise en compte des puits, en milliers de tonnes d'équivalent carbone, pour la majorité des pays de l'Annexe I plus la Chine. Source : United Nations Framework Convention on Climate Change - UNFCCC (pour la Chine, pour laquelle on indique uniquement les émissions de CO2 ; source : Ministère de l'Industrie)


On remarque que les pays de l'Est ont tous baissé leurs émissions de manière importante, essentiellement à cause...de la récession intervenue dans ces pays. Croissance économique et lutte contre le changement climatique sont-ils compatibles ?


Cependant les émissions par habitant suivent une hiérarchie fort différente, et s'il est un fait qui ne surprendra personne, à savoir que émissions et développement économique vont plus ou moins de pair, ce classement révèle une surprise : au sein des pays du G7, les émissions par tête varient d'un facteur 3 entre les pays les plus "vertueux" et ceux qui le sont moins.



Emissions de gaz à effet de serre par habitant et par an, selon les pays, en kg d'équivalent carbone (Chine : émissions de CO2 seul), pour 1990 et 1998 (classées par ordre d'importance en 1998).

On remarque que parmi les pays disposant d'un fort PNB par habitant, les plus "vertueux", outre la France, sont la Suède et la Suisse, qui produisent aussi - comme la France - leur électricité avec essentiellement du nucléaire et de l'hydraulique. Dans le cas de la Suisse se rajoute le fait que son économie est fortement tertiarisée. On remarque aussi que les émissions par habitant en Chine sont quasiment 10 fois plus faibles que celles des USA.

Ce graphique montre à nouveau la forte diminution intervenue dans les anciens pays communistes.

Source : United Nations Framework Convention on Climate Change (sauf la Chine : Ministère de l'Industrie) - UNFCCC pour les émissions, et Institut National d'Etudes Démographiques - INED pour les populations ; les divisions ont été faites par votre serviteur.


Les "grands affreux" pour le changement climatique sont incontestablement les Américains : non seulement leur pays est le premier émetteur au monde, mais ils sont aussi sur le podium pour les émissions par habitant, et leurs émissions sont en croissance !

Les pays "sous-développés" sont nettement moins émetteurs : en moyenne, l'émission de CO2 fossile par habitant est de l'ordre de 0,4 tonne d'équivalent carbone par an (soit un cinquième d'un Français, et 7% de ce que "fait" un Américain), mais tous les pays hors Annexe I (ceux qui n'ont pas pris d'engagements de réduction) ne sont pas si bas !



Emissions de CO2 seul par habitant pour une large sélection de pays de l'Annexe 2 (pays n'ayant pas pris d'engagement de réduction à Kyoto), en tonnes équivalent carbone, avec puits. Pour ce seul gaz, la Suisse serait à 1,7 tec/pers./an et les USA à plus de 5.

On note les émissions modestes de l'Inde (0,3 tec/pers./an en gros) et les émissions très basses des pays de l'Afrique Noire (le Nigeria est le pays le plus peuplé d'Afrique, avec plus de 120 millions d'habitants).

On note aussi que Israel, Singapour, La Corée du Sud, l'Afrique du Sud, sans parler des pays producteurs de pétrole, qui ont tous des émissions par tête et/ou un niveau de développement voisin de celui des pays de l'OCDE, n'ont pas pris d'engagement de réduction.

Source : United Nations Framework Convention on Climate Change - UNFCCC.






Et en France ?

A cause du fait que nous produisons notre électricité essentiellement avec des procédés qui n'émettent pas de CO2 (nucléaire pour 80%, et hydraulique pour 15%) la répartition chez nous n'est pas la même : pour le seul CO2 ce sont les transports qui arrivent en tête (figure ci-dessous), suivis du poste "résidentiel - tertiaire", qui correspond à l'utilisation d'énergie fossile dans les maisons et bâtiments (chauffage pour l'essentiel, puis eau chaude pour la plus grosse partie du reste ; la climatisation à l'électricité n'est pas prise en compte car la consommation d'électricité ne produit pas de CO2, c'est la production d'électricité qui en produit éventuellement).



Répartition par activité des émissions de CO2 seul en France. Il s'agit des émissions brutes, c'est à dire que les puits ne sont pas pris en compte (cela signifie essentiellement que les bénéfices liés à l'exploitation forestière, qui conduit à de la séquestration de carbone dans les arbres transformés en produits durables, ne sont pas imputés à l'activité agricole, qui comprend aussi la sylviculture).

On remarque que la première source en France est représentée par les transports, avec 27%, qui est en outre la source qui croit le plus actuellement (voir plus bas).

En outre, si l'on imputait aux transports les émissions des raffineries pour produire l'essence (dans le poste "transformation énergie"), celles de l'industrie pour la construction des voitures et des routes, et plus généralement toutes les émissions produites par des activités concourant aux déplacements (assurances, garages, etc) le total serait probablement plus proche de 40%. La nomenclature a son importance !

(*) le transport aérien international n'est pas pris en compte, car aux termes du protocole de Kyoto les émissions découlant du transport international aérien ou maritime ne sont pas affectées aux totaux nationaux.

Source : CITEPA


Le poste "énergie" correspond pour une grosse moitié aux centrales électriques à charbon et à gaz que nous avons aussi, et pour une petite moitié aux raffineries de pétrole (le raffinage du pétrole conduit à une auto-consommation de 8% du pétrole raffiné environ). Incidemment il est intéressant de noter que plus on cherche à avoir un carburant "propre" (exempt de soufre, etc) et plus cela engendre des émissions de CO2 importantes pour le raffinage correspondant.

Si nous tenons maintenant compte de tous les gaz à effet de serre pris en compte dans les négociations internationales, et pas seulement du CO2, alors la répartition change : c'est l'agriculture qui arrive en tête !



Répartition par activité des émissions en France pour l'année 2004, tous gaz à effet de serre (sauf ozone) pris en compte. Il s'agit des émissions brutes (je ne sais pas imputer les puits par activité !).

On remarque que la première source devient alors l'activité agricole au sens large. Toutefois la même remarque que ci-dessus s'applique : si l'on réintègre les émissions des raffineries, de l'industrie auto, etc, les transports montent probablement à plus de 25%.

Cela étant, un raisonnement similaire peut s'appliquer à l'agriculture : si nous rassemblons dans un même sac tout ce qui est émis pour nous fournir de la nourriture (agriculture, mais aussi le transport et la transformation industrielle de la nourriture, y compris la fabrication des emballages que nous jetterons ensuite), alors manger est à l'origine d'un tiers des émissions environ.

Source : CITEPA, 2005

(*) le transport aérien international n'est pas pris en compte.


En effet, l'agriculture est à l'origine de l'essentiel des émissions des gaz "hors CO2" : 2/3 du méthane - CH4 - et du protoxyde d'azote - N2O - proviennent des activités agricoles, respectivement dus à l'élevage bovin et à l'utilisation des engrais. Ces gaz "mineurs" représentent un peu plus ou un peu moins d'un quart des émissions globales selon la manière de compter (graphiques ci-dessous).



Répartition par gaz des émissions en France pour l'année 2004. A gauche : sans les puits. A droite : en ne comptant que le solde pour le CO2, une fois les puits pris en compte. HFC, PFC et SF6 sont des gaz industriels appelés halocarbures.

Source : CITEPA, 2005


Les proportions respectives du CO2, du méthane et du protoxyde d'azote sont variables selon les pays : les pays à économie agraire ont des émissions de méthane proportionnellement plus élevées, voire qui peuvent être dominantes, alors que les pays très industrialisés et qui en plus font leur électricité au charbon ont des émissions de CO2 encore plus dominantes qu'en France.



En France, tous les postes évoluent-ils de la même manière ?

Non : les évolutions respectives sont assez variables d'un poste à un autre. Les chiffres ci-dessous ne sont bien sur valables que pour la France, mais les évolutions décrites se retrouvent peu ou prou dans bien d'autres pays du monde développé, à l'exception de la baisse des émissions pour l'électricité, qui est une spécificité française.


Evolution par activité des émissions de CO2 seul (en France) depuis 1960, en millions de tonnes équivalent carbone.

Trois époques se lisent clairement sur ce graphique :

  • jusqu'au premier choc pétrolier, tous les postes d'émission sont en hausse. Les "Trente Glorieuses" sont allées de pair avec une très forte augmentation des émissions dont la phase finale se voit clairement de 1960 à 1973.
  • après le choc pétrolier, l'industrie se met à la chasse au gaspi de manière efficace, et électrifie un certain nombre d'usages par ailleurs, et obtient une baisse continue jusqu'au "contre-choc" (en 1985 le pétrole est devenu très bon marché). Pendant la même période le lancement du programme électronucléaire conduit à une diminution rapide - mais avec un décalage de 10 ans, le temps de construire les centrales - des émissions du secteur de l'énergie (c'est cette baisse que l'on ne retrouve pas nécessairement dans d'autres pays), et enfin les particuliers ont aussi effectué des économies chez eux (baisse du poste "résidentiel tertiaire"). Pendant cette période, toutefois, les émissions des transports continuent de croître, quoique moins vite que sur la période 1960-1974.
  • depuis le contre-choc de 1985, tous les postes sont plus ou moins stables, exception faite des transports qui poursuivent sur leur lancée et de l'agriculture, qui poursuit sa mécanisation (qui consiste essentiellement à remplacer des individus par du pétrole !).

Source : CITEPA, 2005

(*) le transport aérien international n'est pas pris en compte