Histoire du microscope et de la microscopie
Qu’est-ce que le microscope ? À l’instar de la loupe, avec laquelle il n’y a priori aucune distinction essentielle, c’est un instrument d’optique permettant d’examiner (σκοπειυ) des objets ou leurs détails, trop petits (μικρος) pour être vus à l’œil nu, en en fournissant des images sous des angles apparents plus grands, de les grossir.
Il existe aujourd’hui deux grandes classes de microscopes
- => ceux utilisant des faisceaux de radiations électromagnétiques auxquelles on associe la notion de photon, qui s’étendent pratiquement du proche infrarouge aux rayons X ;
- => ceux utilisant des faisceaux de radiations corpusculaires : électrons ou particules plus lourdes tels des protons ou certains ions, auxquels la physique moderne sait associer une onde.
L’Homme a découvert depuis longtemps des accessoires lui permettant d’agrandir ce qu’il regarde : bien entendu, c’est le microscope optique (ou photonique, par opposition à électronique) qui a la plus longue histoire, surtout en lumière visible.
De la loupe au microscope
L’emploi en histoire naturelle du microscope simple, constitué d’une seule lentille, remonte au XIVe siècle, mais on a la preuve qu’il était déjà possible, en des temps bien plus reculés, d’examiner des objets au moyen de lentilles. En effet, sous sa forme la plus simple, le microscope, simple loupe, ne met en œuvre que le pouvoir grossissant d’une lentille de verre ou de tout autre matériau transparent hautement réfringent.
La plus ancienne lentille découverte (-700), dont on ne connaît pas l’usage, est une lentille plan convexe provenant des ruines de Ninive. Vers -500, Aristophane mentionne les « sphères ardentes » en cristal de roche ou en émeraude ; au Ier siècle, Sénèque remarque que les objets deviennent plus gros et plus distincts lorsqu’ils sont vus au travers d’une sphère remplie d’eau et Pline fait état de l’emploi de lentilles de verre pour la mise à feu. À Rome, les vestales les utilisaient pour raviver le feu sacré, les médecins cautérisaient les plaies grâce à la lumière solaire concentrée par une lentille. Néron, myope, regardait les combats de gladiateurs à travers une lentille d’émeraude. On prétend même que certains ouvrages très fins d’écriture ou de gravure n’ont pu être exécutés qu’à l’aide de loupes, mais c’est discutable, car s’il est indéniable qu’une loupe grossit, il n’est nullement démontré qu’elle soit d’une qualité lui permettant un pouvoir séparateur suffisant pour ces travaux. Ceux-ci sont peut-être seulement le fait de jeunes artisans très myopes ou de jeunes enfants capables de très fortes accommodations. En revanche, il est évident que l’astronome Ptolémée devait connaître l’existence des verres grossissants.
Puis l’histoire reste muette pendant dix siècles. Vers 1100, l’Arabe Alhazen Ben Alhazen mentionne le pouvoir grossissant des lentilles plan-convexes, sans qu’on en tire immédiatement des conséquences sur l’usage pouvant en être fait. Ce n’est qu’à la fin du XIIIe siècle (en 1290) que l’Anglais Bacon en signale l’utilisation pour la correction des défauts de l’œil : les lunettes sont inventées. Cette invention, également attribuée à Alexandre de Spina ou à Armatti, est attestée par les portraits des cardinaux Nicolas de Rouen et Hughes de Provence, peints par Thomas de Modène en 1352. On savait donc tailler et polir des lentilles, et Bacon, à qui l’on attribue également l’invention du télescope, rend compte de principes applicables au microscope.
Microscopes simples et microscopes composés
Rapidement, des loupes sont utilisées pour examiner la nature. En 1592, Hufnagel publie un ouvrage sur l’observation des insectes à la loupe, et les premiers microscopes simples ou composés existent déjà. Que signifie « simples ou composés » ? La réponse réside dans ce qu’on demande à un microscope : fournir une image agrandie de l’objet, ce qui est obtenu avec une simple lentille, s’il est placé le plus près possible de son foyer. On a donc intérêt, pour regarder cette image réelle aérienne, à réduire cette focale au maximum, et à augmenter ainsi le grossissement. Cette lentille peut alors être utilisée comme une loupe très puissante placée très près de l’objet d’un côté, très près de l’œil de l’autre pour que celui-ci reçoive un maximum de rayons lumineux. C’est ce qui constituait à l’époque le microscope simple, ou tout au moins son système optique, si l’on désigne par microscope l’ensemble de l’instrument. Cette solution est avantageuse : l’image fournie peut être bonne car la lentille étant de dimension d’autant plus faible que sa focale est courte, il n’est utilisé qu’une faible épaisseur de matériau transparent. En revanche, cette lentille de petite dimension ne recueille qu’une faible quantité de lumière et l’œil travaille avec une pupille trop petite : ce sont de réels inconvénients. Il est préférable d’utiliser un objectif moins fort, plus épais et de diamètre plus grand, plus avantageux quant à la quantité de lumière reçue mais présentant certains défauts, formant une image réelle agrandie de l’objet observé avec une loupe (ou verre d’œil) associé à un verre de champ pour rabattre les rayons lumineux, ces deux lentilles constituant un oculaire. C’est le système optique des microscopes composés, encore appelés « à trois verres ». Si seuls ceux-ci existent aujourd’hui, ils sont restés longtemps de moins bonne qualité que les microscopes simples et l’usage de ces derniers a la préférence des utilisateurs.
Les microscopes composés les plus anciennement connus datent de 1590. Ils ont été construits par les opticiens lunetiers hollandais Jansen père et fils, qui ont découvert les capacités de l’association de plusieurs lentilles en observant le paysage à travers les vitres (dites aujourd’hui « culs de bouteille ») des fenêtres de leur atelier. Ceux de Fontana en 1618 et de Drebbel en 1621, quoique inspirés des précédents, sont également célèbres.
À la même époque, Galilée aussi construit un microscope, mais c’est pour la construction, en 1609, de sa lunette (inventée par Hans Lipperhey en 1608) qu’il est plus célèbre. En 1667, Robert Hooke, dans son traité Micrographia (le nom de microscope fut officiellement créé en 1645 par Demisiano, bien qu’un contemporain des Jansen, Boreel, ait déjà utilisé ce terme) présente un microscope à trois lentilles en verre coulé de forme déjà classique, avec une table pour porter l’objet, une possibilité de mise au point, un système d’éclairage à condenseur constitué d’un ballon d’eau et d’une lentille plan convexe, avec lequel il observe déjà, semble-t-il, des cellules végétales.
La naissance de la microscopie
On sait donc déjà à cette époque fabriquer des lentilles et le Hollandais Van Leeuwenhoek nous en a transmis de remarquables. Plus que l’inventeur du microscope, comme il est en général présenté, il est celui de la microscopie. Grâce à ses microscopes simples, loupes parfois à deux ou trois verres pour diminuer leur focale en restant de dimension raisonnable, de conception fondée sur une adaptation empirique de leurs caractéristiques optiques à celles de l’œil, il a pu publier, dès 1673, de nombreuses observations qui ont manifestement donné le goût de cette recherche à ses contemporains. Il décrit des bactéries, les protozoaires, les spermatozoïdes, observe l’œil, la bouche, la trompe de l’abeille, détecte les globules du sang et la circulation dans les pattes de grenouille (ce qui avait déjà été observé en 1661 par Malpighi, précurseur en histologie, prouvant la circulation sanguine), et met en évidence les fibres nerveuses, les cellules de l’épiderme ou la structure des poils, notamment.
On lui connaît 247 microscopes, 419 lentilles. Ses microscopes sont simplement constitués d’une lentille sertie dans une plaque métallique (l’anecdote veut que, apiculteur amateur, l’idée lui en soit venue après avoir placé l’œil derrière une goutte de miel enfermée dans un trou de plaque de cire). L’objet est fixé sur une pointe pouvant être déplacée dans son plan en translation et rotation et le long de l’axe optique pour assurer la mise au point.
La microscopie ne connaît pas de développement notoire au cours du XVIIIe siècle. On se livre à des observations des mêmes objets et on construit sur les mêmes principes des microscopes qui sont plus souvent des objets d’art que des instruments fiables. C’est une simple activité de salon. On apporte, pour le confort de l’observation, quelques améliorations sur la mécanique de l’instrument et dans l’éclairage de l’objet, notamment grâce à Lieberkuhn, à Berlin, en 1738. Cette absence de progrès résulte de la limitation de la qualité de l’image par les aberrations. Le microscope simple, en particulier parce qu’il présente moins de chromatisme, recueille encore la faveur des observateurs. Newton, ayant conscience que la lumière est composée de radiations de différentes couleurs, propose d’ailleurs, dès 1672, un microscope à miroir fort encombrant. Dès 1729, l’anglais Chester More Hall déduit de ses observations sur l’œil humain les fondements d’un objectif achromatique constitué de deux verres de dispersions différentes.
Un siècle riche en progrès
Après Euler en 1774, de grands noms (Charles, Brewster, Amici, Fraunhofer, Chevalier, Wollaston) s’intéressent vraiment à la question dès le début du XIXe siècle. Le problème est examiné mathématiquement par les astronomes Herschel, Airy, Barlow. On aboutit enfin aux premiers objectifs achromatiques et, surtout, Lister montre en 1829 qu’il ne suffit pas de grossir le champ, mais que la résolution croît avec l’augmentation de l’inclinaison des rayons lumineux que l’objectif reçoit de l’objet. À la notion de grandissement caractérisant l’objectif s’ajoute donc celle d’ouverture numérique. Les aberrations géométriques, et surtout celle de sphéricité, doivent donc être prises en compte et Lister introduit les premiers doublets achromatiques stigmatiques. C’est dès cette époque (1837) que Ross corrige les défauts introduits par la lame (dont l’épaisseur n’est pas encore normalisée) recouvrant éventuellement l’objet. Des progrès dans la conception des objectifs sont encore dus à Powell, à Nachet père, à Amici qui augmente l’angle d’ouverture admissible par un ménisque et introduit l’immersion. On introduit de nouvelles techniques permettant des différenciations dans l’image, tel le microscope polarisant dû à Talbot en 1834, ou l’amélioration des micromanipulations avec le microscope inversé par Chevalier en 1839 pour les applications à la chimie et par Nachet en 1850 en biologie, instrument connaissant aujourd’hui une faveur particulière en biotechnologie. Pour conserver trace des informations, après leur représentation dessinée au moyen de la chambre claire dès 1823, les premiers clichés photographiques sont obtenus en 1840. Pourtant, près de quarante ans plus tard, quand Roux en réalise avec Pasteur, il doit en faire des dessins pour publication car on ne sait pas encore imprimer les photographies.
Les grandes découvertes
Alors qu’à la fin du siècle précédent, on ne tentait que de détecter microscopiquement l’élément fondamental et l’unité de la vie, le XIXe siècle va être un grand moment de découverte microscopique. La découverte de la cellule signalée par Hooke, précisée par Purkinje en 1825, du noyau par Brown en 1831, opposent la théorie cellulaire et la cytologie à la théorie des fibres jusqu’alors acceptée. On découvre la reproduction cellulaire, le rôle du noyau, la division cellulaire, l’existence du protoplasma. La pathologie cellulaire prend naissance pour remplacer les théories précédentes pour lesquelles le siège de la maladie était l’organe, puis le tissu. La bactériologie et la parasitologie progressent. Les microscopistes découvrent l’agent pathogène, d’où le dépistage des maladies et les cultures à la base des vaccins. On peut citer l’œuvre de Pasteur, les découvertes des bacilles de la lèpre par Hansen en 1874, de la tuberculose par Koch en 1882, de la peste par Yersin en 1894. C’est Laveran, qui isole le parasite du sang humain responsable du paludisme, ce qui lui vaut d’être le premier Français à obtenir le prix Nobel de médecine en 1907. On assiste aussi à cette époque aux débuts prometteurs de la minéralogie par la découverte de la structure cristalline et de sa genèse. Cette activité pétrographique est toujours fructueuse pour la recherche des gisements pétrolifères. L’examen microscopique des métaux introduit en métallographie contribuera aussi au développement considérable de la métallurgie.
L’évolution de l’optique
Tous ces travaux créent de nouveaux besoins. Les concepteurs doivent perfectionner les instruments dont la production est devenue industrielle. En 1872, Abbe, chez Karl Zeiss, montre l’importance de l’éclairage et conçoit un condenseur l’optimisant. Son utilisation sera portée à son maximum par Köhler en 1893. L’expérience d’Abbe montre l’importance du rôle des rayons obliques, déjà suggérée par Lister, observée par Leeuwenhoek, clairement formulée trois-quarts de siècle plus tard par Hopkins et Maréchal s’inspirant des travaux de Duffieux. Le microscope se distingue alors des autres instruments d’optique, étant le seul à fournir des images à l’aide de la lumière diffracté recueillie par sa pupille. On s’oriente donc vers l’emploi de plus courtes longueurs d’onde et, en 1904, Köhler propose le premier microscope travaillant en ultraviolet. La résolution n’en est pas vraiment améliorée, mais cette démarche ouvre de nouvelles voies en cytologie, les éléments du noyau des cellules absorbant différemment ces radiations. Ceci contribue au développement ultérieur de la microscopie en fluorescence, d’abord primaire ou directement induite imaginée par Reichert en 1908, puis secondaire, due à l’emploi plus efficace de fluorochromes, expérimentée par Haitinger en 1911.
Le système optique s’améliore encore. En 1886, Abbe, utilisant des verres nouveaux fournis par Schott, introduit les objectifs apochromats corrigés du chromatisme pour trois longueurs d’onde. L’objectif est alors presque parfait. Il faudra presque quatre-vingts ans pour le corriger de sa courbure, ce qui est bien utile en microcinématographie dont les premiers essais ont lieu en 1912.
Malgré ces progrès, certains objets ne sont pas encore visibles en microscopie optique. S’ils sont de taille inférieure à la limite de résolution de l’objectif le plus fort, on fait appel, dès 1903, à l’ultramicroscopie ou à l’éclairage fond noir. S’ils contiennent des constituants invisibles car sans variation d’absorption ou de réflexion, entrant alors dans la catégorie des objets de phase par opposition aux objets d’amplitude, on met en œuvre les techniques interférentielles avec Lebedev en 1930 et Linnik en 1933, moyens aboutissant en 1952 avec Nomarski au contraste interférentiel, aussi riche en information que le contraste de phase, décrit par Zernike en 1934, ce qui lui vaut le prix Nobel en 1953.
Le microscope électronique
Les derniers efforts des opticiens ont été guidés par les possibilités et surtout les besoins de la numérisation des images afin d’en assurer le stockage et d’en tirer des informations numériques par des traitements appropriés. Cette microscopie quantitative a été initiée par le moyen dénommé Flying Spot, décrit par Roberts et Young en 1951. Elle s’est ensuite développée grâce à la microscopie optique à balayage, introduite en 1977 par Sheppard et Choudhury. Plus récemment, dans les années 1980, Pohl et Fisher ont proposé séparément les microscopes en champ proche, remarquables quant à leur résolution en profondeur. L’un de ces instruments met en œuvre l’effet tunnel électronique.