Vitalisme - Mécanisme
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- leurs points communs Le vitalisme va se construire en réaction au mécanisme cartésien.
Il sera précédé de l’animisme de Georg Ernst Stahl (1659-1734). Pour Stahl, qui fut d’abord chimiste (on lui doit le phlogistique) l’organisme est composé d’un ensemble de matière hétérogène, qui naturellement se dissocierait. Il faut donc que quelque chose d’étranger à la physique et à la chimie l’oblige à rester ensemble : l’âme. Cette âme immatérielle fournit une force vitale qui s’oppose à la désagrégation de l’organisme. Plus que chez Descartes, l’immatériel surgit ici dans la physiologie.
Influencé par Stahl mais en reconnaissant l’excès, le vitalisme va tenter de se situer entre le mécanisme et l’animisme.
Le vitalisme repose sur le postulat que le vivant a ses lois propres, ce en quoi la plupart des biologistes pourront se reconnaître. Il est affirmation de l’originalité du vivant par rapport au non vivant, de l’organique par rapport à l’inorganique. Il affirme la spécificité du vivant et par extension des méthodes d’étude du vivant. On ne pourra pas faire de la biologie une simple branche de la physique et de la chimie. Tout le problème est de comprendre et définir en quoi consiste cette originalité du vivant.
Le vitalisme se définit aussi par rapport au fait que l’être vivant est distinct de son milieu et réagit activement aux variations de ce milieu. Des forces vitales spécifiques du vivant sont appelées et , pour définir et expliquer cette originalité du vivant, son fonctionnement et ses réactions, par rapport au non vivant. Ces forces vitales sont placées sur le même plan que par exemple la force de gravitation de Newton. Leurs auteurs leur donne le même statut épistémologique, pour se distinguer de l’animisme de Stahl.
Le vitalisme a matière à se développer car de nombreux phénomènes ne semblent pas pouvoir s’expliquer par la simple mécanique, comme la reproduction sexuée, l’hérédité ou le développement de l’embryon.
Ainsi pour Caspar Friedrich Wolff (1734-1794), de ce qu’on appellera l’école vitaliste allemande, une vis essentialis propre aux organismes vivants permet la transformation de la matière inorganique en matière organique et permet ainsi l’organisation et le développement de l’embryon. Johann Blumenbach (1752-1840) complètera l’explication en adjoignant à la vis essentialis un nisus formativus, principe d’organisation.
En France le vitalisme prend racine à la faculté de médecine de Montpellier. Paul Joseph Barthez (1734-1806) écrit dans ses Nouveaux éléments de la science de l’Homme : « J’appelle principe vital de l’homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. ». Barthez distinguait les phénomènes de la matière de ceux de la vie et de ceux de l’âme, chacun étant régi par des lois spécifiques.
Le plus célèbre des vitalistes français est Xavier Bichat (1771-1802), aussi fondateur de l’histologie. Pour lui « la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » [1]. Pour Bichat, chaque tissu a sa vie propre, des caractéristiques particulières (ce qu’il nomme irritabilité, sensibilité, tonicité). Il écrit aussi « La physique, la chimie se touchent parce que les mêmes lois président à leurs phénomènes. Mais un immense intervalle les sépare de la science des corps organisés, parce qu’une énorme différence existe entre leurs lois et celles de la vie. »
Selon Bichat, pour George Canguilhem [2], les actes de la vie opposent à l’invariabilité des lois physiques leur instabilité, leur irrégularité, comme un « écueil où sont venus échouer tous les calculs des physiciens médecins du siècle passé ». Le vivant échappe au déterminisme et devient imprévisible.
Le vitalisme domine à la fin du XVIIIème siècle, car globalement les naturalistes ne peuvent se satisfaire du mécanisme cartésien. Le vivant ne peut s’expliquer avec les forces physico-chimiques connues alors. Augustin Cournot (1801-1877), mathématicien et philosophe, écrit dans Matérialisme, vitalisme, rationalisme. Étude sur l’emploi des données de la science en philosophie (1875) : « Tous les progrès de l’observation scientifique confirment tellement l’idée d’une distinction radicale entre les lois du monde physique et celles des phénomènes de la vie ».
Il y a donc l’idée d’un être vivant dans un milieu soumis aux lois physiques sans y être soumis lui-même.
« Si la force vitale revêt une telle importance pour le début du siècle dernier, c’est qu’elle joue le rôle que la physique attribuera plus tard à deux concept nouveaux. Les êtres vivants apparaissent aujourd’hui comme le siège d’un triple flux de matière, d’énergie et d’information. A ses débuts, la biologie est en mesure de reconnaître un flux de matière, mais à la place des deux autres, il lui faut recourir à une force particulière », explique François Jacob dans La logique du vivant (cité par Paul Mazliak).
Mais toutes ces forces restent assez mystérieuses, et le vitalisme a ensuite décliné au XIXème siècle, à travers des découvertes qui vont réduire l’espace entre vivant et non vivant :
La synthèse de l’urée, molécule organique, en 1828 par Friedrich Wohlër montre qu’on peut faire de l’organique avec de l’inorganique au laboratoire. Les travaux de Pasteur qui démontrent qu’il n’y a pas de génération spontanée, donc pas de principe vital susceptible de faire apparaître la Vie à partir du non vivant Toutes les découvertes de la biologie moléculaire, avec l’ADN, sa structure, son expression, les protéines et leurs fonctions, qui vont ramener les activités du vivant à des supports moléculaires et à des réactions chimiques. - Il convient de souligner dans cette histoire le rôle de Claude Bernard qui dans ses travaux a montré que les lois de la physique et de la chimie s’appliquaient à l’intérieur de l’organisme, rejetant explicitement tout principe vital ou de force mystérieuse pour parler de déterminisme. Il était nécessaire dans sa méthode que vivant et non vivant soient soumis aux mêmes lois, car s’il n’y a pas de déterminisme, si les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, il n’y a pas d’expérience possible. Il était donc nécessaire de ne pas s’arrêter aux irrégularités pointées par Bichat. C’est en considérant les différents organes dans leurs fonctions au sein de l’organisme qu’il a pu aller au-delà.
Claude Bernard renvoie dos à dos les conceptions mécanistes et vitalistes et emprunte une voie différente avec le concept de milieu intérieur. Il les concilie et les dépasse en en prenant le meilleur, basant ses travaux sur le matérialisme tout en tenant compte de l’originalité du vivant. La physiologie est une vraie science, tout en étant autonome, par son objet et sa méthode. Il fonde sa propre méthode, qui n’appartient plus à la physique ou à la chimie, tout en restant attachée au déterminisme, contrairement à Bichat. Claude Bernard étudie un tout, l’organisme, avec ce milieu intérieur qui est déterminé par les organes et qui les relie.
On peut finalement définir ici ce qui fait peut-être simplement l’originalité de vivant par rapport au non vivant : sa complexité, qui se déroule à plusieurs niveaux. On voit que l’approche réductionniste, si elle est valable et est fructueuse, est limitée en biologie. On ne peut comprendre l’être vivant par l’étude de ses parties séparées. C’est ainsi que Claude Bernard justifie la vivisection et l’expérimentation sur l’animal.
Toutefois Claude Bernard se trouva contraint d’introduire une force directrice en plus des forces physico-chimiques pour rendre compte du développement de l’embryon.
Si le vitalisme a la vertu d’affirmer la spécificité du vivant et des méthodes de la biologie, on voit comme il peut apparaître comme une solution de facilité. On fait appel à une force vitale parce qu’on n’a pas d’explication. Pour Jean Rostand (1894-1977), biologiste et historien des sciences, cité par Canguilhem [3] : « Le mécanisme a, à l’heure actuelle, une position extrêmement solide, et l’on ne voit guère ce qu’on peut lui répondre quand, fort de ses succès quotidiens, il demande simplement des délais pour achever son œuvre, à savoir pour expliquer la vie sans la vie ». Le vitalisme serait alors simplement le refus de ces délais.
Aujourd’hui on ne parle plus de mécanique et d’hydraulique. Ce n’est plus le mécanisme de Descartes mais la vie est expliquée en utilisant la physique et la chimie car nous avons plus de physique et de chimie à notre disposition.
La science montre une vision mécaniste de l’être vivant. Ce n’est plus un automate comme chez Descartes, avec des ressorts et des soufflets. C’est aujourd’hui une mécanique moléculaire, mais le principe est au fond le même : la cellule est le siège, et son activité le résultat, de réactions chimiques en chaînes qui s’entrecroisent, grâce à des protéines, les enzymes, fabriquées sous contrôle d’une autre molécule : l’ADN. Nous le comprenons, bien que la complexité de la relation gène/protéine nous apparaisse de plus en plus grande. Cette cellule produit de l’énergie, prend, libère, reçoit ou émet des informations, se divise… Comment passe-t-on d’un niveau à l’autre, d’une multitude de réactions chimiques à une cellule vivante, c’est ce qu’il est difficile de se représenter.
En 1944, Schroedinger demandait dans son livre Qu’est-ce que la vie ? : « Comment peut-on expliquer à l’aide de la physique et de la chimie les évènements qui se déroulent dans l’espace et dans le temps dans les limites spatiales d’un organisme vivant ? ».
Nous avons là un questionnement matérialiste poussé à son extrême par un physicien : on affirme que le vivant obéit aux lois de la physique et de la chimie et à rien d’autre. C’est cette voie, strictement matérialiste, qui a été suivie depuis Claude Bernard.
car une machine est construite dans un but précis.
Une machine est un objet hautement finalisé qui par définition est construite par un ingénieur pour remplir une tâche. Il ne peut y avoir de machine sans constructeur. C’était ainsi pour Descartes et son animal machine, et c’est pour lui Dieu qui tient ce rôle, bien que ce mécanisme soit explicitement lié à une démarche matérialiste. C’est ainsi aussi pour les tenants de l’Intelligent Design (IDers) pour les organes dans l’organisme, mais aussi pour la machinerie moléculaire de la cellule, qui donc amènent à l’idée d’un designer. Ce n’est pas un hasard si certains des plus éminents IDers sont des biochimistes, formés à décrire cette machinerie, comme Michael Behe.
G. Canguilhem fait remarquer, « il y a plus de finalité dans la machine que dans l’organisme, parce que la finalité y est rigide et univoque, univalente. » « Dans l’organisme au contraire, on observe une vicariance des fonctions, une polyvalence des organes ». Il contredit ici Aristote, qu’il cite : « la nature ne procède pas mesquinement comme les couteliers de Delphes dont les couteaux servent à plusieurs usages, mais pièce par pièce, le plus parfait de ses instruments n’est pas celui qui sert à plusieurs travaux mais à un seul ». [5]
On connait de nombreux exemples d’organes jouant plusieurs rôles dans l’organisme, ce qui peut s’expliquer par leur histoire évolutive. Cette finalité imparfaite, témoin de l’évolution, est une limite du finalisme, et du mécanisme.
- L’histoire du vitalisme est intéressante aussi à titre d’exemple, pour jeter un éclairage sur d’autres questions qui ne sont pas encore refermées. Je voudrais en particulier faire un parallèle entre cette question de la Vie et celle de la conscience, de l’esprit humain, question si importante dans l’évolution dés que l’on s’approche de l’histoire de l’Homme.
On retrouve dans les deux cas des interrogations du même ordre, en particulier une interrogation sur la continuité : d’un côté y a-t-il ou non continuité entre la matière inerte et la matière vivante ?, de l’autre y a-t-il ou non continuité entre l’intelligence animale et l’intelligence humaine ? Dans les deux cas la question est : s’agit d’une différence de degrés ou d’une différence de nature ?
Interrogation sur l’origine et la nature, matérielle ou supra naturelle. Quelles sont les réponses proposées pour la conscience humaine ?
D’un côté nous avons le matérialisme scientifique qui malgré les immenses zones d’ombres qui subsistent encore dans les neurosciences suppose que la conscience s’expliquera par et uniquement par les propriétés des neurones et des réseaux nerveux, éventuellement en faisant appel à des propriétés émergentes. C’est une explication que la science est (pour l’instant ?) incapable de fournir, il faut bien l’avouer. D’un autre côté nous avons l’âme rationnelle d’Aristote, l’esprit immatériel du dualisme cartésien, l’âme de la religion. Dans cette opposition, il est facile de reconnaître une opposition similaire à l’opposition mécanisme/vitalisme, avec d’un côté une doctrine matérialiste éloignée du sens commun et sans magie et de l’autre côté une doctrine plus intuitive mais qui sort facilement du champ de la science, ces deux oppositions pouvant se confondre ou se prolonger.
On retrouve ici une difficulté à se représenter la complexité et c’est ici que surgit la tentation vitaliste face à une complexité que je ne parviens pas à démêler et à expliciter, j’appelle ce qui me paraît un peu magique force vitale et je m’en satisfais.
De la même manière dans le cerveau, cette complexité qui me dépasse, je l’appelle l’âme, l’esprit, et je le sépare du matériel. C’est aussi la tentation animiste. La différence par rapport à la précédente, c’est qu’ici la science n’a pas (encore ?) de réponse complète à donner.
L’histoire du vitalisme, et plus précisément Claude Bernard, nous enseignent ce à quoi ressemble une réponse acceptable pour la science : la théorie de l’évolution, fondée sur le matérialisme et utilisant uniquement les propriétés de la matière, est une réponse acceptable. Le dessein intelligent ne l’est pas, pas plus que l’énergie ascendante de Teilhard de Chardin.
Conceptions erronées et origines possibles
- Le vitalisme biologique ,formulé par concept d'élan vital.Bergson soutient qu'il est indispensable d'introduire un concept occulte pour mieux saisir la vie qui elle-meme dépasse par nature le cadre mécaniste et réductionniste de la science physico-chimique.
Cette audace vitaliste est considéré par les scientifiques comme le défenseur d'une sorte de mysticisme pseudo-scientifique aujourd'hui réfuté. Dans l’étude de Simard, deux conceptions erronées semblent encore particulièrement présentes dans l’esprit des futurs professeurs. Il s’agit d’abord du finalisme, cette idée que les structures ou organes des êtres vivants que l’on observe aujourd’hui sont ainsi faits pour remplir une certaine fonction. En d'autres termes, on attribue une forme d’intentionnalité à l’évolution du vivant, ce qui peut alors entraver sérieusement la compréhension même des concepts à la base de l’évolution dont l’adaptation , la sélection naturelle , les mutations et la notion de hasard.
Or le finalisme semble accepté à 90 % selon les critères de l’étude de Simard. Ce qui n’est pas si surprenant considérant les travaux en psychologie cognitive qui relève une prédisposition de l’humain à réfléchir le monde sous une forme d’intentionnalité, de finalité. Et Simard rappelle ces erreurs classiques : « Les oiseaux ont des ailes parce qu’ils doivent voler » (alors que le vol est une adaptation accidentelle au fait que l’air peut avoir une certaine portance) ou « Les plantes libèrent de l’oxygène, car les animaux en ont besoin pour survivre » (alors que c’est plutôt les animaux qui se sont adaptés à ce sous-produit, au départ toxique pour eux, du métabolisme des plantes).
Autre erreur notable signalée par l’étude : un répondant universitaire sur deux adhère à l’idée qu’un principe abstrait s’ajoute à la matière pour créer le vivant, influencé encore en cela par l’animisme d’un Aristote ou le vitalisme d’un Bichat. Alors que l’on sait aujourd’hui qu’il n’y a rien de tel et que la vie est une propriété qui émerge d’un certain niveau d’organisation de la matière et d’une certaine complexité des réseaux métaboliques (au sein de structures autopoïétiques , me permettrais-je même d’ajouter pour avoir l’air savant…).
Une telle préconception métaphysique ne peut donc encore une fois que faire obstacle à un enseignement actualisé de ce qu’est le vivant et de ce qui le distingue de la matière inerte.
L’étude note toutefois que cette idée d’un principe vital pour donner la vie à la matière inerte, est rejetée par 80 % des répondants ayant une culture scientifique plus approfondie en biologie. Et c’est sans doute là que réside l’espoir car d’autres études citées dans l’article ont aussi démontré que la confrontation aux savoirs actuels non seulement en biologie mais aussi en chimie et en physique (sur lesquelles repose la biologie) permet d’atténuer ces conceptions vitalistes, finalistes ou même fixistes (cette conception prisée par les créationnistes qui sous-entend que les espèces vivantes n’évoluent pas).
Enfin, dernier exemple dont j’avais parlé dans une présentation intitulée « Pourquoi pas la neurobio pour enfants ? », celui du concept de plasticité cérébrale qui, lorsqu’enseigné en bas âge, permet d’atténuer la pensée fausse que ce qu’on appelle l’intelligence serait quelque chose de fixe et de déterminé pour un individu donné. Les erreurs ne sont plus alors vues comme un constat d’échec ou d’intelligence limitée, mais comme une occasion d’apprentissage, de dépassement et d’amélioration.
Tout cela pour dire que c’est de ces choses-là (et de bien d’autres) que j’aime parler dans mes « Écoles de profs ». C’est pour ça que je passe pas mal de temps à parler d’évolution avant de commencer à distinguer ce qui relève de l'ancienne ou de la nouvelle "grammaire neuronale" . Et aussi pourquoi je consacre une séance complète au rapport du corps avec son environnement , incluant des notions d’épigénétique allant à l’encontre du paradigme du « tout génétique » malheureusement encore trop dominant.
Bref, si c’est le genre de discussion qui vous intéresse, n’hésitez pas à me contacter . C’est mon pain et mon beurre, mais aussi toujours un grand plaisir et un enrichissement constant pour moi de discuter de ces choses avec des gens qui se heurtent aux mêmes problèmes que moi par rapport à ce « nettoyage » nécessaire des scories des conceptions du passé quand on enseigne quelque science que ce soit.
i_lien La « vie » et le « vivant » : de nouveaux défis à relever dans l’éducation i_lien Épistémologie de la biologie et conceptualisation du vivant chez des futurs enseignants et biologis............................................................................... ................................................................................ ................................................................................
Conceptions: Origines possibles
- Vers la fin de la Renaissance, indissociable de la révolution scientifique, le vitalisme réapparait. Le retour au rationalisme scientifique relance la recherche, philosophique tout d'abord, sur l'origine, le principe et le dessein de la vie. C'est à ce moment que le vitalisme et le mécanisme vont se formaliser et les théories s'opposer.
Dans une lettre au marquis de Newcastle, René Descartes pose les bases du mécanisme :
« Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas ; car cela sert même à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressort, ainsi qu'une horloge, laquelle montre bien mieux l'heure qu'il est que notre jugement ne nous l'enseigne. »
La comparaison des animaux et de l'horloge est doublement importante. D'une part, la vie animale est réduite à une somme de processus mécaniques qui, bien qu'incompris, ne doivent rien au surnaturel ou au spirituel. D'autre part, cette conception de l'animalité trace une frontière très forte entre l'animal déterminé par la nature et l'homme libre par l'esprit. Ainsi, l'homme et l'animal sont, par essence, irréductibles à un principe vital commun.
Bien que les sources écrites manquent, il est admis que Paul-Joseph Barthez est l'instigateur de la doctrine vitaliste. À l'origine, cette théorie est surtout une réfutation de celle de Théophile de Bordeu qui considérait les organismes complexes comme un agrégat de plusieurs formes de vie distinctes. Selon ce médecin de Montpellier, chaque glande était douée d'une « vie propre », liée à une sensibilité et une motricité relative. Cette conception de la vie s'apparente d'ailleurs en certains points à la conception aristotélicienne de la vie, c'est-à-dire une vie divisible selon ses attributs : croissance, sensibilité, locomotion et intelligence. Contre Bordeu, Barthez pose donc l'existence d'un principe vital supérieur englobant toutes ces subdivisions, ce qui donnera naissance au vitalisme. C'est ainsi qu'il écrit, dans Nouveaux éléments de la science de l'homme (1778) :
« J'appelle principe vital de l'homme la cause qui produit tous les phénomènes de la vie dans le corps humain. Le nom de cette cause est assez indifférent et peut être pris à volonté. Si je préfère celui de principe vital, c'est qu'il présente une idée moins limitée que le nom d'impetum faciens, que lui donnait Hippocrate, ou autres noms par lesquels on a désigné la cause des fonctions de la vie. »
Xavier Bichat.
À l'époque, le mérite principal du vitalisme est de redonner son sens et son originalité à la vie, réduite à l'extrême depuis Descartes et la conception mécaniste de la vie qu'il a imposée en assimilant la vie organique à un automate infiniment compliqué, mais régi par les lois de la matière inanimée. La théorie de Barthez sera reprise par Xavier Bichat qui enracine le vitalisme dans une authentique démarche scientifique. Il considère la vie comme l'ensemble des fonctions qui s'opposent à la mort et sur la base d'une analyse fine de ces fonctions, il pose que le principe vital, qui sous-tend toutes les opérations de la vie, est une résistance à la mort, entendue comme altération des objets physiques. Il y aurait donc une contradiction manifeste, un conflit pourrait-on dire, entre les dynamiques de la matière (qui vont dans le sens de la dégradation) et celles de la vie (qui vont dans le sens de la conservation). Cette cohérence théorique appuiera le succès du vitalisme dans l'opinion.
Jean-Baptiste de Lamarck, plus connu pour sa théorie transformiste et sa monumentale œuvre de naturaliste, s'opposera sur le plan scientifique au vitalisme et militera activement pour la réduction de la vie à des phénomènes physico-chimiques[réf. nécessaire]. Quant à Claude Bernard, il critique le vitalisme pour son incompatibilité avec les méthodes expérimentales qui, seules, donnent une valeur scientifique aux théories soutenues dans le domaine des sciences de la nature (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale).
Déclin du vitalisme Le déclin du vitalisme scientifique connaît trois grands tournants :
Tout d'abord, en 1828, Friedrich Wöhler effectue accidentellement une synthèse de l'urée, composé spécifiquement organique. Fondatrice pour la chimie organique, cette expérience fortuite est aussi un coup dur pour le vitalisme : un composé propre à la vie a pu être « créé » dans un laboratoire de chimie, ce qui est un indice fort en faveur du mécanisme. Ensuite, les expériences de Louis Pasteur sur les microbes et la génération spontanée constituent une étape vers l'abandon du vitalisme scientifique. En effet, un des faits auxquels se reportaient les vitalistes d'alors était qu'en remplissant un pot de farine, puis en le scellant hermétiquement, on voyait apparaître après quelques semaines ou quelques mois de petits vers de farine (Tenebrio molitor). Ils croyaient ainsi pouvoir affirmer que la vie était générée spontanément et qu'elle découlait donc d'un principe générateur propre, qu'il existait une force vitale. Pasteur a montré que ces phénomènes de génération spontanée étaient en réalité dus à la présence de larves microscopiques dans la farine avant même l'insertion de celle-ci dans les pots. Réconciliation du mécanisme et du vitalisme dans le système kantien Le mécanisme est le double inversé du vitalisme : selon les doctrines mécanistes, la vie n'a aucune spécificité, le monde organique étant entièrement réductible aux lois de la matière. La deuxième partie de la Critique de la faculté de juger d'Emmanuel Kant présente l'opposition entre mécanisme et vitalisme comme une antinomie (Dialectique de la critique de la faculté de juger téléologique, § 69-78). La solution que propose Kant au conflit entre ces deux doctrines est la suivante :
penser l'animal comme organisé en vue d'une fin, car on ne peut pas le comprendre autrement ; connaître l'animal seulement en tant que produit du mécanisme, car la finalité n'est pas un concept issu de l'expérience. Vitalisme et philosophie contemporaine Le vitalisme bergsonien Dans L'Évolution créatrice (1907), Henri Bergson adopte une position philosophique vitaliste qui se veut compatible avec les découvertes scientifiques de son temps. Il fonde l'idée que la vie est la liberté s'insérant dans la nécessité pour la tourner à son profit4. Il développe notamment le concept d'élan vital :
« Mais les causes vraies et profondes de division (du vivant) étaient celles que la vie portait en elle. Car la vie est tendance, et l'essence d'une tendance est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des directions divergentes entre lesquelles elle partagera son élan5. »
Il ne s'agit pas de voir dans l'élan vital un retour aux principes obscurs du vitalisme. Il fallait néanmoins un terme qui échappât aux deux principaux modes d'explication du vivant : le mécanisme et la vitalité6. Bergson s'en explique dans L'Évolution créatrice : c'est dire qu'on verra dans l'évolution tout autre chose qu'une série d'adaptations aux circonstances, comme le prétend le mécanisme, tout autre chose aussi que la réalisation d'un plan d'ensemble, comme le voudrait la doctrine de la finalité 7.
Postérité du vitalisme : les sciences et la philosophie Le vitalisme a mauvaise réputation auprès de nombreux biologistes modernes qui l'identifient à une introduction en contrebande de l'anthropomorphisme et du finalisme dans l'explication physico-chimique de la vie. Ainsi, le biochimiste Jacques Monod, notamment, l'a critiqué dans son ouvrage Le hasard et la nécessité (1970) en s'appuyant sur les avancées de la génétique et de la biologie moléculaire. Dans le même chapitre, il qualifie d'ailleurs le vitalisme de Bergson de « vitalisme métaphysique » aux consonances poétiques. Selon Monod, le maintien des thèses vitalistes est une émanation du scepticisme à l'égard des sciences, de leur travail de réduction de l'homme aux lois de la nature qui rend, d'une certaine manière, caduque la morale et ses valeurs spirituelles prétendument absolues. Mais il s'agirait également d'un besoin pour l'équilibre psychique de l'homme : Nous nous voulons nécessaires, inévitables, ordonnés de tout temps. Toutes les religions, presque toutes les philosophies, une partie même de la science, témoignent de l'inlassable, héroïque effort de l'humanité niant désespérément sa propre contingence8.
Ce regard de la science sur le vitalisme est sévère et pourtant, à en croire Georges Canguilhem, le vitalisme serait, en tant que position de principe, quasi irréfutable. Il incarne à ce titre la confiance […] dans la vitalité de la vie et la méfiance permanente de la vie devant la mécanisation de la vie9. Le vitalisme médical de l'école de Montpellier serait ainsi l'expression d'une méfiance, faut-il dire instinctive, à l'égard du pouvoir de la technique sur la vie9.
Si peu de biologistes actuels se disent « vitalistes », un certain nombre de philosophes contemporains – comme Georges Canguilhem ou Hans Jonas – se réclament encore de cette doctrine.
Quant à Gilles Deleuze, il écrira dans Pourparlers :
« un artiste ne peut pas se contenter d'une vie épuisée, ni d'une vie personnelle. On n'écrit pas avec son moi, sa mémoire et ses maladies. Dans l'acte d'écrire, il y a la tentative de faire de la vie quelque chose de plus que personnel, de libérer la vie de ce qui l'emprisonne. […] Il y a un lien profond entre les signes, l'événement, la vie, le vitalisme. C'est la puissance de la vie non organique, celle qu'il peut y avoir dans une ligne de dessin, d'écriture ou de musique. Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. Il n'y a pas d'œuvre qui n'indique une issue à la vie, qui ne trace un chemin entre les pavés. Tout ce que j'ai écrit était vitaliste, du moins je l'espère…10 »
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Pour citer cette page: (- Mécanisme)
ABROUGUI, M & al, 2020. Vitalisme - Mécanisme. In Didaquest [en ligne]. <http:www.didaquest.org/wiki/Vitalisme_-_M%C3%A9canisme>, consulté le 21, novembre, 2024
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