Faut-il redouter les hydrates de méthane ?

De Didaquest
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Pourquoi diantre se préoccuper du méthane, tout d'abord ?

Bien que "on" se focalise souvent sur le seul CO2 quand "on" parle de gaz à effet de serre, il n'en reste pas moins que le CO2 n'est pas le seul de ces gaz à être mis dans l'atmosphère par l'homme : environ un tiers de nos émissions se compose d'autre chose, et dans cet "autre chose" une bonne moitié est due au méthane.




Répartition approximative des émissions humaines de gaz à effet de serre par gaz, en pourcentage, hors ozone, pour l'année 2000. Source : GIEC


Or le méthane, comme le CO2, est aussi un gaz "naturel" à effet de serre, en ce sens que, avec ou sans hommes, il y a du méthane dans l'atmosphère. Ce que nous avons fait durant les 2 siècles écoulés n'est pas d'avoir mis du méthane dans une atmosphère qui n'en comportait pas, mais d'avoir augmenté la quantité de méthane qui s'y trouvait.




Concentration atmosphérique en méthane depuis l'an mil, en parties par milliard (une partie par milliard = un millilitre pour 1000 m3). Source : GIEC


Dire qu'il y a naturellement du méthane dans l'atmosphère, c'est donc dire qu'il y a des sources de méthane qui ne viennent pas de l'homme. Et s'il y a de telles sources, il devient alors légitime de se demander si un début de changement climatique ne risque pas d'augmenter les émissions "naturelles" de méthane, exactement comme cela pourrait être le cas avec le CO2. Accessoirement, dire que cette concentration était stable avant l'intervention des hommes, c'est aussi dire qu'il y a des mécanismes naturels d'épuration, sinon les sources naturelles feraient grimper la concentration jusqu'à l'infini, ce qui assurément n'est pas le cas !

La même question de l'influence du climat se pose donc aussi pour les "puits" naturels, où il est tout aussi légitime de se demander si un début de changement climatique affaiblit, renforce, ou ne modifie pas l'épuration de l'atmosphère en méthane. Nous pouvons commencer par la fin, et donner dès à présent la réponse à cette dernière question, car c'est la plus facile : un climat modifié n'aura hélas que peu d'influence sur l'oxydation lente du méthane dans l'atmosphère, qui est la manière dont il en est évacué.

Combien d'hydrates sous nos pieds (et sous les nageoires des dauphins) ?

Maintenant que nous savons ce qu'est un hydrate de méthane et comment il se forme, vient la question de la quantité globale de ce composé sur terre, car c'est à partir de là que nous pourrons estimer les risques liés à un largage rapide de tout ou partie de ce méthane dans l'atmosphère. Or répondre à cette question à 100 euros (en fait à beaucoup plus comme nous allons le voir !) est tout sauf une affaire triviale. Une première chose que l'on peut faire pour progresser vers la lumière est "d'éliminer" les endroits où il ne peut pas y avoir d'hydrates, ou pas beaucoup, parce qu'un des ingrédients de la recette n'est pas disponible :

  • il ne peut pas y en avoir si la pression est trop faible, ce qui exclut les trop faibles profondeurs d'eau, et en particulier l'essentiel des plateaux continentaux, sauf dans les régions polaires



Ce graphique permet d'expliquer quelles sont les zones où il va être a priori possible (ou impossible) de trouver des hydrates. Les diverses indications qui y sont représentées sont les suivantes :

- la courbe rouge intitulée "gradient géothermique" représente la température moyenne de l'eau sous la surface de l'océan, à des lattitudes moyennes (en fait, quelle que soit la latitude, la température de l'eau à quelques centaines de mètres de profondeur est presque la même, à quelques degrés près), puis des premières centaines de mètres de sédiment. L'axe horizontal du haut donne la température, l'axe vertical de gauche la profondeur approximative. La température commence par baisser à mesure que l'on plonge, en fait tant que l'on reste dans l'eau (car de moins en moins d'énergie solaire chauffe l'eau), puis se met à augmenter quand on descend dans le sol à cause de la chaleur géothermique, qui se dissipe mal en milieu solide, et permet donc une accumulation thermique quand on se rapproche de la source.

- la zone de stabilité potentielle des hydrates (zone colorée en jaune en bas à gauche), délimitée par une courbe donnant la température maximale qui permet l'apparition d'hydrates selon la profondeur (qui donne la pression : chaque 10 m d'eau en plus rajoute l'équivalent de la pression atmosphérique). Pour des raisons physiques (c'est de la thermodynamique), il est impossible que des hydrates puissent exister à droite de cette courbe. On peut lire cette dernière de deux manières, en se référant à la température (axe horizontal, en haut) ou à la profondeur (c'est-à-dire à la pression, axe vertical à gauche). Par exemple, pour une température de 4 °C, on peut trouver des hydrates à partir de 450 m de profondeur, mais au-dessus de cette valeur la pression n'est pas assez forte pour que ce cristal mixte puisse se former (il n'y a donc pas d'hydrates dans les régions du globe où la température de l'eau est supérieure à 4°C et la profondeur inférieure à 450 m). Lue dans "l'autre sens", la courbe qui délimite cette zone indique que, à 800 m de profondeur, on peut éventuellement trouver des hydrates tant que la température est inférieure à 10 °C, mais plus ensuite, etc.

Comme les hydrates ne peuvent rester que dans les sédiments (ce composé est moins dense que l'eau, donc si il apparaît dans l'eau ou qu'il y migre depuis les sédiments il remonte vers la surface en se désagrégeant), on peut donc en trouver entre le plancher océanique, et la profondeur à laquelle la température est suffisemment remontée pour que l'on "sorte" de la zone de stabilité. C'est ce qui arrive à la profondeur dans les sédiments matérialisée par l'intersection entre la courbe "gradient" et la limite de la zone jaune. La limite inférieure des hydrates, dans les analyses sismiques, engendre un écho particulier qui ressemble à celui du fond de l'océan, ce qui explique le terme "réflecteur" mentionné sur ce dessin.

Source : USGS, 2005


Il ne peut pas y en avoir beaucoup quand il y a de très grandes profondeur d'eau, tout simplement parce que, à quelques exceptions près, il y a peu de vie marine dans l'océan du large, donc peu de plancton qui sédimente au-dessus des grandes profondeurs d'eau, et donc peu de méthane dans le sédiment. Or le méthane doit avoir saturé l'eau dans lequel il est dissous pour que se forme de l'hydrate.

Il résulte de ce qui précède que, pour l'essentiel, les hydrates sont supposés être sur les talus continentaux, ces zones qui plongent des pleateaux continentaux vers les abysses, et où la profondeur d'eau est de quelques centaines de mètres, sauf pour les zones polaires où il peut aussi y en avoir sur les plateaux continentaux (mais il faut quand même 300 mètres d'eau au moins comme le rappelle la figure du haut de l'encadré ci-dessus).

Quand il y a une suspiscion de trouver des hydrates de méthane quelque part, comment faire pour en avoir le coeur net ? La première technique, peu précise mais utilisée pour "ratisser large", est la sismique. En effet, les hydrates ont une conductivité du signal sonore très largement supérieure à celle du sédiment "ordinaire", de telle sorte que quand un fond contient des hydrates en quantité notable l'écho de la zone contenant ces hydrates est plus faible que celui du reste des sédiments. En plus, le bas de cette zone (qui est le bas de la zone de stabilité des hydrates, à cause de la chaleur des entrailles de la terre, comme expliqué ci-dessus) engendre un écho très caractéristique qui ressemble fortement à celui du fonds de l'océan.



Exemple d'écho obtenu lors d'analyse sismique des fonds marins où la présence d'hydrates de méthane est suspectée. Deux "frontières" engendrent un écho quasiment identique : le plancher océanique (Sea Floor), et le bas de la zone de stabilité des hydrates (BSR, pour Bottom Simulating Seismic Reflexion, ou autrement dit "simulation de fond marin"). Les chiffres à gauche représentent le nombre de secondes qui séparent l'émission du signal de la réception de l'écho.

Source : USGS, 2005


Ensuite, quand la sismique a permis de repérer une zone qui pourrait bien contenir des hydrates, il faut faire des trous, comme souvent en géologie. Le trou en question, effectué au fond de l'océan, sert à 2 choses :

  • il sert d'abord à prélever une carotte, bien sûr, dans laquelle on va chercher à voir si il y a ou s'il y a eu des hydrates. Mais les "hydratologues" partent avec un sérieux handicap par rapport à tous leurs collègues qui font des trous au fond de l'océan. En effet, pour ces derniers, ce qui est remonté à bord du bateau est identique à ce qui a été prélevé dans les fonds. Pour les hydrates, pas de chance ! comme la pression baisse en cours de remontée du sédiment, l'hydrate sort de sa zone de stabilité et se dissocie partiellement. De la sorte, ce que l'on voit dans la carotte remontée n'est pas identique à ce qui a été prélevé, et il n'est même pas facile de savoir "combien différente" la carotte était au fond de l'eau par rapport à ce que l'on voit sur le pont du bateau !
  • le trou sert ensuite - ou en même temps qu'il est fait - à y promener des instruments divers, pour mesurer la résistivité du sédiment en place, l'émission d'infrarouges du même sédiment, et encore quelques autres petites babioles, qui fourniront autant d'indications précieuses pour savoir si des hydrates sont présents tout le long de la carotte, quand bien même ils auraient partiellement disparu quand le prélèvement sera remonté à bord du bateau.



Exemple d'analyses effectuées par des instruments "promenés" dans le trou effectué par un carottier au fond de l'océan, ou effectuées le long de la carotte remontée. L'axe vertical de gauche indique la profondeur, en mètres, sous le fond de l'océan. BSR signifie encore Bottom Simulating Seismic Reflexion. Les indications trouvées sur ce graphique sont les suivantes :

  • Les étoiles rouges indiquent la quantité d'hydrates trouvés dans le sédiment remonté par le carottier (qui est un modèle spécial qui "remonte tout" dans un tube étanche) ; l'échelle est donnée par l'axe horizontal du bas,
  • les barres grises représentent les anomalies de température mesurées dans le trou par une caméra à infrarouges, car un refroidissement local correspond à une dissociation d'hydrate (échelle du haut, K = kelvin),
  • la ligne rouge représente la concentration en chlore dans l'eau contenue dans les pores du sédiment, et c'est un marqueur de la présence d'hydrates, car la formation de ces derniers s'accompagne le plus souvent de l'expulsion de sels chlorés qui se dissolvent ensuite dans l'eau.

Source : Anne Tréhu et al., Joides Journal, 2003


Comme on le voit, même en faisant des trous, savoir exactement combien il y a d'hydrates dans ce qui est prélevé n'est pas nécessairement trivial. En plus, les carottages seuls présentent une limitation importante dans un milieu solide : on peut très bien passer d'une concentration très forte à une concentration quasi-nulle en quelques kilomètres. C'est le cas pour à peu près tout minerai de métal, pour une veine de charbon, ou encore... pour la teneur en carbone du sol (qui peut varier d'un facteur 10 en parcourant moins d'un kilomètre à l'intérieur de la forêt de Fontainebleau !).

La technique appliquée pour les composés dissous dans un fluide (je fais quelques prélèvements, puis j'extrapole à l'ensemble du fluide) ne sont donc plus valables pour donner un ordre de grandeur pour des milieux solides. Cela étant, les carottages, même avec leurs défauts, sont quand même indispensables, car ils représentent le seul moyen d'aller voir ce qui se passe de près, outre qu'ils permettront d'étalonner les outils d'analyse sismique, lesquels peuvent par contre permettre d'estimer des concentrations moyennes sur de larges zones.

Il résulte de ce qui précède (phrase favorite des "matheux" !) que pour obtenir une bonne idée de la quantité d'hydrates stockée dans les fonds marins il faudrait idéalement forer tous les 10 mètres pour l'ensemble de l'océan, avec un carottier qui ne laisse rien échapper de ce qui est remonté. Comme les carottiers qui permettent de conserver l'intégralité du méthane présent dans le sédiment ne datent que de 2002, le lecteur comprendra facilement que nous n'y sommes pas encore.

Les évaluations publiées sur la quantité globale d'hydrates de méthane sur terre sont donc obtenues avec des informations parcellaires et doivent être considérées avec prudence. Comme la proportion d'hydrates dans les sédiments qui en contiennent peut varier du tout au tout, de quelques %, disséminés sous forme de petits filets ou nodules de quelques millimètres (cas de figure le plus courant), à plusieurs dizaines de %, en quelques points d'accumulation particuliers, il est facile de comprendre que l'hypothèse retenue pour le taux moyen d'hydrates dans les sédiments peut faire varier les estimations globales d'un facteur 10 !

Une première synthèse possible de l'information disponible est tout simplement de cartographier les endroits où des hydrates ont été prélevés, ou sont probablement présents au vu des analyses effectuées (ci-dessous).



Régions du monde où la présence d'hydrates est avérée par des prélèvements (ronds vides) ou supposée par le biais d'analyses sismiques ou d'analyses de puits dans lesquelles des carottes ont été prélevées (ronds pleins). Source Keith A. Kvenvolden and Thomas D. Lorenson, USGS, 2000


A partir des informations disponibles, des chercheurs de l'USGS (US Geologic Survey) ont évalué le stock d'hydrates sur terre à 10.000 milliards de tonnes de carbone (le carbone représente les 12/16è du poids total du méthane), soit l'équivalent du double de l'ensemble du gaz, du pétrole et du charbon extractibles de la planète. Encore une fois, il s'agit d'un résultat à considérer avec prudence, et si il y a peut-être là matière à quelques inquiétudes pour le climat, comme nous allons le voir, rien n'indique qu'une quantité quelconque de ces hydrates soit commercialement exploitable à l'avenir.



Pourquoi est-ce un problème pour le climat, tout ca ?

Comme le méthane est un gaz à effet de serre, et que par ailleurs c'est le principal composant du gaz naturel (et donc qu'il brûle !), il y a deux évolutions liées à ces hydrates qui pourraient avoir une influence - négative - sur le climat :

  • si ces hydrates sont commercialement exploitables, l'homme sera tenté d'y puiser une nouvelle source d'énergie carbonnée pour faire face à la diminution des autres ressources, par exemple le pétrole, et le recours à ces hydrates comme source d'énergie permettra d'avoir des émissions croissantes de CO2 pendant plus longtemps (en fait certains scénarii d'émission très intensifs en gaz supposent nécessairement que ces hydrates seront exploités),
  • que ces hydrates soient commercialement exploitables ou pas, si la zone où ils se trouvent se réchauffe, ils vont cesser d'être stables, se dissocier, et le méthane s'échappera vers l'atmosphère, contribuant alors à accélérer le réchauffement climatique, puisque le méthane est un gaz à effet de serre.

Le premier cas de figure suppose - bis repetita ! - que les hydrates seront commercialement exploitables à large échelle "un jour". Si leur concentration dans le sédiment ne dépasse pas quelques % en règle générale, rien n'est moins sûr, car il n'est en rien certain que l'on parviendra à trouver un moyen de "ratisser" un milieu solide (les sédiments océaniques) pour en extraire un composé présent à quelques % tout en dépensant moins d'énergie pour ce faire que celle contenue dans le méthane récolté.

Admettons cependant que les endroits où ces hydrates sont suffisemment concentrés soient en nombre tel qu'une bonne fraction de ce composé pourrait servir de source d'énergie. Pouvons nous donner une limite haute aux émissions qui en découleraient ? Si la quantité globale d'hydrates des fonds océaniques est de l'ordre de quelques milliards de tonnes de carbone (c'est une première hypothèse), et si quelques dizaines de % sont extractibles (c'est une deuxième hypothèse), nous nous trouvons là en présence d'une ressource du même ordre de grandeur que le charbon. Or rien qu'avec le charbon nous avons déjà de quoi tellement changer le climat qu'il serait sage d'en laisser la plus grande part sous terre (du charbon), aux possibilités de séquestration près. Ajouter les hydrates au charbon, parce que ce dernier viendrait à manquer, c'est probablement l'assurance de largement dépasser 10°C de hausse de la température planétaire. Serait-ce seulement possible sans que la perturbation du climat ne se charge de nous "calmer" bien avant ?

Même si nous les laissons sous terre (ou sous l'océan), cependant, nous ne pouvons nous désintéresser de ces fichus hydrates. En effet, le réchauffement de la surface planétaire que nous avons mis en route, et qui va s'amplifier de toute façon à l'avenir (mais plus ou moins en fonction de nos émissions, quand même !) va également se propager vers le fond de l'océan, certes très doucement, mais très réellement. Lorsque l'élévation de température se sera propagée jusqu'à la zone de stabilité des hydrates (il faut quand même de l'ordre du siècle), une partie de ceux-ci pourrait se désagréger, et libérer leur méthane qui partira dans l'atmosphère.

La fonte du pergélisol, enfin, pourrait conduire les continents à devenir aussi des sources de méthane : en se propageant lentement vers le bas, l'onde de chaleur engendrera la désagrégation d'une partie des hydrates éventuellement retenus dans le sous-sol des régions arctiques. Le haut de la fourchette, pour l'élévation de température qui pourrait résulter de la libération de méthane des hydrates, dépasse probablement 5 °C, et cela s'ajouterait, bien sûr, à la hausse résultant des émissions directes de l'humanité, et cela s'ajouterait aussi, bien sûr, à la hausse qui pourrait résulter du déstockage rapide du carbone du sol des continents.

Bien sûr, tout cela n'est pas pour demain. Mais comment être sûr que ce n'est pas pour après-demain si nous continuons sur notre lancée ?



Epaisseur (simulée) de la couche recelant potentiellement des hydrates dans les sédiments dans le climat de 1870 (image de gauche) et épaisseur avec le climat simulé pour l'an 2100. La région du monde concernée est le pourtour du pole Nord (l'image est centrée sur le pôle) : on reconnait le Canada à Gauche et la Sibérie à droite. Le scénario d'émission n'est pas précisé dans le document présentant ce résultat. Par ailleurs les épaisseurs sont représentées avec les mêmes couleurs pour les deux images, bien que l'échelle ne soit pas la même !

Source : Stabilising climate to avoid dangerous climate change - a summary of relevant research at the Hadley Centre, Hadley Centre, 2005

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