Méthane autre gaz à effet de serre
Effet de serre, n'oublions pas le méthane
La lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas se limiter à la réduction des émissions de dioxyde de carbone. L'impact du méthane, autre gaz à effet de serre, est crucial. Or, les calculs qui le prennent en compte sont discutables.
Le Conseil des ministres de l'Environnement de l'Union européenne du 30 octobre 2007, soucieux d'éviter un réchauffement global de plus de 2 degrés, a recommandé de « stabiliser la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau proche du niveau de stabilisation le plus bas d'après les évaluations, à savoir environ 450 parties par million en volume (ppmv) d'équivalent CO2 » [1] . Il a rappelé que, « pour ce faire, ces émissions devront atteindre leur maximum dans les dix ou quinze ans qui viennent pour atteindre un niveau inférieur d'au moins 50 % à celui de 1990 d'ici 2050 ». On ne peut que saluer ces prises de décisions politiques. Des mesures de réduction d'émissions vont être enfin planifiées. Pourtant, quand il s'agira d'entrer dans le concret, il faudra être vigilant. Car cette dénomination d'« équivalent CO2 », indifféremment appliquée aux concentrations et aux émissions de gaz à effet de serre, peut être source d'erreurs si sa définition et ses implications ne sont pas bien comprises des experts, conseillers des décideurs politiques.
Équivalent CO2
Le sujet mérite tout d'abord un petit retour sur les concepts. Le dioxyde de carbone est le principal gaz à effet de serre d'origine anthropique, mais il n'est pas le seul. Il en existe de nombreux autres dont les émissions sont aussi en partie responsables du renforcement de l'effet de serre. Il s'agit du protoxyde d'azote, de l'ozone troposphérique, des chlorofluorocarbones, mais aussi du méthane (CH4), émis par les zones humides, l'extraction du charbon, l'industrie gazière et pétrolière, les ruminants, sans compter les décharges à ciel ouvert lors de la décomposition de la matière organique. Ces gaz ne contribuent pas de manière équivalente à l'augmentation de l'effet de serre. Chacun absorbe et réémet les rayonnements d'une façon caractéristique et reste plus ou moins longtemps dans l'atmosphère avant de se dégrader. Dans leurs modèles de simulation, les climatologues utilisent ces données spécifiques et les intègrent selon différents scénarios d'évolution afin d'anticiper les modifications du climat. Pour simplifier l'exposé des résultats, on peut alors légitimement utiliser la notion de concentration en équivalent CO2, concentration dont l'effet, à chaque instant, serait équivalent à celle du mélange de gaz.
La recommandation de stabilisation à « 450 ppmv d'équivalent CO2 » s'appuie sur ces scénarios détaillés prenant en compte le rôle de chaque gaz. Elle peut être atteinte, par exemple, en combinant une division par deux des émissions de CO2, une réduction de 30 % des émissions de méthane et d'autant de protoxyde d'azote en 2050 par rapport à 1990. Une réduction par deux des émissions de CO2 ne permettra pas d'atteindre à elle seule la cible de 450 ppmv d'équivalent CO2, ce qui est l'ordre de grandeur nécessaire pour limiter le réchauffement à 2 degrés. Il faut un effort concomitant sur les autres gaz.
Pourtant seuls les efforts de réduction du CO2 sont cités dans la suite du texte du Conseil européen [1] .
De même, dans les conclusions du Grenelle de l'environnement, après l'affirmation de la volonté de se conformer aux recommandations de l'UE, les mesures proposées concernent exclusivement la réduction des émissions du CO2, sans qu'une seule fois le document final ne mentionne le méthane. Ce manque d'intérêt apparent pour le méthane ou les autres gaz à effet de serre est sans doute à mettre en relation avec l'usage d'outils comptables très simplifiés destinés à évaluer leur rôle dans les politiques de réduction. Tellement simplifiés qu'ils en deviennent erronés quand il s'agit de chiffrer les émissions des différents gaz en tonnes d'équivalent CO2 (teqCO2).
Or la teqCO2 a une signification très précise, souvent oubliée. Elle se définit sur la base du rapport entre l'impact sur le réchauffement climatique d'un gaz à effet de serre donné et celui du CO2. L'impact du gaz sur le climat est, quant à lui, défini comme le cumul du forçage radiatif * qui lui est associé sur une période de temps déterminée après son émission, par exemple cent ans. Pour calculer cette équivalence, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a proposé la notion de « potentiel de réchauffement global » (PRG), qui prend en compte à la fois la manière dont le gaz considéré piégera le rayonnement infrarouge et sa durée de vie dans l'atmosphère. Sa valeur indique la contribution relative au réchauffement de la planète d'une émission ponctuelle d'une tonne d'un gaz à effet de serre particulier sur une période donnée, par rapport à celle d'une émission ponctuelle d'une tonne de CO2 sur la même période. Ainsi, selon le Protocole de Kyoto qui s'appuyait sur des données du GIEC de 1995, le PRG du méthane sur une période de cent ans est de 21.
Ce qui signifie qu'une tonne de CH4 émise ponctuellement aujourd'hui aura, en cent ans, un effet sur le réchauffement de l'atmosphère équivalent à celui de 21 tonnes de CO2 émis ponctuellement aujourd'hui. Depuis Kyoto, cette valeur du potentiel de réchauffement global du méthane a été revue à la hausse. Elle est estimée aujourd'hui à 25.
Si la plupart des conseillers des politiques oubliaient uniquement d'intégrer cette réactualisation, restant figés sur un PRG du méthane à 21, ce ne serait pas très grave. Mais ils oublient aussi que l'utilisation du PRG pour évaluer des émissions suppose impérativement de faire référence à une période d'intégration pour évaluer les effets résultant de ces émissions.
Or un PRG du méthane égal à 21 n'est valable que sur une période de cent ans. L'émission ponctuelle de 1 tonne de CH4 en 2000 ne peut être comptée 21 teqCO2 que sur la base du cumul des contributions respectives au réchauffement du CH4 et du CO2 entre 2000 et 2100. Pour une émission en 2020, un PRG de 21 est valable uniquement pour des effets cumulés entre 2020 et 2120.
En 1992, la première Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur l'évolution du climat se contentait de signaler aux différents pays signataires qu'ils « pouvaient » appliquer les PRG sur une période de cent ans pour traduire leurs inventaires et leurs projections en équivalent CO2. Cette durée est devenue très vite la règle et, comme beaucoup de règles, oubliée. À tel point que, pour la plupart des décideurs, le PRG du méthane est de 21 quelle que soit la période horizon choisie.
Les conséquences sont importantes quant à l'appréciation du rôle du méthane par rapport au dioxyde de carbone. Cela tient à sa durée de vie * dans l'atmosphère, de l'ordre de 12 ans. Elle est courte par rapport à celle du CO2 [fig. 1] . Le PRG du méthane varie donc de façon importante avec la période de temps choisie [fig. 2] . Si celle-ci est différente du siècle, le coefficient d'équivalence ne vaut plus 21 (ou 25).
Il est donc nécessaire de tenir compte de l'écart entre l'année d'émission et l'année horizon.
Prenons un exemple : en 2005 la France a émis 2,65 millions de tonnes (Mt) de CH4 et 341 Mt de CO2. Les émissions de CH4 sont actuellement comptées pour 56 Mt de CO2 (soit 16 % de celles de CO2). C'est parfaitement juste en ce qui concerne les effets intégrés jusqu'en 2105, puisque le PRG utilisé est de 21. Mais faux si l'on se place à l'horizon 2055.
Le PRG du méthane à l'horizon de cinquante ans étant de 42, la valeur « équivalente » en émissions de CO2 est de 111 Mt, soit 33 % des émissions de CO2. L'émission ponctuelle de méthane de 2005 prend alors une importance beaucoup plus grande en termes d'effet sur le climat. Le poids relatif du méthane dans l'un ou l'autre cas varie du simple au double.
Cet oubli de prendre en compte la période horizon n'est pas la seule erreur habituelle. Une autre est de confondre émissions ponctuelles et pérennes.
Or la notion de PRG ne s'applique valablement qu'aux seules émissions ponctuelles à un instant donné. L'appliquer sans précaution à des mesures qui se perpétuent dans le temps afin d'en apprécier les conséquences à un horizon donné peut donc conduire à de graves erreurs d'évaluation.
Facteur temps
Nous avons comparé les effets cumulés jusqu'à cinq cents ans de la suppression définitive, dès la première année, d'une émission d'une tonne de méthane avec celle d'une suppression définitive d'une émission de la même masse de CO2 à partir de la même date [fig.3] .
Émissions réelles
Enfin, on constate que des politiques de réduction des émissions du méthane engagées à court terme peuvent garder une influence à long terme plus importante que ne le laisserait supposer la simple prise en compte du PRG actuel. Négliger plus ou moins fortement l'effet du méthane pour des raisons de calcul inadaptées affecte le caractère plus ou moins exclusif du lien qui peut exister entre le problème des gaz à effet de serre et celui de l'énergie. Non, la lutte contre le réchauffement ne peut pas se résumer à une réduction de l'utilisation des combustibles fossiles. Du reste, si l'augmentation de la concentration du méthane dans l'atmosphère, très rapide après le début de l'ère industrielle, s'est ralentie depuis quelques années pour des raisons encore débattues, un retour à un accroissement rapide, en cas de dégel des régions arctiques par exemple, reste tout à fait possible.
Il est donc important, au moment où le dernier rapport du GIEC met en évidence les conséquences d'une dérive climatique à moyen terme, que des politiques de réduction des émissions de méthane et des autres gaz à effet de serre soient définies sur la base de leurs émissions réelles, en accord avec les scénarios du GIEC et en fonction des objectifs de concentrations qu'il recommande d'atteindre à des horizons donnés. En particulier, en plus de l'indispensable effort de réduction des émissions de CO2, une plus grande attention doit être donnée à la réduction à court terme des émissions de méthane, dont les effets sont élevés à l'horizon de quelques décennies. La période de deux ans de négociation sur l'après 2012, décidée à la récente Conférence de Bali, devrait donc être mise à profit pour engager une nouvelle réflexion sur ce sujet.