Que vont devenir les "puits de carbone" ?

De Didaquest
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L'homme n'est bien entendu pas la seule source de CO2 à alimenter l'atmosphère : de manière parfaitement naturelle, et ce depuis des milliards d'années, l'atmosphère "échange" du carbone avec d'autres stocks de carbone existants sur terre, contenus dans des réservoirs où ce carbone est présent sous une forme ou sous une autre.


Représentation des stocks de carbone sur Terre susceptibles d'alimenter des échanges à l'échelle du siècle (ce diagramme ne représente donc pas le carbone contenu dans le calcaire, qui est de très loin le stock le plus important de la planète), et des flux annuels de carbone, le tout en milliards de tonnes de carbone (notées GtC).

Les flux en noir représentent les échanges "naturels", autrement dit ceux qui étaient les seuls à exister avant le début de l'ère industrielle, et les valeurs en noir pour les stocks représentent l'état (reconstitué) de 1750, avant le début des activités industrielles. Les flux en rouge représentent l'effet des activités humaines (flux renforcés, diminués, ou créés), pour la moyenne de la décennie 1990, et les valeurs en rouge pour les stocks représentent la variation de 1750 à 1994.

Ce diagramme signifie par exemple (les explications complémentaires sont plus bas dans le reste de la page) :

que les sédiments de surface (la fraction des sédiments océaniques qui est au contact de l'eau) contiennent 150 milliards de tonnes de carbone, montant inchangé depuis le début des activités industrielles, que l'océan intermédiaire et profond contenait 37.100 milliards de tonnes de carbone en 1750, montant qui a augmenté de 100 milliards de tonnes de carbone depuis le début des activités industrielles, que les écosystèmes continentaux contenaient 2.300 milliards de tonnes de carbone en 1750 (dans les plantes, les sols et l'humus), montant qui a augmenté de 101 milliards de tonnes de carbone depuis le début des activités industrielles au titre de l'accroissement de la productivité des plantes, mais qui a baissé de 140 milliards de tonnes de carbone sur la même durée à cause de la déforestation et éventuellement du déstockage d'une partie du carbone du sol, que l'atmosphère contenait 597 milliards de tonnes de carbone en 1750, montant qui a augmenté de 165 milliards de tonnes de carbone depuis le début des activités industrielles suite aux émissions de CO2, que le stock de combustibles fossiles (tout agrégé : pétroles, gaz, charbons) valait environ 3700 milliards de tonnes de carbone en 1750 - avant que l'on ne commence à piocher dedans - et que fin 1994 nous avions "déstocké" (en fait brûlé, donc avec transfert de CO2 à l'atmosphère) environ 244 milliards de tonnes de carbone (pour info entre 1994 et 2005 cette valeur a augment de 30%). Il est important de noter que les échanges "naturels" - ou encore pré-industriels - entre l'atmosphère et le reste de la planète sont/étaient équilibrés : dans cette situation, il "monte" 70,6 milliards de tonnes par an des océans et 119,6 GtC par an des écosystèmes continentaux (respiration des plantes, animaux et micro-organismes décomposant les débris organiques), soit 190,2 Gt , et il en "descend" 70 (vers les océans), 120 vers les sols (photosynthèse), et 0,2 sous forme de "lessivage" (le CO2 atmosphérique se dissout dans l'eau de pluie), soit 190,2 également. Des échanges préindustriels équilibrés sont bien évidemment la contrepartie logique d'une teneur atmosphérique en CO2 qui est restée constante sur plusieurs milliers d'années avant 1750.

NB1 : les émissions de CO2 d'origine fossile, qui sont à 6,5 milliards de tonnes de carbone - environ 24 milliards de tonnes de CO2 - par an sur ce diagramme (ce qui correspond à la moyenne de la décennie 1990) sont désormais de presque 8 milliards de tonnes de carbone par an - quasiment 29 milliards de tonnes de CO2.

NB2 : PPB signifie Productivité Primaire Brute (il s'agit du produit brut de la photosynthèse).

Source : GIEC, 4è rapport d'évaluation, 2007.



Comme on le voit dans le diagramme ci-dessus, ces réservoirs et ces échanges sont nombreux et variés. Le plus souvent, que ce soit dans les stocks ou les flux représentés, le carbone n'est pas présent à l'état pur, mais associé à d'autres atomes (dans les combustibles fossiles il est associé à de l'hydrogène pour former des hydrocarbures, dans l'océans il est associé à de l'oxygène et éventuellement de l'hydrogène pour former des ions carbonate et bicarbonate, dans les émissions des océans ou des écosystèmes continentaux il est associé à de l'oxygène pour faire du CO2 ou à de l'hydrogène pour former du méthane (et encore d'autres composés très minoritaires en masse), l'essentiel du stock atmosphérique de carbone se trouve dans le CO2, etc.

Toutefois, dans ce genre de diagramme, on ne mentionne que le poids du carbone présent dans les stocks ou échangés dans les flux, pour pouvoir faire facilement des comparaisons et des correspondances (c'est le même principe que celui de la conversion en "consommation d'alcool pur" lorsque l'on regarde la consommation par pays de boissons alcoolisées). L'ensemble de ces flux s'appelle le "cycle du carbone", et la plus grosse partie de ces échanges sont "naturels". La planète ne nous a pas attendus pour avoir un cycle du carbone ! Pour autant, il est bien évidemment illégitime de déclarer d'entrée de jeu que l'influence humaine est négligeable avant même d'avoir regardé les chiffres en détail.

Pour les échanges dits "naturels" la situation se présente comme suit :

120 Gt - dans chaque sens - sont échangés chaque année entre les écosystèmes continentaux et l'atmosphère. Le flux descendant est bien entendu celui de la photosynthèse, et ce CO2 consommé par les végétaux se retrouve dans le stock de carbone des écosystèmes continentaux. Le flux montant est double : un premier terme (qui fait environ la moitié des 119,6 GtC/an) provient de la respiration des plantes (qui respirent, si si !) et animaux "macroscopiques", le deuxième terme provient de la respiration des organismes "microscopiques", en particulier des micro-organismes qui décomposent les végétaux morts (c'est pourquoi on dit parfois que la moitié du flux montant provient de la décomposition des organismes morts). Ce flux est pour partie saisonnier, car il est notamment nourri par la décomposition des feuilles tombées à l'automne, 70 Gt - dans chaque sens aussi - le sont entre l'océan de surface et l'atmosphère. Ici, point de vie pour alimenter les échanges : la cause est purement physique. Il se trouve que l'eau chaude dissout moins bien le CO2 que l'eau froide, et donc quand on chauffe de l'eau qui contenait du CO2 à sa limite de capacité pour la température de départ (on parle d'eau saturée en CO2) elle ne va pas pouvoir "garder" tout ce CO2 dissous et va en cracher une partie dans l'air. Inversement, quand l'eau se refroidit, elle augmente sa capacité de stockage en CO2 dissous et elle va donc pouvoir "pomper" du CO2 supplémentaire en provenance de l'atmosphère. Cette propriété que l'eau a de disposer d'une capacité de stockage du CO2 qui varie avec la température fournit l'explication aux échanges avec l'océan : là où l'eau océanique est en train de se refroidir, le flux de CO2 va de l'atmosphère vers l'océan ; en pratique ce sont donc les courants océaniques de surface en provenance des tropiques et à destination des pôles (car l'eau était chaude au départ et se refroidit) qui "pompent" le CO2 atmosphérique, là où l'eau océanique est en train de se réchauffer, c'est l'inverse : le CO2 qui devient "en excès" dans de l'eau saturée est émis vers l'atmosphère, la boucle se boucle à cause de la circulation océanique globale : le CO2 émis par l'eau qui se réchauffe a bien évidemment été absorbé à un moment où cette même eau était en train de se refroidir, "ailleurs sur terre", au sein d'un autre courant.



Répartition géographique des échanges mensuels de CO2 entre l'océan et l'atmosphère, calculée à partir de 41 ans de mesures du pH de l'eau de surface et de la vitesse du vent. Les cases jaune / rouge correspondent à un flux "montant" vers l'atmosphère et les cases vert / bleu à un flux descendant.

Il est facile de constater que le flux montant prend essentiellement place dans le pacifique Est, là où les eaux froides et profondes de la circulation océanique mondiale montent à la surface (upwelling) et se réchauffent, largant alors du CO2.

A l'inverse, les courants de surface où l'eau se refroidit (dont le Gulf Stream, à droite de la planisphère) sont des lieux où le flux est "descendant".

Source : GIEC, 4è rapport d'évaluation, 2007.



40 à 50 Gt - dans chaque sens - sont enfin échangés entre l'océan de surface et la vie marine (laquelle, soit dit en passant, représente un stock de carbone ridicule : 3 milliards de tonnes, quand la vie terrestre en fait 1500 !). Le principe est le même que sur terre : les organismes marins végétaux (algues et phytoplancton, essentiellement) consomment du CO2 - dissous dans l'eau, certes - ce qui constitue un puits. Ces organismes sont ensuite soit mangés (vivants ou morts) par des animaux qui respirent (première source de CO2), soit meurent sans être mangés. Dans ce dernier cas, leurs restes sont alors pour une petite partie entraînés vers les fonds marins, où ils sédimentent et/ou alimentent une vie anaérobie (ce qui produit alors du méthane), et pour l'essentiel décomposés par des micro-organismes aérobies dont la respiration restitue du CO2. Si l'homme n'a pas créé le cycle du carbone, il y a rajouté "ses" échanges qui font toute la différence dans le cadre du changement climatique. Il y a d'abord des rajouts directs :

l'émission dans l'atmosphère d'environ 6,5 Gt par an en moyenne sur la décennie 1990 - désormais nous sommes à presque 8 - due à la combustion des énergies fossiles et à la production de ciment, 1,5 Gt environ due à la déforestation. L'essentiel de cette dernière est due à du défrichement pour obtenir de nouvelles terres à vocation agricoles (champs ou pâtures), ce qui engendre deux flux de CO2 : L'essentiel du bois coupé en pareil cas est brûlé (et souvent le défrichement se fait par le feu), ce qui concourt directement à des émissions de CO2, Une fois que la terre est utilisée comme champ, le labourage expose plus fréquemment l'humus à l'air (et plus précisément à l'oxygène de l'air), et cela accélère la décomposition de ce dernier (en fait cela augmente la respiration des micro-organismes aérobie, ce qui n'est pas très étonnant !), avec pour résultat que la teneur en carbone d'un sol cultivé est bien plus basse que celle d'un sol de forêt, ou même de prairie (qui n'est pas labouré), la différence étant alors partie dans l'atmosphère. Contenus approximatifs en carbone par hectare de divers types d'écosystèmes. Il est facile de constater que le contenu en carbone des terres de culture est bien plus bas que celui des divers types de forêt.

Source : GIEC, 2001



Dans le jargon "effetdeserrien", les émissions liées à la déforestation sont souvent désignées sous le vocable "changement d'usage des sols" : on change l'usage d'un sol quand il ne sert plus à héberger une forêt mais à permettre des pratiques agricoles. Il arrive aussi que l'on discrimine les feux de forêt ainsi que les feux "souterrains" de tourbe qui conduisent, comme les feux du défrichement, à des émissions nettes de CO2 (par contre cette catégorie ne comprend pas les feux persistants de mine de charbon, qui peuvent durer très longtemps sans pouvoir être arrêtés). Il est important de savoir que le flux lié à la déforestation est connu à ± 1 Gt près : c'est une incertitude très significative pour des flux qui sont du même ordre de grandeur !

Ces flux directs supplémentaires ont engendré des flux indirects (en rouge sur le diagramme du haut) qui sont provoqués par une modification de l'équilibre général. Ces premiers flux indirects concernent l'océan :

l'augmentation de la teneur atmosphérique en CO2 a créé un flux supplémentaire vers l'océan de surface (22,2 milliards de tonnes de carbone par an actuellement) : comme indiqué ci-dessus, la physique est ainsi faite que la proportion de CO2 dans l'air tend à s'équilibrer avec la "proportion de CO2 dans l'eau" (les physiciens parlent d'équilibrage des pressions partielles), et donc plus de CO2 dans l'air augmente - toutes choses égales par ailleurs - le flux descendant vers l'océan. mais par ailleurs ce CO2 supplémentaire dans l'air engendre un réchauffement de la surface planétaire, qui s'appliquera aussi à l'océan, et là les choses vont aller dans l'autre sens. Comme nous l'avons vu plus haut, l'eau chaude dissout en effet moins bien le CO2 que l'eau froide, et donc un réchauffement de l'océan de surface va globalement augmenter les émissions et affaiblir la dissolution, avec un effet global qui correspond à un flux montant de 22 milliards de tonnes par an, enfin à cause de la circulation océanique verticale, qui prend précisément place là où l'eau est très froide (donc très "chargée" en CO2) une partie du surplus de CO2 absorbé par l'océan de surface est "injecté" dans l'océan profond (1,6 milliard de tonnes par an actuellement). Ces courants thermohalins entraînent le carbone des eaux de surface vers les fonds marins, soit sous forme de carbone dissous, soit sous forme de restes d'animaux qui sédimentent, le soustrayant alors à l'atmosphère pour une durée assez longue. Le carbone dissous sera ramené vers la surface au bout de quelques siècles, au moment de la résurgence en surface des eaux entrainées vers les profondeurs, par contre les sédiments océaniques constituent un stock à rotation plus longue : il faut quelques dizaines de millions d'années avant que le carbone qu'ils contiennent ne soit recyclé par le volcanisme, lorsque la tectonique des plaques (la lente dérive des continents à la surface de la terre) amènera le sédiment au-dessus d'une zone volcanique. Pour les écosystèmes continentaux, il va y avoir là aussi des effets (indirects) constrastés au surplus de CO2 atmosphérique :

l'augmentation de la teneur en CO2 dans l'air permet une photosynthèse plus active (du reste l'enrichissement de l'air en CO2 est un procédé utilisé pour accélérer la pousse dans les serres à tomate, preuve que ca fonctionne !), donc une plus grande activité du puits continental, mais l'élévation de la température augmente la vitesse de décomposition de l'humus du sol, et donc le flux "montant" de CO2 augmente aussi. Aujourd'hui, il semblerait bien que l'effet "puits" l'emporte sur l'effet "source", le résultat global étant un flux descendant de 2,6 GtC par an dans le diagramme du haut de la page, mais une vraie question est de savoir si cela va durer à l'avenir (voir ci-dessous). Si nous tentons un bilan provisoire de cette affaire, nous avons donc des émissions directes liées aux combustibles fossiles (environ 6,4 GtC/an sur ce graphique, quasiment 8 aujourd'hui) et à la déforestation (environ 1,6 GtC/an sur ce graphique, quasiment 2,5 aujourd'hui) qui engendrent en réponse un "supplément" d'absorption de l'océan de 2,2 GtC/an environ, et un supplément d'absorption de 2,6 GtC/an des écosystèmes continentaux. Tout collégien en déduira que 6,4 + 1,6 - 2,2 - 2,6 = 3,2, ou encore que l'atmosphère augmente chaque année son stock de CO2 d'un petit 50% de nos émissions directes. C'est la raison qui explique pourquoi il faut diviser les émissions de CO2 par 2 au moins (pour que nos émissions n'excèdent pas la capacité des puits), ce qui finira par arriver de toute façon, la seule question étant quand et comment).