Différences entre versions de « Georges Canguilhem »
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* Il publia des ouvrages très importants sur la constitution de la biologie comme science, sur la médecine, la psychologie, les « idéologies scientifiques » (il réinterprète un concept majeur de Karl Marx dans L'Idéologie allemande) et l'éthique, notamment Le normal et le pathologique et La connaissance de la vie. | * Il publia des ouvrages très importants sur la constitution de la biologie comme science, sur la médecine, la psychologie, les « idéologies scientifiques » (il réinterprète un concept majeur de Karl Marx dans L'Idéologie allemande) et l'éthique, notamment Le normal et le pathologique et La connaissance de la vie. | ||
− | *Les principales œuvres philosophiques de Canguilhem sont | + | *Les principales œuvres philosophiques de Canguilhem sont ''' Le Normal et le Pathologique''' (publié en 1943 et complété lors d'une réédition en 1966) et ''' La Connaissance de la vie''' (1952) |
− | + | * '''[[Le Normal et le Pathologique(1966)]]''': est une recherche approfondie sur la nature et le sens de la notion de normalité en médecine et en biologie, mais aussi sur la production et l'institutionnalisation des connaissances scientifiques. Aujourd'hui encore, Le Normal et le Pathologique reste fondamental sur le plan de l'anthropologie médicale et de l'histoire des idées, et a connu un grand retentissement, notamment par le biais de l'influence que Canguilhem a exercé sur Foucault | |
− | l'anthropologie médicale et de l'histoire des idées, et a connu un grand retentissement, notamment par le biais de l'influence que Canguilhem a exercé | + | * '''[[La Connaissance de la vie(1952)]]''': est une étude à propos de la spécificité de la biologie en tant que science, la signification historique et conceptuelle du vitalisme, et la possibilité de concevoir l'organisme non pas sur la base de modèles mécanistes ou techniques qui permettraient de le réduire à une machine, mais plutôt de le considérer sous l'angle de sa relation avec le milieu où il vit, sa survie (et dès lors sa relation aux « erreurs » génétiques et à l'« anormalité ») dans ce milieu, et son statut au-delà d'une simple « somme des parties ». Canguilhem prend énergiquement parti dans ce sens, critiquant le mécanisme et soutenant le vitalisme de Thomas Willis. En effet, selon lui, une telle réduction priverait la biologie de son propre champ de recherches, en transformant selon un processus idéologique des êtres vivants en structures mécaniques incluses dans un équilibre physico-chimique inapte à rendre compte de la spécificité des organismes et de la complexité de la vie. |
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* Le propre d'un être vivant est donc de pouvoir vivre malade, c'est-à-dire de maintenir un certain degré de normalité jusque dans son fonctionnement anormal. On doit en quelque sorte distinguer deux acceptions de « normal » dans notre propos : est normal au sens courant ce qui correspond à la norme générale, c'est-à-dire à la fois à la moyenne et au type de fonctionnement optimal. Les machines peuvent, en ce sens (et en ce sens seulement), avoir un fonctionnement « normal » ou non : un bruit inhabituel ou quelque autre signe peuvent nous avertir que quelque chose, dans le mécanisme, s'est détraqué, si bien que la machine s'abîme en fonctionnant. Mais, on l'a dit, la différence de l'organisme, c'est qu'il rétablit une certaine normalité dès que l'anomalie éventuellement devient cause de fonctionnement anormal : ce qui le rend irréductible à la machine, c'est qu'il ne subit pas passivement le détraquement qui finira par le détruire – au contraire, il met en place des alternatives jusqu'à la guérison de la lésion, par exemple. En d'autres termes, et c'est là tout le paradoxe de la norme, sous l'anormal il y a toujours une autre forme de normal ! Le malade n'est pas un « anormal », parce que malgré l'anormalité dont il souffre, il vit, c'est-à-dire que son organisme négocie un nouvel équilibre, un nouveau compromis de normalité (de cohérence dans le fonctionnement global). Et c'est là que l'analyse canguilhémienne est subtile : dire que sous l'anormal il y a toujours, irréductiblement, du normal – ce n'est pas du relativisme ! Tout simplement parce qu'il y a une sérieuse différence entre l'homme en pleine santé et l'homme malade, malgré le fait que ce dernier garde une irréductible santé qui le fait vivre. Cette différence elle tient évidemment à la qualité de la vie qu'on mène : la normalité de l'organisme sain est supérieure à la normalité de l'organisme malade | * Le propre d'un être vivant est donc de pouvoir vivre malade, c'est-à-dire de maintenir un certain degré de normalité jusque dans son fonctionnement anormal. On doit en quelque sorte distinguer deux acceptions de « normal » dans notre propos : est normal au sens courant ce qui correspond à la norme générale, c'est-à-dire à la fois à la moyenne et au type de fonctionnement optimal. Les machines peuvent, en ce sens (et en ce sens seulement), avoir un fonctionnement « normal » ou non : un bruit inhabituel ou quelque autre signe peuvent nous avertir que quelque chose, dans le mécanisme, s'est détraqué, si bien que la machine s'abîme en fonctionnant. Mais, on l'a dit, la différence de l'organisme, c'est qu'il rétablit une certaine normalité dès que l'anomalie éventuellement devient cause de fonctionnement anormal : ce qui le rend irréductible à la machine, c'est qu'il ne subit pas passivement le détraquement qui finira par le détruire – au contraire, il met en place des alternatives jusqu'à la guérison de la lésion, par exemple. En d'autres termes, et c'est là tout le paradoxe de la norme, sous l'anormal il y a toujours une autre forme de normal ! Le malade n'est pas un « anormal », parce que malgré l'anormalité dont il souffre, il vit, c'est-à-dire que son organisme négocie un nouvel équilibre, un nouveau compromis de normalité (de cohérence dans le fonctionnement global). Et c'est là que l'analyse canguilhémienne est subtile : dire que sous l'anormal il y a toujours, irréductiblement, du normal – ce n'est pas du relativisme ! Tout simplement parce qu'il y a une sérieuse différence entre l'homme en pleine santé et l'homme malade, malgré le fait que ce dernier garde une irréductible santé qui le fait vivre. Cette différence elle tient évidemment à la qualité de la vie qu'on mène : la normalité de l'organisme sain est supérieure à la normalité de l'organisme malade | ||
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* '''[[L'activité vitale]]''' | * '''[[L'activité vitale]]''' | ||
* Le point de vue de la norme – le seul qui mette en évidence la normativité de l'organisme – suppose une perspective holiste : Canguilhem explique en effet que les concepts de "normal" et de "pathologique" n'ont de sens que si on les applique à la totalité cohérente de l'organisme que constitue un individu. D'après Canguilhem – et il s'agit là d'un jugement normatif, donc il est par nature contestable, mais c'est simplement l'explicitation d'un parti-pris d'interprétation – on ne peut parler de vivant qu'à propos d'un individu : à moins d'être un organisme unicellulaire, une cellule n'est pas vivante toute seule (ou dans un amas) : un enchaînement causal étudié par la biologie moléculaire n'est pas, en lui-même, une norme – ce n'est en effet qu'en tant qu'il est intégré dans le fonctionnement normal (parce que normatif) d'une totalité organique qu'il devient en même temps enchaînement causal et norme. On l'a dit, pour qu'il y ait norme, il faut qu'il y ait à la fois multiplicité d'alternatives et fonctions répondant à des besoins : or, d'après Canguilhem, cette double condition ne se trouve remplie qu'au niveau de l'organisme individuel 15. Un dernier facteur pour lequel, d'après Canguilhem, les concepts de "normal", de "pathologique" et de "vie" n'ont de sens qu'à l'échelle individuelle montre l'enjeu de cette considération épistémologique d'échelle. Il s'agit de la notion biologique de milieu". | * Le point de vue de la norme – le seul qui mette en évidence la normativité de l'organisme – suppose une perspective holiste : Canguilhem explique en effet que les concepts de "normal" et de "pathologique" n'ont de sens que si on les applique à la totalité cohérente de l'organisme que constitue un individu. D'après Canguilhem – et il s'agit là d'un jugement normatif, donc il est par nature contestable, mais c'est simplement l'explicitation d'un parti-pris d'interprétation – on ne peut parler de vivant qu'à propos d'un individu : à moins d'être un organisme unicellulaire, une cellule n'est pas vivante toute seule (ou dans un amas) : un enchaînement causal étudié par la biologie moléculaire n'est pas, en lui-même, une norme – ce n'est en effet qu'en tant qu'il est intégré dans le fonctionnement normal (parce que normatif) d'une totalité organique qu'il devient en même temps enchaînement causal et norme. On l'a dit, pour qu'il y ait norme, il faut qu'il y ait à la fois multiplicité d'alternatives et fonctions répondant à des besoins : or, d'après Canguilhem, cette double condition ne se trouve remplie qu'au niveau de l'organisme individuel 15. Un dernier facteur pour lequel, d'après Canguilhem, les concepts de "normal", de "pathologique" et de "vie" n'ont de sens qu'à l'échelle individuelle montre l'enjeu de cette considération épistémologique d'échelle. Il s'agit de la notion biologique de milieu". | ||
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+ | |Date-8= 1945-1971 | ||
+ | |Titre-Evènement-8= Inspecteur générale de l'éducation, professeur en Sorbonne | ||
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+ | * En 1948, il est promu inspecteur général de l'Instruction publique, chargé de l’administration des inspecteurs en matière de philosophie, Georges Gusdorf lui succédant au sein de l'université de Strasbourg. Ce poste de haut fonctionnaire lui laisse le loisir de préparer sa thèse de doctorat de philosophie, qu'âgé de cinquante et un an, il soutient en 1955 et qui est aussitôt publiée | ||
+ | * Il est alors nommé professeur en Sorbonne et succède à Gaston Bachelard à la direction de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques, poste qu'il occupera jusqu'à la retraite, en 1971 | ||
+ | *Il compte parmi ses élèves et disciples Patrick Vauday, Michel Foucault (qui lui demande d'être le rapporteur de sa thèse Folie et déraison : histoire de la folie à l'âge classique), François Dagognet, Gilles Deleuze, José Cabanis, Jean Svagelski et dans la génération suivante Camille Limoges, Dominique Lecourt, Donna Haraway, Claude Debru. | ||
+ | |Lieu-Evènement-8=Paris | ||
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Statut et activité
Oeuvre Principale
- Georges Canguilhem, né le 4 juin 1904à Castelnaudary et mort le 11 septembre 1995 à Marly-le-Roi, est un philosophe et résistant français. Normalien agrégé et docteur en médecine ayant refusé d'exercer, il dirige l'IHPST de 1956 à 1971 à la suite de Gaston Bachelard
- Disciple de Gaston Bachelard (il s'inscrit dans la tradition de l'épistémologie historique française) et maître de Michel Foucault.
=> La thèse principale de Georges Canguilhem est que le vivant ne saurait être déduit des lois physico-chimiques ; il faut partir du vivant lui-même pour comprendre la vie. L'objet d'étude de la biologie est donc irréductible à l'analyse et à la décomposition logico-mathématiques.
Les principales œuvres philosophiques
- Il publia des ouvrages très importants sur la constitution de la biologie comme science, sur la médecine, la psychologie, les « idéologies scientifiques » (il réinterprète un concept majeur de Karl Marx dans L'Idéologie allemande) et l'éthique, notamment Le normal et le pathologique et La connaissance de la vie.
- Les principales œuvres philosophiques de Canguilhem sont Le Normal et le Pathologique (publié en 1943 et complété lors d'une réédition en 1966) et La Connaissance de la vie (1952)
- Le Normal et le Pathologique(1966): est une recherche approfondie sur la nature et le sens de la notion de normalité en médecine et en biologie, mais aussi sur la production et l'institutionnalisation des connaissances scientifiques. Aujourd'hui encore, Le Normal et le Pathologique reste fondamental sur le plan de l'anthropologie médicale et de l'histoire des idées, et a connu un grand retentissement, notamment par le biais de l'influence que Canguilhem a exercé sur Foucault
- La Connaissance de la vie(1952): est une étude à propos de la spécificité de la biologie en tant que science, la signification historique et conceptuelle du vitalisme, et la possibilité de concevoir l'organisme non pas sur la base de modèles mécanistes ou techniques qui permettraient de le réduire à une machine, mais plutôt de le considérer sous l'angle de sa relation avec le milieu où il vit, sa survie (et dès lors sa relation aux « erreurs » génétiques et à l'« anormalité ») dans ce milieu, et son statut au-delà d'une simple « somme des parties ». Canguilhem prend énergiquement parti dans ce sens, critiquant le mécanisme et soutenant le vitalisme de Thomas Willis. En effet, selon lui, une telle réduction priverait la biologie de son propre champ de recherches, en transformant selon un processus idéologique des êtres vivants en structures mécaniques incluses dans un équilibre physico-chimique inapte à rendre compte de la spécificité des organismes et de la complexité de la vie.
Quelques concepts de Georges Canguilhem
- La santé
- Le mot « vie » a le défaut de laisser croire qu'il désigne une chose, ou un état d'une chose – c'est-à-dire une réalité objective donnée comme un fait. À cause de cette impression trompeuse, on pourrait croire que l'on dit d'un organisme qu'il est « mort » ou « vivant » comme on dit d'une machine qu'elle est en position « marche » ou « arrêt » – ou comme on dit d'un fait qu'il est ou qu'il n'est pas. Cette manière de présenter les choses laisse croire que la vie est une propriété acquise pendant un temps t, un état dans lequel on est de façon continue sur une période donnée, une faculté qu'on réalise ou non. Or c'est tout le contraire, explique Canguilhem : la vie est un équilibre précaire(plus ou moins stable), une lutte permanente pour rétablir et renforcer une organisation dynamique. Cette différence dans la définition est très importante : elle essaie d'interpréter la raison pour laquelle on ne peut pas étudier la vie d'un être vivant en bloc, comme un phénomène brut, positif comme le mouvement de chute libre. Canguilhem explique que les progrès de la biologie et de la médecine montrent qu'on ne peut pas isoler un phénomène biologique pour le modéliser en faisant abstraction de toutes les formes qu'il prend concrètement dans l'organisme – selon son état de santé général, ou son état de fatigue, son milieu de vie, etc. Il explique encore que la spécificité du biologique par rapport au physique, c'est que les lois physiques ne tombent jamais malades. Ce qu'il veut dire par là, c'est que les phénomènes physiques sont simples si on les isole – ils sont constants et ne se modifient que par interférence avec d'autres phénomènes.
- Or, interprète Canguilhem, s'il n'y a de médecine que pour les êtres vivants, c'est parce que ce sont les seuls à être capables d'avoir de multiples régimes, qualitativement différents, pour accomplir leurs fonctions vitales. Dans l'organisme, une même fonction peut être accomplie selon différentes modalités et par différents organes : or cette souplesse de fonctionnement dans l'organisation de l'être vivant est ce qui lui permet de stabiliser toutes les variations potentiellement dangereuses. Donc, ce que Canguilhem nous dit, c'est que par le mot « vie », c'est généralement la santé que l'on désigne ; et cette santé, ce n'est pas un état impeccable, un ordre parfait, une espèce d'innocence organique définitive et pure de tout défaut – c'est au contraire un effort permanent de compromis précaire pour assurer l'équilibre en devenir, une tentative pour composer avec les contraintes extérieures et les écarts ou erreurs internes. La vie est moins le résultat d'un processus que le succès d'une tentative : c'est ce que signifie la définition du terme de « vie » comme santé
- La labilité
- D'après Canguilhem, l'organisme étant une organisation, une structure qui fonctionne, il requiert stabilité et régularité – un peu comme une machine suppose la circularité de ses mécanismes ; et pourtant, si cette régularité était trop stricte et rigide, l'organisme ne serait pas viable à moyen terme : sa mécanique bien huilée déraillerait à la moindre irrégularité. C'est là le paradoxe de la maladie : elle montre qu'en un sens l'organisme est inférieur à une machine parfaite, mais en un sens aussi il lui est supérieur, parce que, toutes ces faiblesses que n'a pas la machine, l'organisme est pourtant capable de les surmonter.
- Canguilhem affirme en effet que c'est cette « souplesse » que montre la capacité de l'être vivant de tomber malade et de s'en sortir : les règles du fonctionnement normal dans l'organisme tolèrent une marge d'écart, elles parviennent à intégrer (dans certaines limites) leurs exceptions. Contrairement à une machine qui fonctionne (ou non), qui s'use, et ainsi consomme plus ou s'abîme plus vite, l'organisme compense les défaillances (dans certaines limites) et tente d'accomplir différemment ses fonctions. On peut certes grossièrement comparer un dysfonctionnement organique avec un défaut de fabrique, ou le vieillissement avec l'usure d'une machine – mais cela ne doit pas faire disparaître les différences entre un système physico-mécanique et un système organique. Ces différences tiennent, selon Canguilhem, à une spécificité biologique des règles de fonctionnement : les « lois » qui gouvernent les mécanismes biologiques ne sont pas fixes et uniques, mais elles sont au contraire multiples et se superposent comme autant d'alternatives possibles. C'est ce que Canguilhem appelle la « labilité » (c'est-à-dire, littéralement, la capacité à disparaître pour laisser place à quelque chose d'autre) de ces enchaînements causaux qui règlent le fonctionnement organique. Ce concept de labilité n'est pas gratuit (au sens d'une invention de philosophe, purement théorique) car c'est, selon Canguilhem, une hypothèse nécessaire pour comprendre comment un fonctionnement organique « normal » peut trouver des nouvelles formes cohérentes pour s'adapter aux circonstances sans développer de maladie – du moins en la limitant. Et Canguilhem prend l'exemple des monstres comme des êtres vivants qui développent une anomalie tout en restant viables : « il ne peut rien manquer à un vivant, si l'on veut bien admettre qu'il y a mille et une façons de vivre ». En d'autres termes, la vie étant une organisation complexe qui fonctionne de façon très précise, il y a bien un fonctionnement normal, mais, précisément, il est unique parce qu'il est théorique (il reste une modélisation) ; par contre, il est à l'œuvre de manière infinitésimalement différente dans tous les organismes vivants
- La norme
- la stabilité atteinte par l'organisme vivant (malgré sa précarité) repose sur le fait que les régularités de son fonctionnement ne sont pas uniques et exactes mais constituent un éventail de possibilités qualitativement différentes lui permettant de s'adapter
- le concept que Canguilhem propose pour thématiser cette « loi » (au sens de principe de fonctionnement) spécifiquement biologique est celui de norme
- la norme biologique et la loi physique se distinguent parce que, bien qu'elles soient toutes les deux des « règles » de fonctionnement déterminant les processus dans un système :
-contrairement à la loi, la norme n'est pas uniformément déterminée, elle n'est pas strictement fonction des conditions initiales. Pour être une norme, une régularité de fonctionnement suppose toujours sous elle plusieurs autres régularités possibles.
-contrairement à la loi qui est mécaniquement déterminée, la norme selon laquelle fonctionne l'organisme est déterminée de manière interne, c'est-à-dire selon les fonctions qu'il opère.
- Le normal et la « normativité »
- Le propre d'un être vivant est donc de pouvoir vivre malade, c'est-à-dire de maintenir un certain degré de normalité jusque dans son fonctionnement anormal. On doit en quelque sorte distinguer deux acceptions de « normal » dans notre propos : est normal au sens courant ce qui correspond à la norme générale, c'est-à-dire à la fois à la moyenne et au type de fonctionnement optimal. Les machines peuvent, en ce sens (et en ce sens seulement), avoir un fonctionnement « normal » ou non : un bruit inhabituel ou quelque autre signe peuvent nous avertir que quelque chose, dans le mécanisme, s'est détraqué, si bien que la machine s'abîme en fonctionnant. Mais, on l'a dit, la différence de l'organisme, c'est qu'il rétablit une certaine normalité dès que l'anomalie éventuellement devient cause de fonctionnement anormal : ce qui le rend irréductible à la machine, c'est qu'il ne subit pas passivement le détraquement qui finira par le détruire – au contraire, il met en place des alternatives jusqu'à la guérison de la lésion, par exemple. En d'autres termes, et c'est là tout le paradoxe de la norme, sous l'anormal il y a toujours une autre forme de normal ! Le malade n'est pas un « anormal », parce que malgré l'anormalité dont il souffre, il vit, c'est-à-dire que son organisme négocie un nouvel équilibre, un nouveau compromis de normalité (de cohérence dans le fonctionnement global). Et c'est là que l'analyse canguilhémienne est subtile : dire que sous l'anormal il y a toujours, irréductiblement, du normal – ce n'est pas du relativisme ! Tout simplement parce qu'il y a une sérieuse différence entre l'homme en pleine santé et l'homme malade, malgré le fait que ce dernier garde une irréductible santé qui le fait vivre. Cette différence elle tient évidemment à la qualité de la vie qu'on mène : la normalité de l'organisme sain est supérieure à la normalité de l'organisme malade
- L'activité vitale
- Le point de vue de la norme – le seul qui mette en évidence la normativité de l'organisme – suppose une perspective holiste : Canguilhem explique en effet que les concepts de "normal" et de "pathologique" n'ont de sens que si on les applique à la totalité cohérente de l'organisme que constitue un individu. D'après Canguilhem – et il s'agit là d'un jugement normatif, donc il est par nature contestable, mais c'est simplement l'explicitation d'un parti-pris d'interprétation – on ne peut parler de vivant qu'à propos d'un individu : à moins d'être un organisme unicellulaire, une cellule n'est pas vivante toute seule (ou dans un amas) : un enchaînement causal étudié par la biologie moléculaire n'est pas, en lui-même, une norme – ce n'est en effet qu'en tant qu'il est intégré dans le fonctionnement normal (parce que normatif) d'une totalité organique qu'il devient en même temps enchaînement causal et norme. On l'a dit, pour qu'il y ait norme, il faut qu'il y ait à la fois multiplicité d'alternatives et fonctions répondant à des besoins : or, d'après Canguilhem, cette double condition ne se trouve remplie qu'au niveau de l'organisme individuel 15. Un dernier facteur pour lequel, d'après Canguilhem, les concepts de "normal", de "pathologique" et de "vie" n'ont de sens qu'à l'échelle individuelle montre l'enjeu de cette considération épistémologique d'échelle. Il s'agit de la notion biologique de milieu".
- Dans les repères canguilhémiens, un système auto-régulé n'est un organisme que s'il est susceptible d'être malade et d'en guérir – cela vaut, dans cette perspective comme définition et critère du "vivant" ; or cette santé a pour condition l'interaction de l'organisme avec son milieu
- la régulation, mécanisme central dans l'organisation de l'organisme, est orientée par des besoins – simplement au sens où les fonctions organiques remplissent (dans le meilleur des cas) toutes les conditions de la viabilité de l'être vivant. Ces besoins ne sont pas "absolus" mais relatifs à la situation du vivant dans son milieu, et encore plus à leur interaction 17. Cela signifie, d'après Canguilhem, que le fonctionnement interne de l'organisme dépend de son comportement externe toutes les variations dont ses normes vitales sont capables sont sollicitées dans l'interaction avec le milieu 18. Par cette interprétation, Canguilhem propose en quelque sorte de penser une certaine continuité entre l'activité comportementale d'un être vivant et le fonctionnement de son organisme (pour faire perdre à ce fonctionnement la connotation mécanique et passive qu'on a tendance à lui attribuer). En ce sens, la vie n'est pas seulement ce qui permet une activité comportementale : c'est déjà une activité en soi. Il est essentiel de souligner que cette interprétation-là – vivre serait un effort, une activité – ne prétend pas s'opposer à l'explication mécanique et causale du fonctionnement organique, ni même lui apporter un élément nouveau (dans l'explication ou la description)
[1]= Domaine, Discipline, Thématique =
Questions possibles
- Qui est Georges Canguilhem ?
- Pourquoi a décidé d'étudier la médecine?
- Quelle est la conception du vivant chez Georges Canguilhem?
- Quelle différence y a-t-il entre un organisme et une machine ?
- Quelles sont les œuvres principales de Georges Canguilhem ?
- Quel était l'apport de Georges Canguilhem en psychologie ?
- Qu'est-ce que l'expérimentation en biologie ?
- Les concepts de maladie et de santé sont-ils équivalents ou opposés aux concepts de normal et de pathologique ?
- Comment distinguer l’état «normal» de l’état «pathologique»?
- Qu'est-ce que la vie selon Canguilhem?
Concepts ou notions associés
Georges Canguilhem - Glossaire / (+)
Dates et Evénements Importants
Baccalauréat
* Il accomplit au lycée de Castelnaudary une scolarité brillante
- le baccalauréat est passé avec un an d'avance
- se voit proposer une bourse pour poursuivre en classe préparatoire à Montpellier, qu'il refuse pour présenter sa candidature au lycée Henri-IV, à Paris, et préparer le concours d'entrée à l'École normale supérieure.
Paris
France
Normalien
* Il intègre la section Lettres de l'École normale supérieure dans la promotion de Daniel Lagache, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et Paul Nizan
- À l'ENS, Georges Canguilhem fréquente le Centre de documentation sociale, que dirige Célestin Bouglé, précurseur de la sociologie française
Paris
France
Soutenance de son mémoire
* C'est à Célestin Bouglé que Georges Canguilhem demande de diriger, en Sorbonne, son diplôme d’études supérieures, étape requise pour qui veut passer l'agrégation. Il soutient son mémoire, sur le positivisme, en 1926
- Il soutient son mémoire, sur le positivisme, en 1926
Paris
France
Agrégation de philosophie
* Il est reçu à l'agrégation de philosophie, deuxième derrière Paul Vignaux, devant Jean Lacroix et Jean Cavaillès
- Agrégé de philosophie à 23 ans il prend vite conscience qu’on ne peut philosopher que ‘sur quelque chose’ et décide de donner corps à sa réflexion philosophique en devenant médecin
''on ne peut philosopher que sur quelque chose, mais ce peut être sur l'usage du stéthoscope, sur l'attelage des chevaux au Moyen-Age ou encore une page de Flaubert aussi bien que sur un passage du Discours de la méthode''
- En novembre 1927, il commence, comme simple canonnier conducteur, son année de service militaire, qui est prolongée six mois, jusqu'en avril 1929, pour raison disciplinaire, mais au grade, modeste, de brigadier
Paris
France
Enseignant
* Il commence sa carrière d'enseignant à la rentrée 1929, à Charleville
- L'année suivante, l'expérience au lycée d'Albi se passe mal et il prend en 1931 une année sabbatique7 pour s'essayer au journalisme en remplaçant Jean-Richard Bloch à la direction de la revue Europe
- Il épouse une collègue, Simone Anthériou (1905-2001). Il en aura trois enfants.
- Il réintègre l'Éducation nationale à la rentrée 1932, au lycée de Douai.
Paris
France
Universitaire résistant
* Durant l'année 1941-1942, il suit notamment le cours de son condisciple Daniel Lagache, qui lui fait découvrir l'œuvre du psychiatre Kurt Goldstein
- En 1941-1942, il suit les cours du physiologiste Charles Kayser et de l'histologiste Marc Klein tout en rassemblant une importante documentation pour sa thèse de médecine.
- Il intitule les séminaires de philosophie générale qu'il donne au cours de l'année 1942-1943 « Caractère normatif de la pensée philosophique » et « Le normal et le problème des mentalités ».
- En 1943, devant un jury présidé par le professeur de pharmacologie alsacien Alfred Schwarz, il soutient celle ci, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique.
- Il y examine les concepts qui ont présidé à la naissance de la médecine moderne, principalement à travers les œuvres d'Auguste Comte, de Claude Bernard, de René Leriche et de Kurt Goldstein. L'ouvrage, doublé de Nouvelles Réflexions sur le normal et le pathologique, sera réédité en 1966 sous le titre de Le Normal et le Pathologique.
- Entretemps, le 26 janvier 1943, Libération-Sud a rejoint le mouvement Combat, dont le représentant, Henry Ingrand, est devenu en mars le chef régional de ce qui s'appelle désormais les Mouvements unis de la Résistance.
Paris
France
Médecin du maquis
* il est intégré à l'armée, au grade de lieutenant SSA. C'est donc sous les ordres du « colonel Gaspard » que durant la bataille du Mont Mouchet, le 10 juin 1944, il assure avec le professeur Paul Reiss le service de santé, la pharmacie étant mise en place par le lieutenant Anne Marie Menut.
Paris
France
Inspecteur générale de l'éducation, professeur en Sorbonne
* En 1948, il est promu inspecteur général de l'Instruction publique, chargé de l’administration des inspecteurs en matière de philosophie, Georges Gusdorf lui succédant au sein de l'université de Strasbourg. Ce poste de haut fonctionnaire lui laisse le loisir de préparer sa thèse de doctorat de philosophie, qu'âgé de cinquante et un an, il soutient en 1955 et qui est aussitôt publiée
- Il est alors nommé professeur en Sorbonne et succède à Gaston Bachelard à la direction de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques, poste qu'il occupera jusqu'à la retraite, en 1971
- Il compte parmi ses élèves et disciples Patrick Vauday, Michel Foucault (qui lui demande d'être le rapporteur de sa thèse Folie et déraison : histoire de la folie à l'âge classique), François Dagognet, Gilles Deleuze, José Cabanis, Jean Svagelski et dans la génération suivante Camille Limoges, Dominique Lecourt, Donna Haraway, Claude Debru.
Paris
France
Site Internet
Bibliographie
Pour citer cette page: (Canguilhem)
ABROUGUI, M & al, 2021. Georges Canguilhem. In Didaquest [en ligne]. <http:www.didaquest.org/wiki/Georges_Canguilhem>, consulté le 24, novembre, 2024
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