Différences entre versions de « Quel est l'origine du déclin des abeilles sauvages ? »
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Version du 11 janvier 2019 à 19:19
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Questions possibles
Eléments de réponse
Une multiplicité de causes pour expliquer le déclin des abeilles sauvages
Les causes du déclin des abeilles sauvages,comme une QSSV, sont analysées du point de vue des contradictions résidant entre les différents résultats scientifiques, mais aussi de la controverse portant spécifiquement sur la responsabilité de l’utilisation de pesticides dans le déclin. Nous présentons différents points de vue d’acteurs les orientant dans des choix différents de solutions en faveur des,abeilles. Le déclin des abeilles ne fait aucun doute pour de nombreux acteurs. Cependant, l’évaluer se révèle particulièrement délicat : les troubles et les mortalités dont sont affectées les abeilles recouvrent des phénomènes différents et complexes. De ce fait, il réside une grande part d’ignorances et d’incertitudes mettant en doute l’existence même d’un déclin. Mais, à ce jour, les résultats scientifiques ne permettent pas de déterminer un scénario précis qui expliquerait l’origine du déclin des abeilles sauvages, ni même les solutions les plus pertinentes à mettre en oeuvre pour endiguer ce problème. De fait, nous considérons le déclin des abeilles sauvages comme une question scientifique socialement vive (QSSV), au sens de Legardez (2006), c’est-à-dire comme une question de nature scientifique en débat non seulement dans le champ scientifique mais aussi dans la sphère sociale. Il s’agit donc d’une question d’actualité qui n’a pas encore été tranchée et qui repose largement sur des savoirs « non stabilisés ». Parallèlement, cette question présente des implications sociétales fortes (sur le plan économique notamment) qui appellent des choix politiques immédiats quant aux solutions à mettre en oeuvre. Or celles-ci engagent une diversité d’acteurs (du monde associatif, des industriels, des apiculteurs…) dont les intérêts, les enjeux, les contraintes, les logiques d’action diffèrent sensiblement, nourrissant davantage la vivacité de la question du déclin des abeilles sauvages. Nous définissons cette vivacité par le degré d’incertitudes qui est mis en avant et au travers des controverses qui s’expriment à son sujet. Nombreuses sont les épreuves que doivent subir aujourd’hui les abeilles, sauvages comme domestiques. Leur déclin peut-il s’expliquer par l’addition de plusieurs causes séparées ? Ou s’agit-il d’une interaction entre plusieurs facteurs, les uns rendant les abeilles plus vulnérables aux autres ? À l’heure actuelle, les résultats de la recherche ne permettent pas d’établir un scénario précis pouvant en expliquer l’origine. Ces incertitudes nourrissent des tensions, voire des conflits, entre les différents acteurs qui s’investissent dans la protection des abeilles. Deux axes principaux sur lesquels portent les controverses sont identifiés :
- l’un concerne la profession apicole telle qu’elle est actuellement structurée en France. Il s’agit pour certains apiculteurs de revendiquer leurs compétences professionnelles, en opposition à l’apiculture dite « de loisir » : par exemple, il est question de s’assurer d’obtenir des compensations financières en cas de pertes importantes, ou encore de valoriser le métier d’apiculteur ;
- l’autre réside en la reconnaissance, ou non, de la responsabilité de l’utilisation des pesticides, notamment en agriculture, dans le déclin des abeilles. Le premier axe n’est pas approfondi ici puisqu’il est propre au monde apicole. En revanche, nous nous attachons à développer la controverse liée à l’utilisation des pesticides qui concerne toutes les abeilles. Certains apiculteurs et des syndicats apicoles et agricoles, soutenus par des associations de protection de l’environnement, réclament la suspension d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, tandis que les firmes productrices de ces produits revendiquent leur non dangerosité. Cette controverse s’est principalement cristallisée autour des abeilles domestiques ; peu d’études scientifiques ont été réalisées jusqu’à ce jour en ce qui concerne les abeilles sauvages. Certains résultats obtenus chez les abeilles domestiques sont pourtant extrapolés aux abeilles sauvages par certains acteurs de la controverse. Mais souffrent-elles des mêmes maux que leurs cousines domestiques ? Nous explorons ici l’ensemble des causes avancées pour expliquer le déclin des abeilles à partir des résultats scientifiques existants. Nous traitons chacune d’elles de façon indépendante, puis nous revenons sur l’état actuel des recherches sur l’existence de synergies entre plusieurs causes (multifactorialité). La figure 4 présente les différents symptômes ou manifestations écologiques observés, conduisant à des mortalités d’abeilles. Ces manifestations découlent de plusieurs facteurs que nous distinguons en deux grandes catégories : il s’agit soit de facteurs environnementaux, liés principalement aux pratiques de l’agriculture intensive ; soit de facteurs apicoles, concernant donc exclusivement les abeilles domestiques et leur vie en colonie. Figure 4. Cartographie des différentes causes avancées pour expliquer le déclin des abeilles. Cette cartographie ne prend pas en compte l’existence possible de synergie entre plusieurs causes.
1.Des facteurs d'origine environnementale
Les modifications des pratiques agricoles, ainsi que la fragmentation accélérée des habitats, ont provoqué et provoquent encore une régression importante de la biodiversité dans les paysages ruraux européens depuis une cinquantaine d’années (Saunders et al., 1991 ; Robinson & Sutherland, 2002). Concernant spécifiquement les abeilles, nous aborderons les différents risques auxquels elles pourraient être exposées : il s’agit de cas d’intoxications à des produits pesticides et d’un appauvrissement des ressources alimentaires pour toutes les abeilles ; d’une raréfaction des sites de nidification et de l’isolement génétique des populations d’abeilles sauvages ; ou encore de désorientations par pollution électromagnétique pour les abeilles domestiques.
1.1.Intoxication des abeilles par les pesticides
Les pesticides (encore appelés produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) sont utilisés pour répondre aux besoins de l’agriculture intensive. Ils sont définis par l’Observatoire des Résidus de Pesticides (ORP) comme « des substances ou des préparations utilisées pour la prévention, le contrôle ou l’élimination d’organismes jugés indésirables, qu’il s’agisse de plantes, d’animaux, de champignons ou de bactéries33 ». Cependant, même si ces produits sont utilisés en agriculture pour cibler un nuisible en particulier, ils peuvent avoir des effets sur d’autres organismes en leur contact. La responsabilité des pesticides dans le déclin des abeilles est ainsi une des causes les plus controversées, en particulier en ce qui concerne les pesticides Gaucho, Régent et Cruiser. Nous traiterons ici des pesticides utilisés en agriculture, mais l’utilisation de tels produits par les particuliers ou les professionnels des espaces verts ne sont pas à négliger.
1.1.1.Différentes applications des pesticides
Les pesticides peuvent être appliqués de différentes façons sur les cultures : en pulvérisations, en enrobage de semences (pesticides systémiques) ou encore sous forme de cultures transgéniques. Lorsqu’il s’agit d’une application par pulvérisations, l’exposition des abeilles aux pesticides se limite, en théorie, à celles présentes sur les cultures au moment du traitement34. En pratique, ce type d’application conduit presque systématiquement à une contamination des bordures des surfaces traitées (haies, buissons, cultures adjacentes...) par la dérive de « brouillards de pulvérisation » (Rautmann et al., 2001 ; Koch et al., 2003 ; cités dans AFSSA, 2008). Pour cette raison, en comparaison des pesticides appliqués par pulvérisations, les pesticides systémiques sont présentés par leurs firmes productrices comme une réelle avancée en faveur de la protection des abeilles : le risque pour les abeilles d’un contact direct avec le produit est faible puisque celui-ci enrobe les semences et est donc enfoui dans la terre. Cependant, des effets négatifs pour les abeilles sont mis en exergue du fait de la contamination du nectar et du pollen par ces produits (AFSSA, 2008). Les pesticides systémiques se caractérisent en effet par leur solubilité dans l’eau, ce qui explique leur mobilité dans la sève des plantes (Ripper, 1955). Cette propriété, ainsi que leur pénétration et leur stabilité dans la plante (expliquant leur action prolongée), permet d’expliquer que la systémie d’un pesticide peut être d’un degré plus ou moins fort : on parle alors de systémie relative. Le degré de systémie dépend aussi du mode de circulation de la molécule dans la plante, soit dans la sève brute (via le xylème), soit dans la sève élaborée (via le phloème), soit dans les deux35 (Delrot & Bonnemain, 1991 ; Delétage-Grandon, 2000). Les molécules telles que le fipronil (substance active du Régent®) ne circulent que dans la sève du xylème et se retrouvent ainsi dans les régions de la plante où il y a évaporation, les feuilles âgées principalement ; et non dans les régions jeunes, telles que les boutons floraux et les graines (Holmsen, 1998). Holmsen a également montré que seulement 5% des molécules du produit appliqué dans le sol pour protéger des semences de coton, de maïs et de tournesol étaient absorbées par ces plantes. En revanche, l’acéphate, un autre pesticide systémique, est mobile dans le phloème : il atteint les zones en croissance telles que les boutons floraux, zones d’intérêt pour les abeilles. Les conditions de culture des plantes, en particulier leur alimentation hydrique, peuvent également modifier la systémie d’un pesticide et le niveau de contamination du nectar (Davis & Shuel, 1985). Les cultures de plantes transgéniques36 posent des questions similaires vis-à-vis de l’exposition des abeilles aux pesticides. Ces plantes sont considérées comme des pesticides à part entière pour certains acteurs. Selon l’AFSSA (2008), les plantes résistantes aux attaques d’insectes produisent des toxines qui ont un spectre d’hôtes spécifiques, dont sont exclues les abeilles, d’une part ; qui ne peuvent être transmises au pollen des fleurs, d’autre part. Ce rapport d’expertise a particulièrement été critiqué sur ce point, puisqu’il n’a pas pris en compte des résultats contradictoires. L’impact de cultures de plantes transgéniques, résistantes aux herbicides, a pourtant été démontré sur les abeilles sauvages dans une étude canadienne : une baisse des populations et un déficit de pollinisation ont été observés dans les champs de culture conventionnelle, et plus encore dans les champs de cultures de plantes transgéniques, par rapport aux champs de culture biologique (Morandin & Winston, 2005). Les différences qui existent entre ces trois types d’applications de pesticides impliquent des modes d’exposition des abeilles également très différents. Selon le type d’application des pesticides sur les cultures, les abeilles peuvent y être exposées différemment. D’autres variables entrent en jeu pour caractériser l’exposition des abeilles aux pesticides, comme la quantité de produit appliquée ou la relation trophique que les abeilles entretiennent avec la culture traitée (qui conditionne le temps de présence et la fréquence d’apparition des abeilles sur la culture) (AFSSA, 2008). L’exposition aux pesticides est dite directe, soit lorsque les abeilles sont en contact avec des résidus présents dans l’air, sur le sol ou sur les plantes lors du traitement des cultures, soit lorsque les abeilles ingèrent des résidus en butinant des fleurs dont le nectar ou le pollen sont contaminés. On parle également d’exposition indirecte chez les abeilles domestiques, lorsque les butineuses transportent jusqu’à la ruche du nectar ou du pollen contaminé pour nourrir la colonie. Les effets de cette contamination sont alors plus difficilement évaluables et on estime qu’ils peuvent se manifester très rapidement ou, au contraire, être retardés, par exemple lorsque le produit est intégré aux provisions stockées dans la ruche. Selon l’application des pesticides sur les cultures et le mode d’exposition des abeilles à ces produits, la quantité de pesticides en jeu peut être très différente. Du fait de ces nombreuses variables, l’étude de la toxicité des pesticides est particulièrement controversée.
1.1.3.Toxicité des pesticides: aiguë ou chronique
La controverse sur les études de toxicité des pesticides repose sur l’hétérogénéité des résultats obtenus en ce qui concerne leur toxicité aiguë, mais aussi sur la prise en compte, ou non, de leur toxicité chronique. La toxicité des pesticides peut en effet être mise en évidence de deux manières différentes : la toxicité aiguë correspond à la dose létale de pesticides pour la moitié d’une population d’abeilles en 48 heures (DL50), tandis que la toxicité chronique correspond à la dose cumulée de pesticides, c’est-à-dire ingérés de façon répétée, tuant également la moitié d’une population d’abeilles (DC50). Les études réalisées pour obtenir les DL50 de différents pesticides ne se révèlent pas uniformes. L’exemple de l’imidaclopride (substance active du Gaucho®) est particulièrement représentatif des contradictions entre les différentes parutions scientifiques : la DL50 peut aller de 3,7 à 57 ng/abeille selon les études. Néanmoins, une moyenne des différentes données obtenues indique un ordre de comparaison entre les toxicités aiguës des différents pesticides : l’imidaclopride, qui a une activité minimale, semble être le pesticide dont la toxicité est la plus aiguë. Les mesures de la toxicité aiguë ne se limitent pas aux pesticides ; elles s’étendent également à l’ensemble de leurs métabolites. Chaque pesticide se dégrade à des vitesses variables et génère des métabolites37 pouvant eux-mêmes être plus ou moins toxiques pour les abeilles : dans le cas de l’imidaclopride et de ses cinq métabolites, une étude a montré une toxicité aiguë significative pour deux de ces métabolites (dont l’oléfine qui est sensiblement plus toxique que l’imidaclopride). Ces études consistant en des mesures individuelles de la toxicité, certains scientifiques ont également pris en compte l’abeille au sein de sa colonie : l’état physiologique des abeilles peut être variable d’une ruche à l’autre et il a été montré que ce facteur pouvait jouer un rôle important dans leur sensibilité à l’imidaclopride (Thybaud, 2000). Par ailleurs, plusieurs études ont montré que l’exposition des abeilles domestiques aux pesticides, même lorsque les doses appliquées ne sont pas létales pour un individu seul, peut entrainer des dommages importants sur l’ensemble d’une colonie : les abeilles soumises à de faibles doses de thiamethoxam présentent de grandes difficultés à rentrer à la ruche (du fait de désorientations), si bien que l’égarement d’un trop grand nombre d’abeilles peut mettre en danger la colonie dans son ensemble (Henry et al., 2012 ; Wu, Anelli, & Sheppard, 2011). Concernant les abeilles sauvages, des résultats similaires ont été obtenus sur des colonies de bourdons terrestres (Bombus terrestris) : comparés à des colonies non traitées, une exposition des colonies à des doses d’imidaclopride a entrainé une baisse significative du taux de croissance et une réduction de 85 % de la production de nouvelles reines (Whitehorn et al., 2012). Mais comment mesurer les doses de pesticides ? Quelle méthodologie utilisée ? Il semble nécessaire d’établir une méthodologie adaptée à la biologie de l’abeille et les grandes disparités entre études in vivo et in vitro. Par exemple, les seuils de détection des systémiques
1.2.Appauvrissement des ressources alimentaires des abeilles
L’alimentation des abeilles est basée sur deux ressources essentielles, le nectar et le pollen, récoltées au cœur des fleurs. Pour couvrir leurs besoins énergétiques, les abeilles adultes prélèvent le nectar des fleurs, source importante de glucides (Chauzat & Pierre, 2005). Le nectar peut être consommé immédiatement ou, dans le cas des abeilles domestiques, être modifié et stocké sous forme de miel pour couvrir les besoins alimentaires et assurer la survie de la ruche lors de la saison hivernale. Le pollen est récolté, quant à lui, pour nourrir les larves (Chauzat & Pierre, 2005) : il représente l’unique apport protéique permettant d’assurer leur croissance et l’ensemble de leurs fonctions vitales (Roulston & Cane, 2000 ; cité dans AFSSA, 2008). Or les activités humaines ont aujourd’hui fortement modifié les paysages en restreignant notamment les milieux riches et diversifiés en plantes à fleurs, ressources alimentaires indispensables pour toutes les abeilles. Nous verrons, d’une part, qu’elles doivent composer chaque année avec des ressources florales de plus en plus rares ; et d’autre part, qu’elles nécessitent une alimentation aussi bien de qualité que diversifiée pour se maintenir en bonne santé.
1.3.Raréfaction des ressources florales
L’urbanisation accrue, avec notamment l’augmentation du nombre d’habitations et de surfaces goudronnées, explique en partie la raréfaction des ressources florales. Mais ce sont principalement les pratiques associées au modèle d’agriculture intensive qui en sont responsables :
- l’abandon des techniques agro-pastorales traditionnelles : les zones autrefois pâturées ont été recolonisées par la forêt, plus pauvre en terme de diversité d’espèces que les milieux ouverts (Terzo & Rasmont, 2007) ;
- le remembrement : le rôle écologique des haies, source importante de fleurs riches en nectar et pollen, a été souligné par l’équipe de Marshall (Marshall, West, & Kleijn, 2006 ; cité dans AFSSA, 2008). Ces chercheurs ont mis en évidence une plus grande abondance d’abeilles en milieu agricole lorsque les milieux naturels avoisinants (les bords de routes par exemple, composés de légumineuses et de plantes à fleurs variées) entouraient de grandes cultures ;
- l’entretien par broyage ou fauchage des abords de cultures et des bords de routes : lorsque les fleurs sont coupées, les plantes ne peuvent plus effectuer la totalité de leur cycle de reproduction, c’est-à-dire monter en graines et se ressemer (Terzo & Rasmont, 2007). De plus, cet entretien, bien souvent précoce, réduit considérablement les périodes de floraison et ainsi la disponibilité en ressources alimentaires pour les abeilles (AFSSA, 2008) ;
- les grands espaces de monocultures : ces espaces ne permettent pas d’offrir aux abeilles une alimentation diversifiée (Terzo & Rasmont, 2007), d’autant que l’utilisation de certains pesticides et/ou la culture de plantes transgéniques résistantes aux herbicides empêche le développement des plantes adventices qui représentent pourtant une source de nourriture pour les abeilles (AFSSA, 2008) ;
- l’utilisation d’engrais et de minéraux sur les prairies et les cultures enrichit ces milieux et provoque le développement d’espèces favorisées par cet enrichissement (orties, graminées...), au détriment d’une plus grande diversité de plantes à fleurs dont se nourrissent les abeilles (Terzo & Rasmont, 2007). L’ensemble de ces pratiques, liées à la mécanisation de l’agriculture, a ainsi fortement restreint les espaces fleuris et/ou les périodes de floraison aux abords des cultures. Selon l’AFSSA (2008), la floraison des cultures mellifères ne semble pas suffisante, puisqu’elle est précédée et suivie de longues périodes sans ressources florales, ce qui peut provoquer des déséquilibres ou des carences alimentaires pour les abeilles domestiques. Aussi, l’agriculture intensive et l’urbanisation accrue ont progressivement provoqué la fragmentation des espaces, c’est-à-dire la transformation de grands espaces en fragments d’habitat plus petits et isolés38. La fragmentation a des conséquences différentes sur les espèces, selon leur capacité à s’affranchir des discontinuités écologiques. En ce qui concerne les abeilles sauvages, bien que certaines structures paysagères (différence d’altitude de plus de 130 m, forêt qui couvre 480 m, large rivière et autoroute avec trafic intense) ne soient pas considérées comme des barrières physiques insurmontables (Zurbuchen et al., 2010a), le voisinage immédiat entre sources alimentaires et site de nidification semble crucial pour la survie de ces espèces, en particulier chez les abeilles spécialistes d’un type floral. Les abeilles doivent en effet retourner plusieurs fois par jour à leur nid pour approvisionner leurs larves en réserves de nourriture. Les espèces spécialistes sont capables d’effectuer de très grandes distances pour trouver de la nourriture (jusqu’à 1400 m par exemple pour Hoplitis adunca, la plus grande abeille étudiée), mais il est apparu que seulement la moitié des femelles effectuaient de telles distances (Zurbuchen et al., 2010b). Aussi, il a été montré, pour deux espèces spécialistes, que l’approvisionnement de nourriture pour les larves diminuait quantitativement avec l’augmentation de la distance de butinage (Zurbuchen et al., 2010c). La disponibilité en ressources alimentaires est également dépendante des conditions climatiques. Dans des conditions extrêmes, comme un hiver particulièrement rigoureux ou des périodes de sécheresse (diminuant également la disponibilité en eau) ou de forte humidité, les abeilles peuvent devenir incapables de rechercher leur nourriture (AFSSA, 2008). Le réchauffement climatique est également avancé comme l’une des causes du déclin des abeilles : concernant spécifiquement la disponibilité en ressources florales, il pourrait entraîner un décalage entre les périodes de floraison et les périodes de butinage pour les abeilles sauvages (Le Conte & Navajas, 2008).
1.4.Un régime alimentaire déséquilibré et carencé
Les abeilles ont des besoins énergétiques très importants : l’apport en sucres leur permet de couvrir les besoins nécessaires à leurs déplacements liés au butinage ; ou encore, concernant spécifiquement les abeilles domestiques, à la thermorégulation, aux travaux d’entretien de la ruche… (AFSSA, 2008). Les abeilles domestiques vivent en colonies pérennes, elles survivent l’hiver et doivent donc s’alimenter tout au long de l’année : on estime que la consommation en sucre par une colonie peut aller de 19 à 25 kg durant l’hiver, et jusqu’à environ 80 kg sur l’année (AFSSA, 2008). Plusieurs études ont également montré l’importance de fournir une alimentation pollinique de qualité (riche en protéines et en lipides) et diversifiée (provenant de différentes espèces végétales) pour maintenir le couvain en bonne santé et optimiser l’activité de la colonie pendant l’hiver. Des chercheurs se sont intéressés à la qualité de l’alimentation des jeunes abeilles domestiques en mesurant la teneur en protéines du pollen de différentes espèces végétales : celle-ci varie très largement (Bruneau, 2006 ; cité dans AFSSA, 2008), soit de 2,5 à 61% selon les espèces végétales (Roulston & Cane, 2000). Les espèces cultivées en monocultures, c’est-à-dire les espèces abondantes comme le sarrasin, le tournesol ou le maïs, présentent un pollen de faible teneur protéique (Bruneau, 2006 ; cité dans AFSSA, 2008). Ainsi, à défaut d’un pollen riche en protéines, les abeilles doivent en récolter de plus grandes quantités pour couvrir les besoins de leurs larves. Par ailleurs, le pollen de certaines espèces végétales (lupin, phacélie...) est très riche en acides aminés essentiels pour les abeilles, tandis que d’autres (maïs, tournesol…) en sont moins bien pourvus. Selon Loper et Cohen (1987 ; cité dans AFSSA, 2008), un pollen pauvre en acides aminés indispensables ne permet pas le développement du couvain s’il est consommé seul. De façon générale, la consommation massive par une colonie d’un seul pollen de pauvre teneur protéique peut même mettre en danger la capacité de survie de la colonie (Jacobs, 2004 ; cité dans AFSSA, 2008). Par ailleurs, l’importance des lipides dans les pollens a également été mise en évidence pour la protection sanitaire des abeilles : certains acides gras présents dans les pollens ont en effet des propriétés antimicrobiennes et antifongiques (Manning, 2001). Au-delà de l’importance d’offrir aux larves d’abeilles du pollen en quantité suffisante et de bonne qualité (à forte teneur protéique et lipidique), une étude scientifique récente a montré l’importance d’une alimentation pollinique diversifiée : la consommation par les abeilles de mélanges de pollen leur permet de bénéficier de meilleures propriétés immunitaires par rapport à une consommation de pollen provenant d’une seule espèce végétale, et cela même si ce dernier contient un taux élevé de protéines et tous les acides aminés indispensables (Alaux et al., 2011). Il semble alors qu’en l’absence de ressources polliniques riches en acides gras et d’origines variées, les abeilles peuvent devenir plus sensibles à d’autres facteurs qui, eux, peuvent entraîner une mortalité.
1.5.Concurrence alimentaire entre abeilles sauvages et domestiques
En ce qui concerne la disponibilité en ressources alimentaires, un sujet particulièrement délicat est également discuté : celui d’une possible concurrence entre abeilles sauvages et abeilles domestiques. Dans certains milieux, les abeilles domestiques sont installées en grand nombre pour assurer le service de pollinisation : par exemple, pour des raisons économiques, de nombreuses ruches sont placées aux abords des cultures. Or, la possibilité qu’un trop grand nombre d’abeilles domestiques puisse être défavorable aux abeilles sauvages est aujourd’hui mise en avant. Bien que cette question reste ouverte, plusieurs études indiquent qu’une forte densité d’abeilles domestiques pourrait fortement décourager les autres pollinisateurs, dont les abeilles sauvages, à proximité immédiate (Delbrassine & Rasmont, 1988 ; Walter-Hellwig et al., 2006 ; cité dans Gadoum et al., 2007). D’après une recherche menée par l’équipe d’Andrzej Kosior (2007), la concurrence des abeilles domestiques est considérée comme un facteur explicatif de la régression de certaines espèces de bourdons dans six pays d’Europe sur onze étudiés. L’introduction d’abeilles domestiques pourrait ainsi entrainer le recul des abeilles, comme cela a été montré en Écosse sur quatre espèces de bourdons qui, lorsqu’ils doivent cohabiter avec l’abeille domestique, ont des tailles sensiblement plus petites, indiquant des colonies plus faibles aux succès moindres (Goulson & Sparrow, 2008 ; cité dans Lemoine, 2012). Un exemple frappant a également été rapporté sur l’île d’Öland en Suède : une espèce de bourdon (Bombus cullumanus) a totalement disparu suite au développement de l’apiculture (Cederberg, 2006 ; cité dans Lemoine, 2012). L’arrivée de dix ruches dans un site (momentanément dans le cas de transhumance, ou durablement) apporte dans le milieu en période de miellée entre 300 000 et 600 000 abeilles qui peuvent impacter l’accès aux ressources alimentaires des abeilles sauvages déjà présentes (Lemoine, 2012) : les rayons d’action sont limités de 100 à 300 mètres pour la plupart des abeilles sauvages (Zurbuchen et al., 2010c ; cité dans Lemoine, 2012), alors que celui de leurs cousines domestiques peut aller jusqu’à 5 000 mètres (Bellmann, 2009). Pour cette raison, certains scientifiques appellent à la vigilance et invitent à ne pas mettre de ruchers, notamment dans les espaces naturels39, pour éviter toute concurrence avec les espèces sauvages ou saturer le milieu avec une seule espèce (Lemoine, 2012). Si l’on encourage trop la présence d’abeilles domestiques, on augmente le risque de déprimer les espèces sauvages cohabitantes et, par voie de conséquence, certaines plantes sauvages qui en sont dépendantes (Gadoum et al., 2007). Le sujet de la concurrence alimentaire entre abeilles sauvages et domestiques est particulièrement sensible : d’une part, parce qu’il réside encore à de nombreuses incertitudes ; d’autre part, parce qu’il y existe de forts enjeux économiques s’opposant à des enjeux de conservation, et cela même si la pollinisation des cultures par les abeilles sauvages est de plus en plus reconnue.
1.6.Raréfaction des sites de nidification pour les abeilles sauvages
À l’inverse des abeilles domestiques abritées par l’Homme dans des ruches, les abeilles sauvages nichent dans les sols laissés en terre nue, dans des tiges creuses ou encore dans des galeries creusées dans du bois mort40 : leur survie dépend donc aussi de la disponibilité des sites ou matériaux nécessaires pour leur nidification. Peu d’études scientifiques traitent du sujet mais, en raison des pratiques agricoles actuelles, nous pouvons nous interroger sur la disponibilité des sites ou matériaux indispensables pour la nidification des abeilles sauvages :
- peu d’espaces sont laissés en terre nue : souvent goudronnés (routes, talus…) ou recouverts de pelouse, ces sols deviennent inaccessibles pour les abeilles terricoles ;
- le labour des champs, en particulier lorsqu’il est précoce, peut affecter une grande part des abeilles terricoles (Delaplane & Mayer, 2000) ;
- le fauchage des haies ou des talus par gyrobroyage, ainsi que le nettoyage des brindilles et du bois mort sont des pratiques courantes dans les espaces et jardins dits « propres » qui suppriment les supports de nidification des abeilles. Outre, le manque de matériaux nécessaires à la nidification, ces pratiques limitent aussi les espaces de refuge pour les abeilles, notamment la nuit.
2.Isolement génétique des populations des abeilles sauvages
En ce qui concerne les abeilles sauvages, nous avons vu que la fragmentation des habitats pouvait fragiliser certaines espèces dans leur recherche de nourriture et de lieux de nidification, cela même si elles sont capables de parcourir de grandes distances. Une piste de recherche tente également de mettre en évidence l’impact de la fragmentation des habitats sur les flux de gènes dans les populations d’abeilles sauvages, dans la perspective de leur conservation. Selon une publication d’Amro Zayed (2009), ce phénomène pourrait contribuer à l’isolement génétique des populations et ainsi à des cas de consanguinité. Les populations d’abeilles sauvages deviendraient alors plus vulnérables et, à terme, menaceraient de disparaître localement. Néanmoins, il existe un manque considérable de données sur les espèces d’abeilles sauvages, et en particulier du point de vue de la génétique des populations (Brown & Paxton, 2009).
Les points de vue des acteurs finissent par converger et se rejoignent sur les causes du déclin des abeilles sauvages (essentiellement la cause liée à l’utilisation de pesticides) et l’intérêt de la solution de la ville comme zone refuge pour ces espèces, à l’origine du projet UrbanBees.
Concepts ou notions associés
QSSV: Question Scientifique Socialement Vive / Question controversée / Question ouverte / Question complexe / Polémique / Argumentation / Système de valeur / Débat / Echange de point de vue /
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Sur Quora (Questions / Réponses ) : QSSV: Question Scientifique Socialement Vive/ Question controversée / Question ouverte / Question complexe / Polémique
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Bibliographie
Pour citer cette page: (est l'origine du déclin des abeilles sauvages ?)
ABROUGUI, M & al, 2019. Quel est l'origine du déclin des abeilles sauvages ?. In Didaquest [en ligne]. <http:www.didaquest.org/wiki/Quel_est_l%26%2339;origine_du_d%C3%A9clin_des_abeilles_sauvages_%3F>, consulté le 31, octobre, 2024
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- Changement climatique - Questions
- Parasitisme - Questions
- Champignon - Questions
- Alphabétisation scientifique - Questions
- Sciences "dures" - Questions
- Affect - Questions
- Politiquement sensible - Questions
- Écosystème - Questions
- Bio-invasion - Questions
- Biodiversité - Questions
- Culture monoflorale - Questions
- Pollinisateur - Questions
- Fleur - Questions
- Grain de pollen - Questions
- Butiner - Questions
- Extinction - Questions
- Activité humaine - Questions
- Savoir stabilisé - Questions
- Abeille domestique - Questions
- Concurrence - Questions
- Raréfaction des ressources alimentaires - Questions
- Toxicité - Questions
- Questions
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