Sur la persistance d'une conception : la tuyauterie continue digestion-excrétion - Texte intégral
Introduction
Lorsqu'on leur demande de dessiner les lieux par lesquels transite un litre de bière, entre le moment où eues l'ont bu et le moment où elles vont uriner, trois personnes sur quatre dessinent un tuyau continu entre l'intestin et les conduits urinaires. Cette proportion est maintenue chez les étudiants scientißques ou para-médicaux de première année. Elle n'est plus que d'une personne sur deux en deuxième année d'études universitaires de biologie, après un DEA de biologie, et chez des enseignants de mathématiques ou de physique. Elle disparaît chez des enseignants de biologie. Les origines de cette conception et de sa persistance sont discutées. Il s'agit d'une construction individuelle originale, quotidiennement renforcée, et qui s'enrichit même de connaissances biologiques qui auraient dû la déstabiliser. Cette conception est souvent juxtaposée à d'autres conceptions plus proches des connaissances scientifiques sur le même phénomène, et qui ne sont mobilisées que dans d'autres situations, scolaires par exemple. Sont enfin soulignés les enjeux de recherches de ce type pour la didactique de la biologie et l'ensemble des sciences cognitives.
CONCEPTIONS, REPRÉSENTATIONS, CONNAISSANCES, CROYANCES
L'essor actuel de la psychologie cognitive n'a pas encore abouti à clarifier les significations du terme "représentation", qui est même au cœur d'affrontements théoriques entre les représentationnistes et leurs protagonistes (cf.par exemple Varéla 1989).
Dans l'immédiat, je choisis prudemment d'utiliser plutôt le terme de "conception", proposé par Giordan et De Vecchi, 1987 (cf. aussi Giordan et Martinand, 1988), terme sans doute tout aussi polysémique mais moins marqué pour l'instant dans le champ du cognitif. Crépault d'une part, et Hoc de l'autre, dans un ouvrage récent de psychologie cognitive (Richard et al., tome 2, 1990) utilisent aussi le terme de conceptions. Pour sa part Richard, dans cet ouvrage, insiste sur le caractère transitoire et labile des représentations au sens strict, qu'il considère liées à la réalisation d'une tâche, et qu'il oppose aux "connaissances (qui) sont des structures stabilisées en mémoire à long terme" (pages XII et 35).
Le didacticien de la biologie utilisait jusqu'à présent le terme de représentations pour désigner chez l'apprenant le "déjàlà conceptuel" (Astolfi et Deveìay 1989) qui interfère avec ses tentatives d'appropriation de savoirs. Certes, ce "déjà-là" mémorisé correspond approximativement à ce que Le Ny (1985) appelle "représentations cognitives", "représentations mentales ou "représentations types" ; ou encore aux structures mentales qu'Ehrlich (1985) nomme plutôt "représentations sémantiques" et G.Tiberghien (1989) "représentations mentales des états du monde, ou connaissances sémantiques". Richard (1989) reconnaît d'ailleurs ce deuxième sens du terme "représentations", celui de "connaissances stabilisées en mémoire à long terme". Il en est de même pour Denis (1989), qui établit un organigramme des diverses acceptions du terme "représentations".
Mais il est logique que les chercheurs en didactique des disciplines scientifiques préfèrent le terme de "conceptions" au terme "représentations", et même à celui de "connaissances" souvent utilisé par les cogniticiens (Richard et al, 1990, opus cité pages 70 et s. par exemple).
En effet, l'enjeu des recherches en didactique des sciences expérimentales est de favoriser l'évolution des conceptions des apprenants vers plus de connaissances scientifiques. Le terme de "connaissances" désigne alors plutôt ce qui, dans les conceptions de l'apprenant, est le plus scientifiquement fondé. Les chercheurs en didactique des sciences expérimentales ont à s'interroger sur ce qui est de Tordre du scientifique, ou de la croyance, de la superstition, de l'idéologique, etc. . dans ce qu'ils appellent les conceptions, et que les psychologues nomment "connaissances", aussi bien chez les apprenants que chez les chercheurs, les enseignants et les autres acteurs de l'éducation formelle ou informelle.
Un tel travail sur la nature des conceptions et sur les conditions de leur évolution intéresse aussi bien la didactique des disciplines scientifiques que la psychologie cognitive. Par exemple l'imbrication entre croyances et connaissances scientifiques ne se révèle qu'à l'occasion d'actions ["actes de langage", pour reprendre la terminologie d'Austin 1962, Searle 1969, Habermas 1981, mais aussi décisions comportementales, ...) dans des situations précises où interfèrent les niveaux sémantiques, procéduraux et événementiels, c'est-à-dire les différents types de mémoire (les "connaissances épisodiques, sémantiques et procédurales" que G.Tiberghien 1989 présente comme emboîtées) qui sont au centre des recherches cognitives. Mais les catégories "croyance" et "connaissance scientifique" comportent aussi une dimension sociale (les "représentations sociales" étudiées par les psychologues sociaux, de Moscovici 1961 à Doise 1990, ou le concept d'habitus d u sociologue Bourdieu : Bourdieu et Passeron, 1970), sans parler des dimensions épistémologiques et historiques.
Le travail présenté dans les lignes qui suivent n'est à cet égard qu'un premier pas dans des recherches possibles sur des conceptions relatives à un savoir biologique ; ce savoir concerne ici le devenir de ce que Ton boit, et met donc en jeu des conceptions sur l'articulation entre digestion, circulation et excrétion.
LES RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES: lycéens,étudiants de premier cycle de biologie, et tout public
Le questionnaire utilisé dans le présent travail a été mis au point à la fin des années 70, dans le cadre d'une formation universitaire expérimentale multidisciplinaire pour adultes, l'ESEU-B (Clément et al. 1981a, Boyrivent et al. 1981). Plusieurs questions étaient posées aux adultes en début de formation pour évaluer leur niveau ; parmi celles-ci, deux des questions posées sur la digestion-excrétion concernaient l'une le devenir d'un litre de bière ingurgité, l'autre le devenir d'un sucre croqué. Les schémas demandés différaient pour les deux questions (Clément et al. 1981b). Mais j'avais été particulièrement frappé par la fréquence d'un schéma de tuyau continu entre la bouche et la vessie dans le cas du litre de bière.
Ce travail initial avait pour fonction d'identifier les difficultés des étudiants face au programme de biologie qui leur était ensuite proposé, et de définir ce que nous appelons depuis, à la suite de Martinand (1985) des objectifs-obstacles. Les connaissances biologiques de référence sont traditionnellement traitées dans au moins trois chapitres séparés : la digestion, la circulation et l'excrétion. Dans chaque chapitre s'articulent des connaissances d'anatomie (agencement des organes qui constituent les appareils digestif, circulatoire et excréteur), de physiologie générale (fonctions de chacun de ces organes), de chimie-biochimie (composition chimique des aliments, du sang, de la pré-urine et de l'urine; rôle des enzymes et autres sécrétions dans la digestion chimique), de physiologie fine et de cytophysiologie enfin (le métabolisme de toute cellule de l'organisme, mais aussi les spécialisations des cellules qui jouent un rôle majeur dans les phénomènes digestifs, circulatoires et excréteurs, sans oublier leurs contrôles hormonaux et nerveux).
Nous avions listé les objectifs précis de notre enseignement, qui n'incluaient ni physiologie fine ni cytologie. Les questions posées avaient pour fonction de vérifier la maîtrise suffisante de ces objectifs par la possibilité, pour ces adultes à insérer dans un cycle de formation, de mettre ou non en relation digestion, circulation et excrétion.
Les réponses à toutes les questions posées des commentaires, des tableaux à compléter, et les schémas relatifs aux deux questions sous-mentionnées, nous ont permis de repérer des conceptions qui exprimaient plusieurs types de difficultés : sur la composition chimique des aliments, sur les mécanismes et lieux de leur digestion chimique, sur l'anatomie même du tube digestif (passe-t-il par le foie ?), sur les fonctions des glandes digestives et, de façon très régulière, sur l'existence même du passage des aliments digérés dans le sang avec, lorsqu'il est indiqué, une incertitude sur le lieu de ce passage (estomac, intestin ?). Lorsque le sang était mentionné, sa diffusion dans tout l'organisme semblait comprise, mais les phénomènes excréteurs étaient souvent réduits à la vessie et à l'urètre, deux reins en haricot n'étant qu'assez rarement schématisés.
Ce travail sur les conceptions était intégré à cet enseignement expérimental, où les adultes posaient nombre de questions obligeant l'enseignant à aller beaucoup plus dans les détails que ne l'aurait exigé le programme. Mais ces digressions dans des domaines de la biologie plus sophistiqués étaient nécessaires pour que ces adultes donnent enfin du sens, et mettent en relation, les informations très pointues qu'ils possédaient mais qui restaient jusqu'ici disparates, notamment à propos de problèmes médicaux. J e reste d'ailleurs persuadé que tout étudiant ou élève, même à des niveaux élémentaires, a aussi des îlots de connaissances pointues, et des questions dont la réponse exige à la fois des connaissances très spécialisées (que l'enseignant peut acquérir entre deux cours) et la capacité de les exposer de façon simple.
Mais ce travail a aussi été le point de départ d'une recherche. En effet il était possible d'analyser que les conceptions mises en évidence traduisaient l'existence de divers obstacles de nature et d'importance différentes, mais dont l'un semblait plus fréquent et plus central : [[l'obstacle du tuyau]] dont la paroi ne peut être pensée comme perméable. Or, dans notre organisme, si certains conduits sont bien des "tuyaux classiques", à paroi imperméable, d'autres à la fois conduisent un liquide et permettent, provoquent même, le passage d'une partie de ce liquide à travers leur paroi : c'est le cas de l'intestin, mais aussi des capillaires sanguins, des tubes excréteurs des nephrons dans le rein, etc.. Cet obstacle joue un rôle majeur dans l'explication de la conception où l'intestin débouche directement dans la vessie. J'ai alors décidé de travailler plus sur cette conception.
Un premier travail préliminaire visait à savoir si cette conception "tuyauterie continue digestion-excrétion" existait aussi chez d'autres publics que les adultes initialement testés. Pour simplifier le protocole, je n'ai d'abord retenu qu'une seule question, celle qui faisait le plus régulièrement émerger cette conception : le dessin sur le devenir d'un litre de bière entre le moment où il est bu et le moment où on urine. Les premiers résultats (Clément et al. 1983) ont porté sur des élèves de Troisième, de Terminale littéraire, et sur des étudiants de premier cycle scientifique, option biologie (DEUG-B), première et deuxième année. Ils montrent que le schéma "tuyauterie continue" était produit par environ 90 % des lycéens (Troisième ou Terminale A), 72 % des étudiants biologistes de première année et 57 % des étudiants biologistes de deuxième année. Un schéma jugé correct, c'est-à-dire indiquant les trois types de conduits impliqués (digestif, circulatoire et excréteur), n'était produit que par 0 à 8 % des lycéens, 14 % des étudiants de première année et 36 % des étudiants de deuxième année. Les autres réponses concernaient une catégorie intermédiaire de schémas, mentionnant l'entrée digestive, la sortie excrétrice, et indiquant une discontinuité entre les deux, avec souvent un point d'interrogation, mais sans mentionner le sang. Un échantillon témoin de "tout public", de 20 à 86 ans, dessinait 70 % de tuyauterie continue et 18 % de schémas complets.
Les figures de la planche 1 reproduisent certains de ces schémas obtenus avant 1983. Elles montrent que d'autres catégories peuvent être employées pour rendre compte de la diversité de ces représentations : par exemple la présence ou l'absence du contour du corps, ou même d'objets et autres détails au niveau de l'entrée ou de la sortie du tuyau, la présence ou l'absence d'estomac ou d'autres organes (foie, reins, ...), la linéarité ou la sinuosité du tuyau, ou encore son éventuelle bifurcation vers les deux reins. Dans le présent travail, je me limiterai aux trois catégories sus-mentionnées :
A : tuyauterie continue digestion-excrétion
B : présence des trois compartiments: digestif, circulatoire et excréteur
C : schémas intermédiaires avec discontinuité digestionexcrétion, mais sans le sang. Mon objectif est en effet ici de réfléchir sur la persistance de la conception A.
RÉSULTATS NOUVEAUX:
Ils ont été obtenus dans des contextes d'enseignements de didactique de la biologie, enseignements dont l'objectif est d'introduire une réflexion sur les conceptions. L'unique question posée est donc la suivante : "Vous buvez un litre de bière; peu de temps après, vous allez uriner. Faites un schéma rapide, annoté, indiquant tous les lieux par où transite le liquide ingère, depuis le moment où vous avez bu jusqu'au moment où vous urinez.
Définition graphique
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Dans cette planche extraite de Clément et al. (1983), tous ces schémas ont été classés
dans la catégorie A (tuyau continu digestion-excrétion), sauf la figure 4 (catégorie B :
les trois types de compartiments, digestif, circulatoire et excréteur, sont représentés) et
la figure 9 (catégorie C : intermédiaire, avec un point d'interrogation pour souligner la
discontinuité entre le digestif et l'excréteur).
Le début de la phrase provoque toujours des remous, et je fais volontiers une digression courte sur le "sérieux", nom donné à ce volume de bière au moins par des brasseries lyonnaises. L'ambiance est toujours décontractée, et j'insiste pour que chacun produise un schéma, quelle qu'en soit la qualité. J e laisse juste quelques minutes pour cela, et je passe immédiatement dans les rangs pour ramasser ces dessins qui restent anonymes. Ce type d'exercice intervient bien sûr avant tout développement théorique sur les représentations-conceptions, comme un jeu introductif. J e classe ensuite très vite les schémas en trois paquets (A, B, C : cf plus haut), et J'indique tout de suite les résultats, sur la base desquels s'engage une discussion collective.
École d'infirmières et d'assistantes sociales:
Il s'agit d'étudiant(e)s de niveau bac+1, dont les schémas se sont avérés très voisins de ceux d'étudiants de première année d'un premier cycle scientifique (bac+1), les deux populations ayant à peu de chose près, obtenu le même type de baccalauréat, avec cependant plus de bac. D pour les étudiants en biologie, ce qui explique peut-être le nombre légèrement supérieur de conceptions de type B (présence des trois catégories de conduits : digestif, circulatoire et excréteur).
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Étudiants de deuxième année et du premier cycle scientifique: dominante biologie
Ces résultats, présentés par le tableau 2, montrent une étonnante constance des proportions entre les trois types de conceptions A, B et C, de 1983 à 1990 : la conception A (tuyauterie continue digestion-excrétion) est toujours présente dans les schémas d'environ la moitié des étudiants. En revanche, la conception B, qui mentionne les trois compartiments (digestif, circulatoire, excréteur) semble légèrement plus répandue chez ces étudiants en 1983 qu'en 1989 et 1990. Mais les échantillons retenus pour ce travail étant différents d'une année à l'autre, ces différences ne sont pas significatives.
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Enseignants scientifiques:
Ces résultats portent sur un nombre restreint de personnes, mais de statut particulièrement intéressant. • Moniteurs (planches 2. 3 et 4) Ce sont des allocataires de recherche (bourse de thèse du Ministère de la Recherche) qui effectuent quelques enseignements universitaires, uniquement des travaux pratiques et dirigés. Dans les deux échantillons interrogés, ce sont tous des biologistes, jeunes et brillants, appelés pour la plupart à entrer dans l'enseignement supérieur. Leurs études universitaires de biologie sont proches : ils ont soutenu l'année précédente (moniteurs pour la première année) ou l'année d'avant (moniteurs depuis plus d'un an), un examen de DEA comportant des épreuves théoriques et un mémoire de recherche. Leur spécialisation en biologie est très variée, de la biologie moléculaire à la physiologie ou l'écologie ou les biomathématiques. Ils viennent de plusieurs universités, et sont réunis pour des journées de formation organisées par le CIES à l'ENS de Lyon.
Lorsqu'ils commencent leur thèse de biologie, et débutent dans la pratique de l'enseignement supérieur, la moitié des moniteurs, c'est-à-dire la même proportion que pour les étudiants de deuxième année de premier cycle scientifique-biologie, réalisent des schémas qui montrent la persistance de la conception A (tuyauterie continue digestion-excrétion).
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Conceptions A (tuyau continu digestion-excrétion) de type assez élémentaire, avec très
souvent le contour du corps.
A part la figure 1, qui est le fait d'un moniteur (donc en cours de thèse de Biologie), les
autres schémas de cette planche 2 ont été réalisés par des étudiants de deuxième année
du premier cycle universitaire, filière Biologie.
A noter, dans la figure 2, une bifurcation du tuyau juste avant les deux orifices, digestif
et uro-génital. Ce type de bifurcation, fréquent chez les collégiens, est très rare chez les
étudiants de Biologie.
La figure 6 propose un diagramme à côté du schéma; d'autres réponses ne mettent
qu'un diagramme à la place du schéma : il reste assez aisé de classer ces diagrammes
dans l'une des trois catégories de conceptions retenues (ici en A).
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1 - 2 - 3 : Conception A (tuyau continu digestion-excrétion). Le schéma 1 est de loin le plus fréquent. Le schéma 2 lui est identique, mais témoigne d'un vocabulaire biologique plus riche. Le schéma 3 est intéressant car il indique clairement le passage dans le sang à partir de l'intestin, tout en faisant déboucher directement l'intestin dans un renflement (la vessie ?) et l'orifice urinaire. Ce type de schéma est plus fréquent après la question sur l'alcootest (planche 6). 4 : Conception C, ou catégorie autre (ni A, ni B, ni C). 5 : Conception B, très schématique, mais complète. Le sang est à l'origine à la fois de l'urine et de la transpiration : ce second devenir est très rarement indiqué dans les schémas, sans doute parce qu'il n'est pas induit par la question posée. Les schémas 1, 2, 3 et 4 proviennent des moniteurs (thèse de Biologie en cours) et des étudiants en deuxième année de Biologie. Le schéma 5 a été réalisé par un professeur de Physique en stage C.P.R. (pour d'autres illustrations de ce groupe, voir planche 5).
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Conceptions de type B (1,2,3,4,6) et C (5). Ces schémas ont été réalisés par des Moniteurs (thèse de Biologie en cours) ou des étudiants de deuxième année du premier cycle de Biologie. Noter la diversité des schémas possibles pouvant montrer, avec plus ou moins de détails, les trois compartiments impliqués dans la digestion-excrétion, avec le sang intermédiaire entre les deux. Le schéma devient progressivement diagramme selon l'ordre 1, 2,4, 3 et 6. Le cas du schéma 6 est intéressant car la personne avait initialement indiqué intestin —> vessie (donc conception A), mais elle s'est reprise pour corriger et indiquer intestin —> sang —> urine (conception B). Le schéma 5 est une des versions possibles de la conception C, intermédiaire. La discontinuité digestif-excréteur y est indiquée, mais pas le sang. La place a manqué pour reproduire ici l'égout dans lequel se jette la cuvette des W.C., détails qui prouvent que ce n'est pas par manque de temps que le sang n'est pas indiqué. Après un an de monitorat, cette proportion chute à moins d'un quart, en l'occurence à 4 d'entre eux qui étaient spécialistes de biologie moléculaire et enseignaient surtout en biochimie (les schémas étaient anonymes, mais la discussion collective qui a suivi a permis de relever cette corrélation).
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Enseignants scientifiques dans le secondaire
Un ensemble est formé d'enseignants de mathématiques, de physique ou de biologie, représentant une partie des inscrits en 1990 au DEA de didactique des disciplines scientifiques à l'université Lyon 1. Plus de la moitié d'entre eux mentionnent les trois types de conduits (digestif, circulatoire et excréteur : conception B), deux seulement d'entre eux dessinent une tuyauterie continue digestion-excrétion (la discussion collective fit apparaître qu'il s'agissait de matheux). Un autre ensemble est formé d'enseignants scientifiques en stage C.P.R (planche 5 et schéma 5 de la planche 3). Parmi eux, la moitié environ des matheux et physiciens dessinent une tuyauterie continue, ou la schématisent par des successions de cases, tandis que les quatre biologistes produisent un schéma assez proche de savoirs académiques.
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Schémas réalisés par des professeurs scientifiques en stage C.P.R. (cf. aussi planche 3, schéma 5). 1 et 2 : Conception B, avec tous les compartiments (digestif, sang, excréteur). 1 = professeur de mathématiques ; 2 = professeur de biologie. 3 et 4 : Conception A : l'intestin débouche dans la vessie. 3 = professeur de mathématiques ; 4 = professeur de physique. 5 : Conception C, intermédiaire : la discontinuité digestion-excrétion est indiquée, mais le sang n'est pas mentionné. 5 = professeur de génie civil.
Sur la juxtaposition, chez une même personne, de conceptions différentes concernant le même phénomène biologique
Les résultats qui précèdent ne doivent surtout pas induire un Jugement ou un procès quant à une éventuelle ignorance d'enseignants scientifiques, y compris de Jeunes enseignants de biologie (les moniteurs), sur les mécanismes de digestion-circulation-excrétion chez l'être humain. En effet, quelques minutes de discussion leur suffisaient pour réaliser qu'ils connaissaient bien ces mécanismes. Ils avaient alors plutôt le sentiment de s'être fait piéger, peut-être par la forme même de la question posée.
En ce qui concerne les étudiants de deuxième année de biologie, j'ai à plusieurs reprises procédé à un contre-test en posant cette fois la question suivante : "Vous buvez un litre de bière. Vous avez ensuite un accident de la route; avant de vous hospitaliser, on vous fait une prise de sang pour un alcootest : pourquoi ? Où est passé le litre de bière ingéré ?"
Les réponses d'un premier groupe de 61 étudiants se sont avérées succinctes. 58 d'entre eux, soit 95 %, indiquent que la prise de sang est faite pour mesurer le taux d'alcool, l'alcoolémie, ... Quelques-uns seulement explicitent que l'alcool est passé dans le sang; pour les autres, c'est vraisemblablement implicite, si évident que ça ne peut être l'objet de la question.
J'ai alors complété la même question, pour un groupe de 80 étudiants, en leur demandant d'expliciter leur réponse par un schéma : 12 ne l'ont pas fait, et ont produit une réponse du style de celles du groupe précédent, mais 62 l'ont fait, soit 77,5 %, et ont tous indiqué que l'alcool passait dans le sang (au niveau de l'estomac ou de l'intestin selon les schémas) ; enfin 6 schémas étaient de la dérision pure, ce qui est inévitable dans ce type de situation.
Mais le plus curieux, et en même temps le plus intéressant, est que certains schémas (planche 6) juxtaposaient une tuyauterie continue classique (l'intestin débouchant dans la vessie) à une indication du passage du liquide dans le sang au niveau de l'intestin. La discussion collective avec les étudiants, en amphi, juste après que j'aie ramassé les schémas, montre que, pour certains d'entre eux, c'est l'alcool de la bière qui passe dans le sang, tandis que l'essentiel du liquide coule dans le tuyau jusqu'à l'orifice excréteur. Mais ce n'est pas le cas général : pour plusieurs de ces étudiants, c'est bien l'ensemble de la bière qui passe dans le sang, ce qui ne les empêche pas de faire déboucher l'intestin dans la vessie. Ce type de schéma, juxtaposant une tuyauterie continue intestin-vessie à un passage intestin-sang, a d'ailleurs été obtenu plusieurs fois avec la question précédente : la figure 3 de la planche 3 en est une illustration.
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Réponses d'étudiants de deuxième année de premier cycle universitaire (Biologie) à la
question sur l'alcootest (cf.texte paragraphe 4).
Les 6 schémas reproduits ici mentionnent le sang dans leur réponse, aussi bien sur le schéma que dans son commentaire (sauf pour le 2 : commentaire absent, et pour le 6 : pas dans le schéma).
Les schémas 3 et 5 illustrent deux versions possibles de la conception B, complète pour le schéma 5 (avec les trois compartiments digestif, circulatoire et excréteur), incomplète pour le schéma 3 où seuls les compartiments digestif et circulatoire sont bien différenciés, ce qui est cette fois suffisant pour répondre à la question posée sur l'alcootest.
Les schémas 1, 2,4 et 6 ont été sélectionnés parce qu'ils illustrent la persistance de la conception tuyau continu (l'intestin se jette dans la vessie) alors que le passage du liquide dans le sang est nettement indiqué : au niveau de l'estomac (schéma 2) ou de l'intestin (schémas 1 et 4). Le schéma 6 n'indique pas le passage dans le sang dans sa légende, mais seulement dans le commentaire.
Le résultat majeur de ce nouveau test est que, pour un échantillon comparable d'étudiants, 50 % dessinent un tuyau continu sans mentionner le sang à la question "vous buvez, vous urinez", tandis que plus de 90 % mentionnent le passage de la bière dans le sang à la question sur l'alcootest.
Force est donc de constater que deux conceptions peuvent être juxtaposées dans la tête du même étudiant, sans entrer en conflit, jusqu'à pouvoir être présentes sur le même schéma !
Le plus souvent, cette juxtaposition constitue un fonds de réserve, en mémoire à long terme, chaque conception n'étant mobilisée que dans une situation précise. Une question essentielle pour la didactique et l'ensemble des sciences de la cognition est la suivante : à partir de quel moment des connaissances acquises deviennent-elles mobilisables dans d'autres contextes que celui qui était présent lors de cette acquisition ou lors de son renforcement ?
De façon générale, une partie de cette question est d'ordre épistémologique. Par exemple la scintigraphic cérébrale, ou les potentiels évoqués cérébraux, ne nous renseignent pas sur la nature d'une conception, ni sur le contenu d'un rêve. Chaque contexte d'observation du cerveau et de ses émergences renvoie à de s connaissance s spécifiques, non (encore ?) mobilisables dans les autres contextes, même si l'objectif des sciences de la cognition est justement de stimuler des éventuelles convergences et interfécondations entre disciplines jusqu'ici distinctes et cloisonnées entre elles (psychologie, etnologie, neurobiologie, informatique, sciences de l'ingénieur, ...).
Mais la digestion-excrétion n'est pa s le cerveau. Les connaissances anatomiques, cytologiques et physiologiques s'articulent sans problème majeur. La question de la juxtaposition de conceptions étanches entre elles ne relève pas ici de difficultés épistémologiques, mais devient révélatrice de problèmes pédagogiques essentiels.
En d'autres termes, ce qu'un élève apprend à l'école peut donc reste r stocké dan s de s sortes de tiroirs qui ne s'ouvrent que pour des épreuves scolaires (devoirs surveillés, examens) sans interférer avec les conceptions qui continuent à régir les situations les plus courantes de la vie quotidienne.
Les programmes et manuels scolaires sont trop souvent eux-mêmes des modèles de cloisonnement de connaissances. Le chapitre sur la digestion, par exemple, est bien séparé de celui sur la circulation ; et celui sur l'excrétion est encore bien à part. Un élève peut avoir durant toute sa scolarité d'excellentes notes en sciences naturelles, sans que soit remise en cause sa conception de tuyauterie continue digestion-excrétion qu'il renforce chaque fois qu'il boit et a ensuite envie d'uriner.
Ce que montre le présent travail rejoint certaines conclusions issues de recherches dans d'autres domaines : certains psychologues cognitifs ont montré que deux situations différentes ne mobilisent pas les mêmes connaissances ni les mêmes raisonnements (Richard et al., 1990, page 96). Ce constat questionne l'enseignant comme le chercheur en didactique d'une discipline scientifique, si tant est que le projet de l'éducation scientifique est moins, en principe, de donner des (bonnes) notes et des diplômes que de former aussi (et ainsi ?) des apprenants jusqu'à ce qu'ils sachent mobiliser dans le maximum de situations les connaissances scientifiques pertinentes enseignées.
Le test du litre de bière fait plus que nous renseigner sur la persistance tenace de la conception "tuyauterie continue". Il nous montre aussi que certaines personnes, dans cette situation même de test, peuvent mobiliser des connaissances biologiques apprises. C'est bien sûr le cas de ceux qui ont déjà enseigné la biologie (enseignants et moniteurs depuis plus d'un an, dans les échantillons décrits dans le présent travail) ; mais c'est aussi le cas d'une minorité significative d'étudiants en biologie.
La façon dont la question sur le litre de bière est posée ne suffit donc pas à induire automatiquement un seul type de réponses. Elle permet de différencier ceux dont les conceptions à ce propos ont été restructurées par l'appropriation de connaissances biologiques.
Le problème à résoudre est désormais relatif aux conditions qui ont permis la restructuration en profondeur de cette conception de tuyauterie continue digestion-excrétion. Grâce à quels apprentissages ["allostériques" si l'on ose reprendre la métaphore que Giordan 1990 nomme modèle) ? Une partie de la réponse peut s'appuyer sur les hypothèses possibles quant à l'origine de cette conception aussi tenace que précoce.
Hypothèses sur l'origine et le renforcement de cette conception:
L'intérêt théorique des schémas de type "tuyauterie continue digestion-excrétion" est qu'ils ne reproduisent pas des images pré-existantes. Ils ne peuvent en aucun cas être un reflet plus ou moins déformé d'une réalité extérieure. Aucun manuel scolaire ou document de vulgarisation ne place la vessie et l'uretère à l'extrémité de l'intestin. Ils prouvent que les conceptions, même imagées, sont des constructions logiques inférées d'observations, d'expériences et interprétations individuelles.
En l'occurence, la tuyauterie continue digestion-excrétion est sans doute le résultat d'un "apprentissage par transfert analogique, pour reprendre la terminologie proposée par Richard et al. (1990, page 100) : chacun d'entre nous a observé un tuyau, d'arrosage par exemple : l'eau entre d'un côté et ressort de l'autre, comme dans notre corps (boire, uriner). Le fait que chacun de nous vive quotidiennement cette situation explique la fréquence de cette conception. D'autant plus qu'elle est prédictive. Cette compréhension élémentaire est suffisante pour gérer nos actes sociaux (j'ai beaucoup bu, donc je prévois que je vais devoir uriner). Elle est renforcée à chaque réussite de ces actes, à chaque rappel de cette inévitable corrélation : la réussite de l'action facilite la compréhension (Piaget 1974).
Plusieurs travaux ont été réalisés sur les conceptions des élèves du primaire et du secondaire quant à la digestion et au tube digestif : par exemple G.De Vecchi et M.Roncin en France, D.Bain à Genève (comm.pers., Giordan et De Vecchi 1987, p. 16-20). L'estomac sac-impasse fait rapidement place à un tube digestif qui a une entrée et une sortie, mais qui souvent se bifurque : une branche pour les liquides, une pour les solides, jusqu'aux deux orifices correspondants. Il s'agit des mêmes conceptions et obstacle s que ceux qu'aborde le présent travail, avec une variante induite par la forme de la question posée (devenirs d'un liquide et d'un solide ingérés). Giordan et De Vecchi notent que ces "erreurs" et "incompréhensions" se retrouvent même chez des étudiants futurs enseignants.
En fait, au-delà du constat ou du jugement de cette persistance, le problème est plutôt d'essayer d'en comprendre les raisons. Juger que les français sont nuls quand ils croient que le soleil tourne autour de la terre, c'est ignorer que ce niveau d'explication est largement suffisant pour nombre de tâches quotidiennes (s'orienter, évaluer l'heure, ...). C'est sans doute ce qui explique que cette conception persiste elle aussi, même chez ceux qui savent que c'est la terre qui tourne autour du soleil et mobilisent efficacement ce savoir dans d'autres situations. Les pédagogues ont donc à inventer des situations où le tuyau continu digestion-excrétion n'est plus suffisant pour comprendre et agir ; un peu à l'image des eaux minérales dont les publicités montraient bien que l'eau diffuse dans tout le corps, participant ainsi à son "épuration". Le but du présent travail n'est pas de suggérer ou tester de telles situations.
En revanche, une des leçons de ce travail sur la conception tuyauterie continue digestion-excrétion, réside dans son extraordinaire résistance face à des arguments et connaissances biologiques qui auraient pu la déstabiliser. Ainsi, les schémas recueillis s'enrichissent manifestement de connaissances acquises au cours de dissections du tube digestif, ou d'observations d'écorchés. Le tube rectiligne primitif entre la bouche et le zizi, schématisé dans le contour d'un corps humain (figure 1), devient progressivement plus conforme à l'anatomie d'un tube digestif de mammifère, avec l'estomac, l'intestin qui serpente, et qui est même parfois différencié en intestin grêle et gros intestin. Il devient évident qu'un ou plusieurs enseignements sur le tube digestif sont passés par là, enrichissant l'imagerie de la conception initiale, sans déstabiliser l'idée du tuyau continu où l'intestin débouche dans les reins ou la vessie. A cet égard, les schémas mentionnant le passage du liquide depuis l'intestin jusqu'au sang, mais faisant encore déboucher l'intestin dans la vessie (planche 3: figure 3 et planche 6) sont très instructifs !
CONCLUSIONS
Ce travail montre la prégnance d'une conception (continuité intestin - tube urinaire), par sa mobilisation suite à l'évocation d'une situation de vie quotidienne (boire/uriner). La personne qui mobilise cette conception peut avoir par ailleurs des connaissances sur les mécanismes de la digestion et de l'excrétion (intervention du système circulatoire entre les deux), mais ne manifestera ces conceptions plus conformes au savoir scientifique que dans d'autres situations, par exemple lors d'un contrôle scolaire de biologie.
Le pourcentage de personnes qui mobilisent la conception "tuyau continu" dans la situation précise proposée, varie très significativement avec la population testée. Il est de l'ordre de 90 % en fin de collège et chez des lycéens littéraires. Il est voisin de 70 % sur des publics adultes variés, mais aussi chez des étudiants bac+1 même s'ils sont scientifiques (biologie, para-médical). Il est voisin de 50 % chez des étudiants de deuxième année du premier cycle scientifique dans les filières de biologie (avec une étonnante stabilité sur plusieurs années), chez des doctorants de biologie, et chez des enseignants scientifiques (math et physique). Enfin il disparaît chez des enseignants de biologie qui ont un peu de pratique de cet enseignement.
Cette conception est une construction individuelle fondée sans doute sur l'analogie avec l'écoulement d'un liquide dans un tuyau, et renforcée par des pratiques quotidiennes dont elle rend compte avec suffisamment d'efficacité. Les schémas produits par les personnes interrogées témoignent de cette construction créatrice d'une interprétation qui n'imite, ne "représente", aucun schéma pré-existant. Tout au plus s'enrichissent-ils progressivement d'informations sur divers organes impliqués dans cette tuyauterie, lesquelles issues notamment d'enseignements sur la biologie humaine n'arrivent pas à déstabiliser cette conception et sa mobilisation dans ce type de situation.
Cette déstabilisation est cependant possible puisque seulement un scientifique sur deux mobilise cette conception dans la situation testée, et aucun enseignant de biologie. L'enseignement actuel de la biologie, par son cloisonnement en chapitres trop étanches entre eux, participe à la persistance de cette conception. L'identification de l'obstacle "tuyau continu à paroi imperméable", rend compte de la difficulté à percevoir des conduits biologiques dont la paroi est perméable, et dont la fonction essentielle est liée à cette perméabilité. Elle devrait permettre d'imaginer des enseignements qui déstabilisent mieux qu'actuellement cette conception, dès l'école élémentaire, puis, en Introduisant de façon pertinente et progressive des connaissances de plus en plus spécialisées.
Le présent travail Introduit à des problèmes plus généraux liés à la cognition : mécanismes de mise en mémoire par construction individuelle de conceptions, puis de renforcement, enrichissement et/ou déstabilisation de ces conceptions en fonction des situations rencontrées; stockage de plusieurs conceptions sur le même phénomène, théoriquement contradictoires entre elles, mais juxtaposées et mobilisées dans des situations différentes. L'objectif est alors de mieux comprendre ce qui permettra l'émergence de ces contradictions, favorisant un remodelage durable pour que des conceptions plus scientifiques soient mobilisées dans les situations par rapport auxquelles elles sont pertinentes.
Les mots clés
Les concepts didactiques
Conception représentation connaissance scientifique obstacle objectif-obstacle l'obstacle de tuyeau
Les concepts biologiques
intestin vessie conduit urinaire orifice excréteur digestion - circulation - excrétion anatomie biologie physiologie cytophisiologie
La transition de la didactique à la biologie
Analyse des conceptions relatives à un savoir scientifique qui se manifeste dans le devenir de ce que l'on boit. Ce qui met en jeu des conceptions(didactique) sur l'articulation entre digestion, circulation et excrétion(biologieà
conflit cognitif
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