Différences entre versions de « Biologie - Épistémologie »

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Intermezzo
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Si la vie se trouve éliminée par une objectivation de la biologie, où la trouverons-nous ? Serait-ce dans le monde? Ou à l'interface du Bios et de l'Anthropo-Socio-Cosmos ?
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Fulgurance de l’individualité biologique : le quantum de vie.
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Dans le monde, il est vrai, nous voyons des êtres vivants, des corps vivants, mais jamais la vie. Ce caractère d'être vivant est inhérent à la notion d’organismes , c'est ce caractère vivant, c'est cette signification d'être vivant que nous appréhendons, percevons, jamais la vie car la vie n'appartient pas à l'ordre de ce qui est, ni même à ce qui paraît, mais au paraître lui-même ; elle n'appartient pas à l'ordre des FAITS, mais à celui des FAIRE
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Avec pour père spirituel Héraclite, Edgar Morin dégage une conception du vivant centrée sur un processus permanent d’échanges et de transformation et lorsqu’il reconnaît une parcelle de vie, une particule de vie, il la décrit dans ce tourbillon. Par analogie avec le concept de quantum d'énergie de Planck, il désigne l’individualité biologique  par quantum de vie.
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Edgar Morin renverse les perspectives et nous apprend à raisonner dans le changement, la fuite, la récursivité, ce qui revient à passer d’un paradigme objet  à un paradigme action en dégageant les concepts et les fondements qui vont conduire, guider, sous-tendre ces nouvelles représentations, dynamiques et fonctionnelles, du vivant.
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La pensée d’Edgar Morin s'exerce en se pensant système. Ceci correspond à une autre logique de penser qui lie au lieu de mutiler, qui intègre au lieu de dissocier, qui actionne au lieu de figer, qui vit. Elle se développe dans un référentiel systémique dont on rappellera les préceptes fondateurs.
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A la racine de la complexité : la notion de « système »
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Pour Edgar Morin, « les objets font place aux systèmes », c’est-à-dire que la représentation statique, en isolation, indépendamment de son environnement d’une entité quelconque est infondée.
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De nombreuses tentatives ont approché la définition du concept de « système », jusqu’à la « Théorie générale des systèmes » Bertalanffy qui, traitant de systèmes, omet d’en établir les fondements. On doit à Edgar Morin d’avoir dégagé la notion de système en la déployant par celle d’ organisation, concept pivot qui lie les relations entre les composants à la totalité. Par sa récursivité, l’idée d’organisation est simultanément constitutive des relations et du système. Les propriétés d’émergence, de contraintes , de (ré)activité permettent d’inférer l’intelligibilité du concept d’organisation.
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Une formulation paradoxale de l’émergence la définit comme la propriété du système a être plus que la somme de ses parties, en insistant sur son statut de qualité nouvelle qui lui confère la propriété d’événement. Comme l’observe Edgar Morin  « elle surgit de façon discontinue une fois le système constitué ». La vie elle même est propriété émergente. Autre propriété définitoire des systèmes, la notion de contrainte désigne les lois qui s’appliquent par la subordination des parties au tout; cette propriété est essentielle pour comprendre et rendre compte de la structure d’un système. La troisième notion essentielle est celle de (ré)activité des systèmes, c’est-à-dire leur capacité à adapter leur organisation, la notion de (ré)activité est spécifique aux systèmes ouverts, les systèmes vivants, et est liée à celle d’événement.
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On constate que pour définir la notion de système, on doit faire référence à plusieurs concepts articulés entre eux. Pour citer Edgar Morin : « le système est donc conçu comme le concept complexe de base, c’est le concept complexe le plus simple ». Cette assertion évoque les notions d’ouverture et de couplage des systèmes et de systèmes de systèmes, à leur environnement. Dés lors, des heuristiques peuvent être dégagées pour appréhender les systèmes biologiques dans leur dynamique et accomplir la révolution paradigmatique que la révolution biologique impose par une introduction à la pensée complexe.
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Introduction à la pensée complexe
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Edgar Morin en établit les fondements par la formulation de trois principes.
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Le principe de « dialogique » constate la nécessité opératoire d’une pratique simultanée de logiques qui ne sont pas opposées, concurrentes, contraires, c’est-à-dire antagonistes, mais agonistes et concourant à l’intelligibilité des phénomènes, pour en assurer la complétude. Ainsi, le blanc n’est plus le contraire du noir, il le complète, donne au noir sa complétude ; ainsi le bien et le mal se font écho et l’ordre se définit par le chaos. Ainsi, le héron ouvre ses ailes et dans l’ombre qu’il crée décèle les reflets de sa pêche qu’il ne voit pas dans trop de lumière. De même, le raisonnement dialogique développe ce clair-obscur, ce « sfumato » où  se développe les phénomènes, quelque part entre les contraires. Dans les systèmes vivants, le monde de l’ADN, de l’engramme, et le monde des protéines, de la phénoménologie, sont nécessaires l’un à l’autre et l’organisation vivante s’établit sur leur intrication.
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Le second principe est le principe de « récursivité ». La récursivité est la propriété d’un phénomène dont les produits sont nécessaires à sa propre réalisation, elle a un fort pouvoir organisationnel. En outre, la récursivité figure certains aspects tangibles de la complexité. La linéarisation induit la perte de la récursivité et le passage du complexe au simple ; en particulier, la production du monde des protéines évoqué précédemment est nécessaire à la production du monde de l’ADN et, inversement, le monde de l’ADN est nécessaire à la production du monde des protéines.
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Enfin le principe « hologrammatique » exprime le paradoxe suivant lequel le tout est dans la partie et la partie est dans le tout. Ainsi chez l’humain, chaque cellule contient dans son ADN la totalité de l’organisme constitué de milliards de cellules. Donc, non seulement la partie est dans le tout mais le tout est dans la partie. L’idée d’hologramme se rapporte à celle de système et se distingue de celle du réductionnisme qui ne voit que les parties et celle du holisme qui ne voit que le tout. Il convient de reprendre ici la célèbre formulation de Pascal qui immobilise l’esprit linéaire: « je ne peux pas concevoir le tout sans concevoir les parties, et je ne peux pas concevoir les parties sans concevoir le tout ».
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L’intégration biologique : l’incompressible paradigme
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Ceci posé, Edgar Morin construit précisément une représentation du vivant sur la notion d’individualité biologique.
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Appréhender le concept de vie par la singularité biologique revient à affirmer que la vie n’a pas de réalité en dehors de l’individu ,  qu’elle apparaît et disparaît avec lui ; comme lui, elle est aléatoire et discontinue.  Cependant, comme l’individu, elle est rattachée à un continuum abstrait : la vie est limitée et pourtant elle est permanente, la vie est aléatoire et pourtant elle est immanente. Le fini et l’aléatoire de la vie sont tangibles, sa permanence et son immanence sont intangibles, le fini et l’aléatoire sont contingents, la permanence et l’immanence sont nécessaires. Par ce paradoxe d’une vie intangible et nécessaire et d’individualités tangibles et contingentes, Edgar Morin stigmatise l’individualité biologique comme la réalité primordiale de la vie, connaître cette individualité c’est appréhender le concept de vie. Au niveau de ses composants les plus élémentaires, la singularité biologique se définit par son organisation :  « ce n’est pas l’organisation vivante qui émane d’un principe vital, c’est la vie qui émerge de l’organisation vivante ».
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Edgar Morin dégage les fondements d’un paradigme organisationnel, « l’incompressible paradigme », établis sur les notions de computation, d’information, de communication. La computation opère l'unité fondamentale du physique au biologique et désigne l’opération de traitement de symboles génératrice d’organisation et nécessaire à l’organisation vivante. Par symbole, on entend l’ensemble de signes réalisés par engrammation chimique et qui constituent une marque, un rappel d’un événement, en fait, une information. Edgar Morin appelle ce signe, cette information, information générative car elle est nécessairement associée à une computation génératrice d’organisation. Par exemple, l’information, c’est-à-dire les signes engrammés dans l’ADN, pour se transmettre de génération en génération est assurée par le fonctionnement, la computation, de l’ensemble de l’appareil sur lui-même ; c’est l’ADN qui assure sa propre transmission. L’information générative est un quasi-message qui désigne à la fois l’engrammation de signes et leur traitement. Cette information générative est différente de l’information circulante qui assure la communication entre les êtres vivants qui sont organisés à cet effet. La circulation d’éléments chimiques qui constituent des quasi-signaux, déclenche ou inhibe des activités de computation. Information générative et information circulante sont liées par la computation, elles peuvent être ainsi transformées l’une en l’autre par un « appareil » capable d’enregistrer et de traiter ; la génération et la circulation sont deux moments de l’information dans un circuit récursif entre génotype et phénotype qui compute et produit, l’organisation c’est-à-dire l’individualisation biologique mais aussi les relations entre l’individu et son environnement.
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C’est dans le cadre de cet incompressible paradigme de computation-information-communication qu’Edgar Morin donne à entendre la « singularité biologique » comme le produit d’une opération doit intègrer les concepts d’éco-organisation, d’éco-auto-organisation et d’auto(géno-phéno)-organisation.
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L’éco-organisation désigne un méta-système (oikos : commun) qui produit ses émergences et ses contraintes; l’individualisation biologique est partie de cette éco-organisation au sein de laquelle elle est immergée. Elle y développe des relations de symbiose et/ou de concurrence avec les autres composants de la biocénose. L’individualisation est entendu ici tant au niveau de l’entité humaine que de l’entité moléculaire. Au sein de la cellule, une individualisation moléculaire est immergée dans une biocénose cellulaire avec laquelle elle interagît et cette activité participe à l’activité de l’ensemble ; la défaillance individuelle tant qualitative que quantitative d’une seule entité peut avoir des incidences sur le comportement de l’ensemble quoique une des propriétés de l’éco-organisation en tant que système c’est de se maintenir en se réorganisant, l’état d’équilibre n’étant atteint qu’au prix de compensations internes, ce qui mesure la « robustesse » de la biocénose. Parfois, il y a changement d’organisation et le système évolue, se différencie, pour s’adapter à d’autres conditions. La variété des cycles d'éco-organisation assure inlassablement l’articulation des entités biologiques, même disloquées par la mort, dans un boucle qui se régénère : « la vie se construit dans le mouvement de sa destruction, s’organise dans le mouvement de sa désorganisation » ;  le concept d’éco-organisation donne tout son sens à la maxime clé d’Héraclite : « Vivre de mort, mourir de vie ».
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L’éco-auto-organisation : « l’éco-organisation  est l’école de l’auto-organisation ». Principe fondateur du paradigme organisationnel, la relation oikos-autos exprime la dynamique de fonctionnement d’une entité biologique décrite par son auto-organisation (occurrences spatio-temporelles et morpho-différentielles) et son évolution (chronique des transitions induites par des changements de l’environnement). Inversement, le fonctionnement et l’évolution d’une entité biologique transforment son environnement ; de sorte, que la relation inter oikos-autos peut être assimilée à une relation de couplage entre systèmes : « Dans un paradoxe qui est propre de la relation éco-auto-organisatrice, c’est dans cette dépendance que se tisse et se constitue l’autonomie des êtres ». Cette relation n’a pas de consistance dans l’univers cartésien peuplé d’objets statiques.
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L’auto-(géno-phéno)-organisation. L’individualisation biologique est par essence une entité topologique différentiable de son milieu définie par une organisation autopoïétique qui produit ses propres composants et capable de résister aux déformations dues aux flux de matière et d’énergie qui la renouvelle. Malgré l’utilisation de la métaphore de machine pour appréhender le fonctionnement des entités biologiques, celle-ci s’avère d’une portée limitée sur ce point, les machines ne produisant pas leurs propres constituants. L’autopoïèse est perçue comme un processus géno-phénoménal : c’est la cellule et non le gène qui se reproduit (le gène n’opère que dans la cellule vivante) bien que le génome porte en lui la potentialité de nouvelles entités. La notion d’auto-(géno-phéno)-organization capture l’idée de cette dualité géno-phénoménale : le produit produit son producteur, c’est toute l’organisation phénoménale de la cellule qui est nécessaire à l’action des gènes, l’action des gènes est régulée par l’organisation cellulaire qui est sous le contrôle des gènes. C’est de cette dualité entre organisation générative et organisation phénoménologique dont résulte la singularité vivante.
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Aux portes de la complexité
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Ayant examiné les principes établissant l’organisation biologique, Edgar Morin s’interroge sur le résultat: « qu’est-ce qu’un individu vivant ? Une unité élémentaire ? Un sous-système ? Un système global ? ».
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Comment qualifier d’élémentaire fut-ce la singularité vivante la plus simple, quand celle-ci résulte d’intégrations multidimensionnelles? Comment  appeler sous-système « ce en quoi prend forme et corps le phénomène organisationnel et existentiel de la vie  » ? Comment donner rang de système à cette singularité sans abandonner aux gènes un déterminisme puissant ? La conciliation de ces vues antagonistes, Edgar Morin l’opère en accompagnant la biologie aux portes de la complexité en constatant que : « la révolution biologique s’est en fait enfoncée dans le royaume de la complexité mais elle ne le sait pas encore ». Cette révolution vise l’introduction de la problématique organisationnelle ainsi que celle de l’auto-éco-causalité contingente au regard du déterminisme linéaire.
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Il convient de rappeler qu’Edgar Morin faisait ce constat en 1980, il y a plus de vingt ans, en accomplissant cette réflexion visionnaire que constitue le tome II de La Méthode, la Vie de la Vie. Dans le même temps et pour plus de vingt ans, la biologie s’engageait dans un réductionnisme exacerbé. Certes, parallèlement, François Jacob développait ses réflexions sur un nécessaire changement de paradigme ; mais seul Edgar Morin a ouvert les voies qui y conduisent.
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Les thèses développées par Edgar Morin, rapportées trop brièvement ici, pénètrent des groupes « avancés » qui engagent aux USA, au Japon, en Europe, des changements radicaux.  Il s’agit désormais de partir, non d’un paradigme atomisant qui s’efforce de concevoir le montage d’un mécano chimique mais d’un paradigme d’organisation active ; il ne s’agit pas d’être pour ou contre ces deux paradigmes, il s’agit d’être localement tantôt l’un, tantôt l’autre.  Ces  évolutions s’opèrent par la mise en place de groupes transdisciplinaires associant épistémologistes, mathématiciens, informaticiens et bien sûr biologistes.
  
  

Version du 12 mars 2018 à 23:15


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