Différences entre versions de « Positivisme »

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{{Conceptions canoniques}}
 
{{Conceptions canoniques}}
* Cette philosophie existe déjà à l'époque d'Auguste Comte, mais incomplète, éparse dans diverses disciplines. Comte veut à la fois la compléter et la construire comme système.
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*Le positivisme est un courant philosophique fondé au XIXe siècle par Auguste Comte, à la fois héritier et critique des Lumières du XVIIIe siècle.  
Le point de départ est l’exposé de la loi des trois états (p. 62, « En étudiant ainsi… »). Il s’agit d’une grande loi historique qui assujettit le développement de l’intelligence humaine, aussi bien chez l’individu que dans l’espèce. Cette histoire n’est pas contingente ; elle ne résulte pas d’un malheureux accident mais d’une nécessité invariable. Les diverses fractions de l’Humanité parcourent les mêmes étapes à des vitesses différentes mais selon le même ordre, ou plutôt c’est l’Humanité, comme être collectif, qui est en train de parcourir l’ensemble. Ces trois états, nommés théologique, métaphysique, positif, sont présentés comme des états de la connaissance, mais à chacun d’eux correspond un régime, c’est-à-dire à la fois un régime politique et une manière de vivre, un développement de l’imagination et du sentiment. C’est la totalité d’une société, considérée sous tous ses aspects, qui est déterminée par un état de l’intelligence, ce que Comte résumait en disant que les idées mènent le monde. Cette loi peut s’appuyer soit sur des preuves rationnelles, soit sur des vérifications a posteriori et le texte de Comte propose les unes et les autres. Mais si l’histoire est d’abord le fil conducteur le plus efficace, c’est bien la nature de l’esprit humain qui fait comprendre la nécessité de la succession.
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*Le positivisme s'en tient aux relations entre les phénomènes et ne cherche pas à connaître leur nature intrinsèque : il met l'accent sur les lois scientifiques et refuse la notion de cause.
* * L’état théologique
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*Il construit une philosophie des sciences qui part des mathématiques pour aller jusqu'à la sociologie et la science politique, ainsi qu'une philosophie de l'histoire qui conçoit le processus historique comme une avancée vers davantage de rationalité scientifique (« positive ») et moins de théologie et de spéculation métaphysique sur les réalités transcendantes [« la loi des trois états »].  
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{{@}} la loi des trois états
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* Il s’agit d’une grande loi historique qui assujettit le développement de l’intelligence humaine, aussi bien chez l’individu que dans l’espèce. Cette histoire n’est pas contingente ; elle ne résulte pas d’un malheureux accident mais d’une nécessité invariable. Les diverses fractions de l’Humanité parcourent les mêmes étapes à des vitesses différentes mais selon le même ordre, ou plutôt c’est l’Humanité, comme être collectif, qui est en train de parcourir l’ensemble. Ces trois états, nommés théologique, métaphysique, positif, sont présentés comme des états de la connaissance, mais à chacun d’eux correspond un régime, c’est-à-dire à la fois un régime politique et une manière de vivre, un développement de l’imagination et du sentiment.
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** L’état théologique
 
* Il est caractérisé par la croyance en des agents doués de volonté, qui expliquent tous les phénomènes frappants de la nature. Cet état qui a duré fort longtemps, se décompose en trois moments principaux :  
 
* Il est caractérisé par la croyance en des agents doués de volonté, qui expliquent tous les phénomènes frappants de la nature. Cet état qui a duré fort longtemps, se décompose en trois moments principaux :  
* * * le fétichisme, qui attribue aux objets eux-mêmes une vie, une pensée, des intentions semblables aux nôtres. L’affectivité y prédomine
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- le fétichisme, qui attribue aux objets eux-mêmes une vie, une pensée, des intentions semblables aux nôtres. L’affectivité y prédomine
* * * le polythéisme, qui peuple la nature d’êtres fictifs, personnels et invisibles  
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- le polythéisme, qui peuple la nature d’êtres fictifs, personnels et invisibles  
* * * le monothéisme, qui concentre tout le pouvoir en un seul Être suprême.
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- le monothéisme, qui concentre tout le pouvoir en un seul Être suprême.
* L’état théologique nous est surtout connu sous cette dernière forme qui a régi pendant des siècles la pensée occidentale, mais c’est dans le polythéisme qu’il se montre le mieux avec son caractère principal, « la libre prépondérance spéculative de l’imagination ». Dans le monothéisme, l’esprit métaphysique est déjà à l’œuvre. Dans le fétichisme, la pensée est courte, mal coordonnée, à peine supérieure à celle des animaux. Le polythéisme manifeste pleinement la puissance de ce que nous appelons aujourd’hui la pensée mythique et que Comte appelle l’état fictif. L’état fétichiste par lequel l’humanité a dû commencer est celui par lequel commence tout enfant. Les choses sont pour lui bonnes ou méchantes. L’adulte instruit lui-même redevient fétichiste dans les moments d’intense émotion et supplie les choses de lui être favorables. Sous les trois formes principales, Comte a un grand souci de rendre justice à l’état théologique. C’est en lui que s’est faite l’éducation de l’humanité.
 
* * L’état métaphysique
 
* A vrai dire, l’usage que Comte fait de ce mot peut déconcerter le lecteur des Méditations métaphysiques (de Descartes) ou du Discours de Métaphysique (de Leibniz), qui trouve dans ces ouvrages la systématisation philosophique de la théologie. Le sens comtien peut être dérivé d’un usage commun au XVIIIe siècle. On appliquait alors le mot « métaphysique » (soit comme substantif, soit comme adjectif) aux principes généraux des sciences (cf. Métaphysique du calcul infinitésimal de Carnot).
 
Mais en même temps, il avait pris une nuance péjorative ; on l’associait volontiers à des adjectifs tels que « obscur » « abstrus », « confus ». Dans l’école des Idéologues21, la « métaphysique » désigne souvent la science de l’esprit, des idées, de leur origine.
 
* C’est à partir de cet héritage que Comte voit dans l’esprit métaphysique le règne de l’abstraction. Il y voit surtout une modification de l’esprit théologique : même recherche des causes premières, mais au lieu d’imaginer, on argumente. Les puissances divines sont remplacées par des essences, des qualités cachées, des principes abstraits dont on parle comme s’il s’agissait d’agents concrets.
 
Comte dénonce particulièrement l’usage fréquent au XVIIIe siècle du mot Nature pour désigner un être susceptible de vouloir et d’agir. En même temps, comme l’esprit métaphysique est une altération de l’esprit théologique, Comte le voit surtout critique et dissolvant.
 
* L’état métaphysique est transitoire. Plus qu’un état, c’est le passage même de l’esprit théologique à l’esprit positif. Il peut selon les exemples paraître plus proche de l’esprit positif par la recherche de la rationalité ou plus proche de l’esprit théologique par le peu d’attention portée à l’observation des faits. Il détruit les mythes et par là prépare le terrain aux sciences, mais il remplace les mythes par des constructions aussi arbitraires, bien que de forme conceptuelle. Tout en jugeant que c’est un moment nécessaire, Comte a de l’antipathie pour cette forme de la pensée et le terme même de métaphysique conserve chez lui la nuance péjorative que nous avons signalée.
 
* Les deux états féconds et organisateurs sont pour Comte l’état théologique et l’état positif. « L’on ne détruit que ce que l’on remplace », c’était l’une de ses maximes familières. La philosophie du XVIIIe siècle a le double tort à ses yeux de n’avoir pas assez détruit22 et de n’avoir pas remplacé ce qu’elle détruisait. Cependant il ne faudrait pas s’imaginer que l’on aurait pu faire l’économie de cette transition. Le règne de l’esprit positif est devenu possible grâce au mouvement des Lumières et à la Révolution française. Comte ne l’oubliait pas et s’était choisi pour père spirituel Condorcet
 
* *L’esprit positif
 
* C’est l’état normal de l’intelligence à l’âge adulte. Cet état est définitif parce qu’il est conforme à notre et convient à nos besoins en même temps qu’à nos capacités. L’on peut dire qu’il est définitif parce qu’il est normal ; le terme doit être entendu au sens normatif, fixant la règle, non par référence à un idéal imaginaire mais par la connaissance du Grand Être, de sa nature et de ses limitations. Considérant l’Humanité comme un unique être vivant qui passe par l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, Comte n’envisage pas que cet être puisse connaître la vieillesse et la décrépitude, tout au plus des régressions accidentelles et provisoires.
 
* L’esprit positif est d’abord présenté négativement par opposition aux états précédents. Cet esprit renonce à des recherches dont l’homme a fini par mesurer l’inanité et dont la fonction a été seulement d’éduquer son intelligence. Selon une formule qui devint vite célèbre (et le resta), l’esprit positif renonce à chercher les causes, pour s’attacher seulement aux lois : il s’agit bien entendu des lois de la nature, mais nous verrons que la société elle-même est englobée dans la nature.
 
* La renonciation aux causes, pour être bien comprise, doit être liée au sens que Comte donne à ce mot, et qui est délimité par les adjectifs qui l’accompagnent habituellement. Les causes sont intimes, elles sont absolues, elles sont soit premières soit finales. La loi, au contraire, est une relation (loi de coexistence, statique, ou loi de succession, dynamique) qui rattache chaque objet à ce qui lui est extérieur. La cause, en ce sens, est à rapprocher de la substance. L’un et l’autre concepts supposent une référence à l’absolu.
 
* Si l’on pensait au contraire la causalité elle-même comme une relation régulière, les motifs de cette condamnation échapperaient entièrement, mais l’on se trouverait dans un tout autre système de pensée, par exemple celui de Kant24.
 
* Ainsi, dans le cas de la pesanteur – qui est un exemple central – il ne faut pas chercher « ce que sont en elles-mêmes cette attraction et cette pesanteur » mais leur relation aux masses et distances. La vingt-quatrième Leçon rappellera qu’avant Newton, le poids d’un corps était tenu pour une qualité rigoureusement inaltérable : « C’était la seule notion qui pût présenter, même aux philosophes les plus positifs, un véritable caractère d’absolu. » Newton montre que ce caractère est relatif à la position du corps par rapport aux autres corps. Ainsi, une qualité intime et absolue est remplacée par une relation quantitative externe et variable. Ce n’est pas que la physique renonce à mettre en évidence les invariants – mais les invariants sont des termes dans des relations et non pas des absolus indépendants de toute relation.
 
* Au reste, les différentes disciplines de la pensée parcourent les trois phases avec des vitesses différentes de sorte qu’en une même époque – voire chez un même penseur – peuvent coexister, par exemple, une astronomie positive, une biologie métaphysique et une sociologie théologique. Mais cette situation ne peut être que provisoire, et d’ailleurs elle est un facteur de déséquilibre pour les individus ainsi partagés. Les raisons de cette disparité s’éclairciront dans la deuxième Leçon.  
 
  
* L'expérience et la méthode expérimentale
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** L’état métaphysique
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*L'état métaphysique, aussi appelé état abstrait, désigne le siècle des Lumières et notamment les encyclopédistes. Auguste Comte leur reproche de raisonner à partir de la supposition abstraite et métaphysique d'un contrat social primitif comme le fait notamment Jean-Jacques Rousseau et de raisonner à partir des droits individuels communs à tous les hommes, aboutissant aux idées de liberté et de souveraineté du peuple.
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Beaucoup de philosophes, ainsi que certains pères fondateurs des États-Unis, se définissent en ce XVIIIe siècle comme déistes, position purement métaphysique.
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**L’esprit positif
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*Dans l'état scientifique, aussi appelé état positif, l'esprit humain renonce temporairement à comprendre l'origine ou l'éventuelle destination de l'univers, jusqu'à plus ample informé. Il renonce de ce fait à la question du « pourquoi ? » chère à Aristote (et source de plusieurs de ses erreurs en physique) et recherche par l'usage unique du raisonnement et de l'observation les lois effectives de la nature « c’est-à-dire leurs relations véritables de succession et de similitude ». L'entrée dans l'état scientifique s'accompagne de l'abandon de l'étiologie au profit d'une explication législative, c'est-à-dire fondée sur des lois invariables..
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{{@}}L'expérience et la méthode expérimentale
 
* * Le positivisme met en avant l'expérience. "Nous donnerons au mot expérience, [...], le même sens général qu'il conserve partout. Le savant s'instruit chaque jour par l'expérience ; par elle il corrige incessamment ses idées scientifiques, ses théories, les rectifie pour les mettre en harmonie avec un nombre de faits de plus en plus grand, et pour approcher de plus en plus de la vérité. On peut s'instruire, c'est-à-dire acquérir de l'expérience sur ce qui nous entoure, de deux manières, empiriquement et expérimentalement". Dans les sciences, "l'expérience est toujours acquise en vertu d'un raisonnement précis établi sur une idée qu'a fait naître l'observation et que contrôle l'expérience" (Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, Paris, Garnier Flammarion, 1966, p. 41).
 
* * Le positivisme met en avant l'expérience. "Nous donnerons au mot expérience, [...], le même sens général qu'il conserve partout. Le savant s'instruit chaque jour par l'expérience ; par elle il corrige incessamment ses idées scientifiques, ses théories, les rectifie pour les mettre en harmonie avec un nombre de faits de plus en plus grand, et pour approcher de plus en plus de la vérité. On peut s'instruire, c'est-à-dire acquérir de l'expérience sur ce qui nous entoure, de deux manières, empiriquement et expérimentalement". Dans les sciences, "l'expérience est toujours acquise en vertu d'un raisonnement précis établi sur une idée qu'a fait naître l'observation et que contrôle l'expérience" (Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, Paris, Garnier Flammarion, 1966, p. 41).
 
La méthode expérimentale constitue la pièce maîtresse de l'argumentation dans les sciences positives. Elle est fondée sur la distinction nette des faits et de la théorie ; la mise en place d'un ensemble expérimental permet de corroborer la théorie par les résultats d’expérience, les faits garantissent la justesse de la théorie ou viennent l'invalider, mais pas seulement. Plus généralement, il y a une interaction des deux ; les faits suscitent de nouvelles théories qui auront à être vérifiées et ainsi de suite. Dans cette conception, l'investigateur n'entre pas dans le dispositif expérimental. Il est considéré comme un observateur neutre dont la personnalité n'intervient pas (ou seulement comme source d'erreurs d'interprétation). L'observateur est le miroir des faits « objectifs ».
 
La méthode expérimentale constitue la pièce maîtresse de l'argumentation dans les sciences positives. Elle est fondée sur la distinction nette des faits et de la théorie ; la mise en place d'un ensemble expérimental permet de corroborer la théorie par les résultats d’expérience, les faits garantissent la justesse de la théorie ou viennent l'invalider, mais pas seulement. Plus généralement, il y a une interaction des deux ; les faits suscitent de nouvelles théories qui auront à être vérifiées et ainsi de suite. Dans cette conception, l'investigateur n'entre pas dans le dispositif expérimental. Il est considéré comme un observateur neutre dont la personnalité n'intervient pas (ou seulement comme source d'erreurs d'interprétation). L'observateur est le miroir des faits « objectifs ».
 
Claude Bernard définit très clairement le procédé inductivo-déductif : l'observation fait naître des idées qui seront contrôlées par l'expérimentation et éventuellement réfutées. L'expérience est toujours liée au raisonnement, elle se fait selon une théorie rationnelle, ce n'est pas un cheminement au hasard selon d'obscures intuitions. Le raisonnement causaliste est indissociable de la méthode expérimentale. Dans ce cas, la causalité concerne des faits précisément définis. Il s’agit uniquement des causes dites « prochaines » qui sont conçues dans une inspiration empiriste empruntée à David Hume.
 
Claude Bernard définit très clairement le procédé inductivo-déductif : l'observation fait naître des idées qui seront contrôlées par l'expérimentation et éventuellement réfutées. L'expérience est toujours liée au raisonnement, elle se fait selon une théorie rationnelle, ce n'est pas un cheminement au hasard selon d'obscures intuitions. Le raisonnement causaliste est indissociable de la méthode expérimentale. Dans ce cas, la causalité concerne des faits précisément définis. Il s’agit uniquement des causes dites « prochaines » qui sont conçues dans une inspiration empiriste empruntée à David Hume.
* Causalité ou légalité ?
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{{@}}Causalité ou légalité ?
 
*** Le principe de causalité généralement appliqué se traduit par quelques énoncés traditionnels : tout fait a une cause et il n'y a pas d'effet sans cause ; les mêmes causes produisent les mêmes effets ; la cause précède ou accompagne son effet ; la disparition ou la cessation de la cause entraîne la disparition ou la cessation de son effet. Dans l'enchaînement causal, conçu comme série linéaire, la cause entraîne un effet qui ne peut être lui-même sa propre cause.
 
*** Le principe de causalité généralement appliqué se traduit par quelques énoncés traditionnels : tout fait a une cause et il n'y a pas d'effet sans cause ; les mêmes causes produisent les mêmes effets ; la cause précède ou accompagne son effet ; la disparition ou la cessation de la cause entraîne la disparition ou la cessation de son effet. Dans l'enchaînement causal, conçu comme série linéaire, la cause entraîne un effet qui ne peut être lui-même sa propre cause.
 
Certains, comme Claude Bernard, considèrent les conditions comme les causes du phénomène. Il évite l'écueil métaphysique d'avoir à régresser vers des causes premières, en précisant qu'il ne saurait s’agir que des causes « prochaines ». (Ibid., p. 60-61). La notion de causalité perd tout caractère obscur et en vient dès lors à désigner la série linéaire des faits empiriquement constatables qui se succèdent nécessairement. La recherche de causes précises sera un puissant moteur de l’évolution scientifique tout au long du XIXe siècle.
 
Certains, comme Claude Bernard, considèrent les conditions comme les causes du phénomène. Il évite l'écueil métaphysique d'avoir à régresser vers des causes premières, en précisant qu'il ne saurait s’agir que des causes « prochaines ». (Ibid., p. 60-61). La notion de causalité perd tout caractère obscur et en vient dès lors à désigner la série linéaire des faits empiriquement constatables qui se succèdent nécessairement. La recherche de causes précises sera un puissant moteur de l’évolution scientifique tout au long du XIXe siècle.
 
Pourtant, la causalité est suspecte, car elle rappelle certaines notions obscures de la philosophie. C’est pourquoi certains positivistes, dont Auguste Comte, préfèrent une conception légaliste dans laquelle la succession des phénomènes est régie par des relations exprimées par des lois qui permettent de les prévoir. Le mode de production des phénomènes reste inconnu.
 
Pourtant, la causalité est suspecte, car elle rappelle certaines notions obscures de la philosophie. C’est pourquoi certains positivistes, dont Auguste Comte, préfèrent une conception légaliste dans laquelle la succession des phénomènes est régie par des relations exprimées par des lois qui permettent de les prévoir. Le mode de production des phénomènes reste inconnu.
 
Pour Ernst Mach, l’idée de dépendance réciproque des phénomènes est appelée à remplacer celle de causalité. On doit établir des fonctions et des processus pour expliciter cette interdépendance constatée des faits.
 
Pour Ernst Mach, l’idée de dépendance réciproque des phénomènes est appelée à remplacer celle de causalité. On doit établir des fonctions et des processus pour expliciter cette interdépendance constatée des faits.
* La volonté de s'en tenir aux faits
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*** Les tenants de la science positive oscillent entre deux opinions sur l'être. Pour les uns, la nature des choses, le réel dernier, l’être en soi, resteront à jamais cachés et ne peuvent faire l'objet d'une étude scientifique. (C’est la position agnostique d’inspiration kantienne). Seuls les phénomènes et les rapports qu'ils entretiennent entre eux sont connaissables. La réalité scientifique est la réalité concrète, celle dans laquelle se produisent les faits observables. La position du positivisme est de ne s'intéresser qu'aux données d'expérience, aux faits et de délaisser volontairement l'arrière-plan ontologique.
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L’agnosticisme ontologique est prôné par des figures influentes tel Paul Du Bois-Reymond, devenu célèbre à la fin du siècle. Le discours qu'il prononça lors de sa nomination comme recteur de l'université de Berlin, intitulé Ignorabimus, portait sur la limite à la connaissance dans une perspective d’inspiration kantienne. Il soutenait la causalité, affirmant, entre autres choses, que s'il était possible de connaître la façon dont s'organisent les faits, on pourrait prédire le futur avec une précision mathématique. Ce n'est pas cette dernière opinion banalement mécaniste qui nous intéresse, mais son agnosticisme sur ce qui fonde les faits empiriques. Les limites de la connaissance sont constituées par la nature du réel qu'on ne peut connaître. La question des origines (origine du mouvement, origine de la vie) et du fondement ontologique (nature de la substance) restera, selon lui, également insoluble.
 
Une bonne part de la communauté scientifique professe un agnosticisme ontologique inspiré d’Emmanuel Kant. Derrière les faits, on peut supposer un être en soi qui échappe à l’expérience directe et donc à la connaissance scientifique. Cette manière de voir est une interprétation de la doctrine de Kant, un « néokantisme » assez répandu dans l’élite intellectuelle. La position positiviste considère que la mise en rapport des faits avec un réel indépendant et intrinsèque  "est une démarche qui ne s'inscrit pas dans le cadre strict de la science" dit avec précision Bernard d'Espagnat (À la recherche du réel, Paris, Bordas, 1981, p. 17).
 
Pierre Duhem, physicien, opposé à toute interprétation matérialiste et réaliste de la chimie et de la physique, proposa en 1906 une conception qu'on qualifie généralement "d'instrumentaliste". Selon lui, la science propose des théories concernant les phénomènes et c'est tout. C'est un positivisme qui accentue la doctrine déjà fortement centrée sur le factuel, en interdisant à la science tout accès à la constitution du monde, au réel lui-même, qui serait le domaine de la métaphysique. Il s'agit de rendre compte des faits par des théories qui ne sont rien d'autre qu'une représentation abstraite des régularités empiriques.
 
Leur positivisme poussa Ernst Mach, Pierre Duhem et Marcellin Berthelot a récuser la théorie atomique, car l'existence de l'atome constituait un a priori ontologique inacceptable. Ils insistaient pour que les lois de la chimie reposent exclusivement sur des faits d'observation à l'échelle macroscopique afin que la chimie reste une science expérimentale. On voit ainsi la limite de l'attitude positiviste excessivement empirique qui est efficace et protège des spéculations invérifiables, mais interdit de progresser vers l'abstraction si elle implique des suppositions sur le réel (l'existence des atomes).
 
 
* Les inflexions du positivisme
 
* Les inflexions du positivisme
 
*** Par ailleurs, il est à noter que le positivisme n'est pas fondamentalement réductionniste. Auguste Comte suppose que, pour passer d’un domaine empirique à un autre, il ne suffit pas d’agréger les entités entre elles, il faut ajouter une « nouvelle dimension ontologique ». Émile Durkheim, par exemple, parle de « synthèse ». Pour les auteurs positivistes non réductionnistes, chaque discipline fondamentale posséderait une identité propre correspondant à un domaine de la réalité.   
 
*** Par ailleurs, il est à noter que le positivisme n'est pas fondamentalement réductionniste. Auguste Comte suppose que, pour passer d’un domaine empirique à un autre, il ne suffit pas d’agréger les entités entre elles, il faut ajouter une « nouvelle dimension ontologique ». Émile Durkheim, par exemple, parle de « synthèse ». Pour les auteurs positivistes non réductionnistes, chaque discipline fondamentale posséderait une identité propre correspondant à un domaine de la réalité.   
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Ernst Mach est le dernier représentant de cette génération positiviste, et il va prendre certaines libertés avec la doctrine. Plus que par ses travaux proprement scientifiques, c'est par ses travaux épistémologiques qu'Ernst Mach influença ses contemporains (La connaissance et l'erreur, 1905). Il ajoute au courant positiviste de langue allemande des conceptions venues des travaux sur l’énergie que nous verrons après. Cette proposition se fait au détriment de la physique traditionnelle, centrée sur la mécanique. Sur le plan épistémologique, il considère que la connaissance débute par l'émergence de concepts de base simples qui doivent pouvoir être remis en question lorsque la recherche l'impose. Selon lui, il existe des régions scientifiques bien distinctes qui correspondent au type de phénomène étudié.
 
Ernst Mach est le dernier représentant de cette génération positiviste, et il va prendre certaines libertés avec la doctrine. Plus que par ses travaux proprement scientifiques, c'est par ses travaux épistémologiques qu'Ernst Mach influença ses contemporains (La connaissance et l'erreur, 1905). Il ajoute au courant positiviste de langue allemande des conceptions venues des travaux sur l’énergie que nous verrons après. Cette proposition se fait au détriment de la physique traditionnelle, centrée sur la mécanique. Sur le plan épistémologique, il considère que la connaissance débute par l'émergence de concepts de base simples qui doivent pouvoir être remis en question lorsque la recherche l'impose. Selon lui, il existe des régions scientifiques bien distinctes qui correspondent au type de phénomène étudié.
 
On voit que, dans l'ensemble, le courant positiviste n'est pas réductionniste. Il admet des domaines, ou régions scientifiques, distincts correspondant à des classes de phénomènes différents.
 
On voit que, dans l'ensemble, le courant positiviste n'est pas réductionniste. Il admet des domaines, ou régions scientifiques, distincts correspondant à des classes de phénomènes différents.
* Énergétisme et économisme
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*** La question de l'énergie va bousculer le principe positiviste de s'en tenir aux faits, car l'énergie n'est pas un fait. Elle se manifeste par des faits. L'équivalence entre le travail et la chaleur était depuis longtemps soupçonnée, mais l’idée était freinée par la notion du « calorique », considéré comme un fluide. Premier auteur à traiter de thermodynamique, Sadi Carnot avait, en 1824, avancé le deuxième principe de la thermodynamique dans son ouvrage sur la puissance motrice du feu. Il faut attendre le milieu du siècle pour que le concept d'énergie apparaisse et se répande sous l'influence de Robert Mayer et Hermann von Helmholtz.
 
Dès 1842-1843, les travaux de Robert Mayer et Ludwig Colding établissent l'équivalence entre travail et chaleur, ainsi que le principe de conservation de la force. La poursuite de ces recherches, associées à celles de James Prescott Joule sur l'équivalent mécanique de la chaleur, ainsi que la théorie d’Helmholtz sur l'énergie latente, permettent de formuler le premier principe de la thermodynamique : la conservation de l'énergie. En 1882, Helmholtz avance la distinction entre énergie libre et énergie liée : la première peut se convertir en travail, alors que la seconde ne le peut pas et donne de la chaleur. Il démontre que la somme de ces deux énergies est constante et forme l'énergie interne si le système est isolé.
 
Les travaux de thermochimie et thermodynamique amènent un nouvel objet d'étude dont la nature est inconnue : l’énergie. Différente de la matière, l’énergie est susceptible de transformation d'une forme dans une autre. On en quantifie les effets sans avoir accès au réel lui-même, ce qui interroge la conception du monde. Cette étude ouvre indéniablement un nouveau champ dans le domaine de la physique. Sur le plan métaphysique, deux thèses s'affrontent. Les uns font de l'énergie le second fondement de l'univers à côté de la matière. Dans cette optique, les principes de conservation (de la masse et de l'énergie) apparaissent complémentaires. Les autres veulent ramener l’univers à l'énergie, considérée comme fondement premier et unique. Tout cela engendre un problème par rapport au principe positiviste consistant à ne pas se prononcer sur le fondement des phénomènes.
 
Une extension du concept d’énergie se produit dans tous les domaines d'application possibles. Ainsi, Robert Mayer envisage des applications électriques, biologiques et même océanographiques. Il en tire également des principes métaphysiques sur la constitution de la nature, divisant le monde en deux substances, la matière et la force, causes de tous les phénomènes. Les conceptions énergétiques seront reprises et amplifiées par Wilhelm Ostwald à la fin du siècle qui prône un énergétisme intégral : tout est énergie. L'énergie apparaît comme réelle, mieux, comme le réel même ; elle est la cause de tous les phénomènes qui, d'une manière ou d'une autre, peuvent lui être ramenés. Globalement c’est une pensée qui privilégie le fluidique, le continu, par opposition au séquentiel, au discontinu, à l’élémentaire.
 
Le principe d'économie érige en une loi à prétention universelle l'idée selon laquelle toute chose irait vers le moindre coût énergétique, le niveau le plus bas de dépense énergétique. C’est le principe de Maupertuis, la "loi du moindre effort" extrapolée des travaux de Pierre Louis Moreau de Maupertuis sur l’optique. Des machines thermiques à la mécanique céleste en passant par la physiologie, la psychologie, l’épistémologie et la production des biens, tout doit fonctionner selon la dépense la plus faible, le coût le moins élevé.
 
* La dimension temporelle
 
*** Au XIXe siècle, le temps prend une importance qu’il n’avait pas jusqu’alors dans la pensée scientifique. Dans la plupart des sciences, on intègre la dimension temporelle comme facteur de transformation. L'idée d'une dynamique évolutive s’impose. On remarque des transformations sociales au cours des temps historiques, la transformation des espèces au cours des temps géologiques, les transformations astronomiques au cours des temps cosmiques. L’affrontement le plus fort a lieu entre Frédéric Cuvier, naturaliste catholique, qui défend un temps « immobile » où se reproduit indéfiniment la création et Jean-Baptiste de Lamarck pour qui le temps permet la transformation des espèces.
 
Avec Charles Darwin, le temps devient une donnée fondamentale de la biologie et de la zoologie, car c’est grâce à lui que la sélection peut s’effectuer. En géologie, la grande affaire du XIXe siècle est l'établissement d'une échelle stratigraphique exprimant la succession des événements géologiques. Elle est étroitement liée à l'adoption du transformisme, puisque l'établissement de cette échelle dépend des fossiles et de leur évolution. Elle fut finalement établie pendant la seconde moitié du siècle. En 1894, Émile Renevier peut présenter une chronologie géologique et l’américain H.S. William créa, en 1893, le terme de « géochronologie ». En physique, le temps est un continuum où les phénomènes sont réversibles, mais la « flèche du temps » (le caractère non réversible des déroulements temporels) a finalement été introduite par la thermodynamique.
 
Le temps est au centre de la réorganisation de nombreux savoirs. Dans de multiples domaines de la connaissance, il apparaît comme une figure d'ordonnancement essentielle, un lieu d'action des processus évolutifs et parfois comme un facteur de production des formes nouvelles. Le temps n'est plus cette étendue immobile dans laquelle se répètent les formes figées de la nature. Il devient théâtre d'événements, lieu de processus. Ce premier pas, déjà important et complexe, en appelle un second : celui de la compréhension des mécanismes par le jeu desquels se produisent les transformations. Pour le positivisme, le temps n'est pas une explication suffisante, il sert à concevoir l’origine des faits qui s'y égrènent. La notion d'espace-temps, amenée par Albert Einstein au XXe siècle, provoquera une remise en cause de la conception du monde positiviste.
 
* Le positivisme et sa mise en cause
 
*** La fin du XIXe siècle est un moment de prodigieux essor des connaissances au cours duquel découvertes fondamentales et mises au point techniques se succèdent. Ces réussites sont liées au positivisme scientifique qui est au cœur des recherches de la fin du XIXe au début du XXe siècle.
 
Cette doctrine donne la priorité des faits. L'expérience est au cœur du positivisme qui ne prône pas un mode déductif (théorie autonome validée ou réfutée par les faits), mais inductif (théorie édifiée à partir des observations). La bonne méthode consiste à théoriser des faits de la manière la plus stricte et la plus simple possible, en évitant toute dérive métaphysique. Le positivisme suggère que la méthode expérimentale est la seule valide et que, lorsqu'elle ne peut être appliquée, on sort du domaine scientifique. Le procédé d'avancée des recherches réputé le meilleur est un mouvement dans lequel l'induction est privilégiée. Le paradigme positiviste a été mis question sur plusieurs points au XXe siècle :
 
- On s'est aperçu qu'en réalité, les faits et la théorie interfèrent toujours à des degrés divers.
 
- Dans les sciences humaines et sociales, l'approche purement expérimentale ne convient pas.
 
- Les évolutions en physique (la thermodynamique, les théories atomiques) obligent à une ontologie minimale.
 
- Dans les grandes théories physiques (relativité, gravitation), l'aspect déductif domine.
 
Il est intéressant de noter que la remise en question s'est faite de l'intérieur : les avancées de la science positive ont montré que le paradigme positiviste était trop restrictif. Cependant, l'attitude rationnelle propre au positivisme garde partout sa validité et la confrontation à la réalité par l'expérience reste de mise dans toutes les sciences empiriques.
 
Expliquer la réalité des faits et remplacer les croyances théologiques ou les explications métaphysiques par formulation des lois de la nature, utilisation du langage mathématique, utilisation de l'observations et d'expériences.
 
  
 
{{@}} Positivisme scientifique d'Auguste Comte
 
{{@}} Positivisme scientifique d'Auguste Comte

Version du 29 avril 2020 à 12:33


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