Mécanisme - Atomisme
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Conception : Clarification - Explicitation
Mécanisme Atomisme
L'atomisme est une théorie philosophique proposant une conception d'un univers composé de matière et de vide. Selon les atomistes, les atomes composant l'univers sont tous de même substance.Ils sont insécables et ne changent les uns des autres que par leurs formes et leurs positions.
Avec l'émergence du mécanisme dans le premier tiers du XVIIe siècle, la conception corpusculaire de la réalité, héritée de l'atomisme antique, va trouver une nouvelle actualité scientifique. Sous-jacente aux apparences sensibles, la réalité physique se présente comme une série variable de combinaisons entre des éléments matériels. Le scientifique qui maîtrise les lois qui régissent cette combinatoire n'aura aucun mal à passer du simple au complexe, et réciproquement.
Le mécanisme paraît au contraire introduire dans l'histoire de l'idée de nature une discontinuité. Il n'a pas eu de précurseurs immédiats. Plusieurs mécanistes toutefois se cherchèrent des antécédents et se réclamèrent des philosophes atomistes, mais Démocrite, Épicure ou Lucrèce leur ont apporté un modèle plus qu'une source de doctrine. Et, de toute façon, le mécanisme n'est pas lié nécessairement à l'atomisme ; ainsi celui de Descartes, le plus célèbre.
- Les conceptions des Anciens : Démocrite, Epicure et Lucrèce, oubliés pendant toute l’antiquité furent à nouveau redécouvertes au début du 17ème siècle.
Dans l’antiquité et au Moyen-Âge, on comprend qu’elles aient été délaissées car l’homme avait l’esprit occupé par le salut, la divinité et dieu. La théorie des éléments qui conservait l’idée d’un dieu organisant les éléments, et de divinités telles que l’eau, le feu, l’air et la terre dont la mythologie raconte le rôle, correspondait mieux à la mentalité des individus. Mais au début du 17ème, après la Renaissance et le courant humaniste, le matérialisme des doctrines atomistes, moins élaboré que les transmutations d’Aristote est mieux compris. Après de nombreuses tentatives infructueuses, les efforts des atomistes s’allièrent avec la méthode mécaniste de Descartes. Les différentes doctrines corpusculaires conquirent d’abord la philosophie, la médecine puis la chimie elle-même. La théorie aristotélicienne et le courant alchimique furent en partie délaissés par les savants et les chimistes. Les connaissances chimiques se séparèrent en deux courants dont un seul, reprenant les idées des Anciens et soutenu par la philosophie de Descartes, s’inscrit dans le cadre du renouveau intellectuel de la chimie. L'autre courant, l'alchimie, persistera encore plusieurs siècles mais ne sera plus le courant dominant.
- LE RENOUVEAU DE LA DOCTRINE ATOMIQUE : LA PHILOSOPHIE CORPUSCULAIRE ET LA THEORIE MECANISTE DE DESCARTES
La philosophie corpusculaire constitue une nouvelle tentative d’explications des phénomènes chimiques. Ses fondateurs grecs : Leucippe, Démocrite, Lucrèce et Epicure définissent la matière mais également le vide. La matière est constituée de parties pleines et de parties vides, elle n’est donc ni homogène ni continue. Les parties pleines sont appelées les atomes, ce que l’on ne peut pas couper. Chacun de ces atomes a une forme déterminée ; l’immense diversité géométrique et les multiples façons dont les atomes peuvent s’assembler permet d’expliquer la formation de tout ce qui existe. Par exemple les corps les plus durs doivent leurs cohésion à des atomes très crochus et très entrelacés ; au contraire les liquides sont formés d’atomes lisses et ronds qui roulent aisément. Cette théorie est donc entièrement reprise par les atomistes du début du 17ème siècle. Pierre Gassendi (1592-1655) fut le premier savant qui tenta de la réhabiliter en l’enseignant et en l’appliquant . "La matière discontinue est formée d’atomes indivisibles, indéformables, inaltérables, parfaitement durs et différents." C'est Descartes qui réussit à la réintroduire entièrement et à lui donner une place prépondérante. René Descartes s’est peu occupé de la chimie mais sa philosophie de la matière a pourtant profondément influencé cette science. Son influence ne s’est donc manifestée qu’indirectement. Il a donné aux médecins, aux chimistes l’habitude de penser autrement. Ils les a entraînés peu à peu à construire leur science sur de nouvelles bases et par suite à la modifier considérablement. Descartes apporte deux nouveaux aspects aux doctrines atomiques qui vont d’une part donner à la chimie corpusculaire, le point de départ stable d’une chimie plus moderne et d’autre part permettre aux savants de faire correspondre une image sensible aux concepts abstraits de la chimie : la forme et le mouvement Il s’entend sur quelques points fondamentaux avec les atomistes mais enrichit leur théorie par celle du mouvement mais sa conception de la matière est différente car il nie l’existence du vide. Sa théorie est donc corpusculaire mais ne s’intègre pas dans une vision atomique de la matière. Son plus grand apport à la chimie est lié à son soutien et à son perfectionnement de la théorie des Anciens telle que la diffusait Gassendi au début du 17ème siècle. Descartes admet que la matière est confondue avec l’espace et que les différences observées macroscopiquement se réduisent en fait à la différence de figuration présentée par les molécules qui les composent. Il garde l’idée que les atomes ont des formes particulières mais l’idée un peu simpliste des atomes crochus de Lucrèce est remplacée et perfectionnée par l’attribution de formes géométriques définies et mathématiques aux atomes. Les atomes ne s’emmêlent plus mais s’empilent, se juxtaposent… A l’opposé des atomistes, Descartes refuse l’existence du vide. Les atomes ne sont pas séparés par des espaces vides. Autour d’eux se meuvent des particules encore beaucoup plus petites. Tout baigne dans une sorte de fluide subtil qui emplit les interstices entre les corpuscules et les entoure. Enfin un postulat fondamental est que la description des corps naturels n’est pas séparable de l’histoire de leur formation. C’est dans les "Principes" que Descartes présente une fiction racontant l’histoire de la création. A l’origine la matière était constituée de minuscules cubes empilés de façon parfaitement jointive, sans aucun espace entre leurs faces. Bientôt le mouvement agit sur ces cubes, les fait tourner en raison de ²tourbillons². Alors, leurs arêtes se brisent, générant soit une fine poussière (la matière subtile), soit des morceaux de formes aléatoires (la matière irrégulière). Ce qui reste des cubes après disparition des arêtes forme la matière globuleuse. C’est l’aspect mécaniste de la théorie de Descartes qui va être la plus convaincante pour les chimistes
- La théorie mécaniste
Descartes dote les atomes d’un mouvement perpétuel qui leur a été communiqué lors de leur création. Il laisse entendre que, grâce à sa théorie, une interprétation mécanique de la chimie devient possible. La nouvelle vision de l’univers formé d’atomes en mouvement lui permettra d’expliquer leur combinaison mécanique lors des réactions chimiques. Le calcul du mouvement des atomes pourrait permettre d’établir le mécanisme et la prévision des réactions en fonction des corps utilisés. Les réactions chimiques ne sont que la traduction sensible des phénomènes mécaniques, suite au mouvement imprimé à la matière lors de sa création. Les corps mus et figurés de Descartes exercent dans la première moitié du 18ème siècle une séduction irrésistible sur un très grand nombre d’esprits. Sa philosophie mécanique ramenait à l’unité la complexité des phénomènes matériels. Nicolas Lémery(1645-1715), médecin de formation, ouvre un cours de chimie à Paris. Son succès est immense car il se réfère à des expériences concrètes. Nicolas Lémery n’est pas seulement un expérimentateur c’est aussi un théoricien. Il publie en 1675 son fameux ²Cours de chimie² dans lequel il énonce : L’alchimie est la chimie qui enseigne la transmutation des métaux. La chimie est un art qui enseigne à séparer les différentes substances qui se rencontrent dans un mixte.² (cf. annexe). En effet, il ne veut rien devoir à l’alchimie qu’il distingue d’emblée de la chimie. Afin de construire sur le socle solide de Descartes, il considère que les phénomènes observés en chimie ont leur origine dans les formes des particules décrites par le philosophe. Il construit un roman cartésien où les seuls acteurs sont figure et mouvement : -Une liqueur est acide car elle contient des particules pointues qui piquent la langue. -La force d’un acide dépend de la finesse des pointes de ses particules. -Le calcaire rentre en effervescence en contact avec un acide car il est constitué de particules raides et cassantes qui sont brisées par le mouvement des pointes de l’acide -Les sels neutres peuvent se décomposer et se reconstituer en acide : les pointes de l’acide entrent dans les pores du sel comme une épée dans un fourreau, l’acidité est juste masquée et non détruite… Selon les rapports géométriques pointe acide / pore alcali, les particules d’alcali peuvent se briser au cours de la réaction expliquant du même coup le phénomène d’effervescence. Les explications de Lémery sont simplistes. C’est là précisément son mérite. C’est la clarté de l’expression, la volonté de rompre avec le mystère qui caractérisent son enseignement. Fontenelle (1657-1757) put dire à propos de Lémery La chimie avait été jusque-là une science, où, pour emprunter ses propres termes (ceux de Lémery), un peu de vrai était tellement dissous dans une grande quantité de faux, qu’il était devenu invisible, et tous deux presque inséparables. Pendant une très courte période, la chimie fut enfin érigée en science populaire accessible et intelligible par tous.
- Robert Boyle (1627-1691) pense que la seule théorie possible est mécaniste. Il considère que la conséquence en est que tous les corps sont produits par des textures différentes² d’une²matière catholique ou universelle.² En ce qui concerne la pratique, le chimiste doit se conformer à ²l’analyse chimique en travaillant à l’accumulation d’un savoir pratique toujours plus précis.
De ce fait, Boyle engage définitivement la chimie sur le chemin de l’expérience. En 1661, dans ²The Sceptical Chymist², il plaide pour une confrontation systématique des théories à l’expérience. C’est la première fois qu’est opposé à l’autorité de l’auteur ce que Boyle appelle ²the matter of fact² qui seul permet de certifier la théorie. Boyle sut dépasser le simple niveau de l’expérimentation par l’impulsion qu’il donna à une réflexion rationnelle dans l’interprétation des phénomènes chimiques. Ses travaux expérimentaux le conduisent à employer un certain nombre de réactifs, à utiliser aussi le test de la flamme permettant de reconnaître une substance selon la coloration obtenue. Physicien, il introduit dans la pratique de la chimie l’emploi de machines et d’instruments de précision dans les recherches. La polémique lancée par DESCARTES sur l’existence du vide conduit Boyle à démontrer la possibilité de faire diminuer la pression de l’air avec une pompe à air. Le laboratoire est le lieu de démonstration d’une vérité qui, grâce aux témoins présents, se propagera dans toute l’Europe. Ce physicien a aussi le principal mérite d’avoir distingué le simple mélange d’avec le composé chimique en montrant que celui-ci avait des propriétés plus ou moins différentes que celles des corps qui le constituaient tandis que les corps d’un mélange conservaient toutes leurs propriétés spécifiques. Mais Boyle, dans la lignée de Descartes, imagine des hypothèses pour expliquer des cas d’actions moléculaires où il y a combinaison par des causes mécaniques ou même physiques. C’est la raison pour laquelle Boyle n’a pu approfondir les conséquences de la distinction qu’il avait établie.
La critique des entités scolastiques et chimiques
-Atomistes et cartésiens s’accordent selon Boyle sur un point fondamental : « non seulement ils se soucient d’expliquer les choses intelligiblement, mais alors que les autres philosophes rendent compte des phénomènes naturels seulement en général et superficiellement, […] ils expliquent ces mêmes phénomènes par de petits corps diversement figurés et diversement mus ». Une personne de tempérament conciliant devrait donc les réunir sous la bannière d’une seule et même philosophie qu’il s’agit de nommer. « Parce qu’elle explique les choses par des corpuscules, c’est-à-dire par des corps minuscules, elle peut être appelée corpusculaire, quoique je la dénomme parfois philosophie phénicienne parce que certains écrivains de l’Antiquité nous apprennent que non seulement avant qu’Épicure et Démocrite, mais même avant que Leucippe n’enseignent en Grèce, un naturaliste phénicien avait entrepris de rendre raison des phénomènes naturels par le mouvement et les autres affections de minuscules particules matérielles. Et parce qu’elle est évidente et efficace dans le domaine des engins mécaniques, parfois appelée aussi hypothèse ou philosophie mécanique » -Boyle ne thématise pas ce qui fait le caractère intelligible d’une explication ; en fait, une explication intelligible, c’est simplement pour lui une explication plus intelligible qu’une autre explication moins intelligible. Montrer le bien-fondé d’une explication ne consiste ni à établir sa conformité à une norme a priori de l’intelligibilité, ni même exhiber son intelligibilité factuelle, mais à montrer qu’elle vaut mieux que d’autres explications possibles. Ainsi la défense de la philosophie mécanique qu’il propose consiste-t-elle principalement à mettre en lumière les déficiences des explications non-mécaniques, particulièrement celles des chimistes et des scolastiques. Les chimistes ont selon Boyle un mérite par rapport aux scolastiques : ils font des expériences. Mais d’un point de vue théorique, ils ne valent pas mieux ; se tourner vers les chimistes par dégoût des scolastiques c’est se précipiter de Charybde en Sylla, ou plus exactement de Charybde en Charybde. -Les défauts que Boyle relève chez les uns et les autres sont innombrables : les chimistes emploient un langage équivoque et inconstant ; les scolastiques confondent propriétés du corps et passions de l’âme et forgent des êtres chimériques qui sont à la fois substances et accidents. La théorie chimique du mercure, du soufre et du sel, repose sur le présupposé que l’analyse des corps par le feu révèle leurs principes constituants, mais de nombreuses expériences indiquent que le feu n’est pas seulement un instrument de décomposition, mais un créateur d’artefacts. Fondamentalement cependant, les explications des chimistes et des scolastiques souffrent de deux défauts structurels, qui résultent de leur incapacité à comprendre la nature même d’une explication physique. -prendre pour principes d’explication des substances concrètes comme les trois principes chimiques et les quatre éléments aristotéliciens conduit inévitablement à des contradictions. Etant donné la multiplicité des qualités phénoménales à expliquer, une même substance est chargée d’expliquer plusieurs qualités.
Exemple: Le sel est pour les chimistes cause de salinité mais aussi de dureté, la terre est pour les aristotéliciens cause de lourdeur mais aussi d’opacité. Il est dès lors impossible d’expliquer que certains corps manifestent une seule des qualités associées à un principe, par exemple qu’il existe des corps très salés et pas du tout durs, ou des corps très lourds et pas du tout transparents
Définition | Exemple | |
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Selon Boyle |
Expliquer un phénomène, c’est identifier, plutôt qu’une substance, le mécanisme d’une production. |
« Les différentes opérations [d’une horloge] ne s’accomplissent ni parce que ses roues sont de cuivre, de fer, ou d’un alliage de ces métaux, ni parce que ses poids sont de plomb, mais en vertu de la taille, de la figure, de la grosseur et de l’engrenage de ses différentes parties ; et elle accomplirait des opérations identiques, même si ses roues étaient d’argent, de plomb ou de bois, et ses poids de pierre ou d’argile, pourvu que l’assemblage et la disposition des parties demeurent identiques »
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Explications |
la matière n’a pas une fonction explicative, mais une fonction ontologique : c’est le substrat universel commun à tous les corps16. Ce qui a une fonction explicative, ce sont les affections mécaniques de la matière, à savoir la taille, la grandeur et le mouvement des particules. Le mouvement est le plus important de ces trois termes. |
« Parce que la matière est une dans sa propre nature, la diversité qu’on voit dans les corps doit nécessairement provenir de quelque chose d’autre que de la matière dont ils sont constitués. Et comme on ne voit pas comment il pourrait y avoir un changement dans la matière si toutes ses parties […] étaient perpétuellement en repos les unes par rapport aux autres, il s’ensuit qu’[…] il doit y avoir du mouvement dans certaines de ses parties, […] et que ces mouvements doivent avoir diverses directions »
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- Tableau:Les entités vues par Boyle
Cartésiens et atomistes
Il est difficile de cerner la position de Boyle sur la question des atomes. Il existe des textes où il semble prendre le parti des cartésiens, soit qu’il assimile la divisibilité à l’infini de la matière et celle de l’étendue géométrique, soit qu’il souligne la légèreté avec laquelle les atomistes posent des corps indivisibles sans chercher à rendre raison de leur indivisibilité. Il existe d’autres textes où il affirme l’existence de particules qu’aucun pouvoir naturel ne peut réellement diviser, même si elles sont divisibles en pensée ou par Dieu. Son attitude la plus courante consiste à ne se commettre pour aucun parti et à employer indifféremment des termes issus de traditions opposées : quand par exemple il parle des particules, des corpuscules, des minima naturalia ou des prima naturalia qui constituent l’or, il peut se référer soit aux atomes indivisibles qui constituent l’or, soit aux plus petites particules telles que, si on les divisait, on n’aurait plus affaire à de l’or, soit à des agrégats de particules entre lesquels les réactions chimiques auraient lieu. Quoique, à ma connaissance, il n’existe pas de texte où Boyle déclare explicitement que la question des atomes est une question métaphysique, il me semble qu’on peut interpréter de la sorte la neutralité ou l'ambiguïté de son vocabulaire et de ses conceptions. -ce n’est pas pour avoir élaboré une théorie de la matière qui transcenderait l’opposition entre gassendistes et cartésiens que Boyle néglige leur différence, mais tout simplement parce qu’il juge que cette différence n’a pas de sens pour un philosophe naturel. Celui-ci devrait se contenter d’expliquer des faits expérimentaux sans se préoccuper des controverses qu’ils ne permettent pas de trancher. Si cependant la possibilité d’expériences constitue le critère permettant d’éliminer de la philosophie naturelle la question de la nature de la matière, la plus grande intelligibilité d’un ensemble de principes n’en constitue pas une défense suffisante. De fait, Boyle reproche aux atomistes antiques d’avoir confondu ce que nous pouvons comprendre et ce que sont réellement les choses : « L[eur] argument fondamental […] est que ou bien le phénomène doit être expliqué de la manière qu’ils indiquent, ou bien il ne peut pas du tout recevoir d’explication intelligible. [Mais…] ce à quoi ils voudraient acculer leurs adversaires comme à une absurdité, semble ne pas mériter ce nom. Car […] qui nous a démontré que l’homme peut expliquer tous les phénomènes de la nature ? […] Comment prouver que Dieu […] ne peut pas produire de phénomènes qui ne sont pas conformes aux procédés que la faible raison de l’homme peut expliquer ? […] Certains Épicuriens déclarent que la nature produit les choses de la manière qui est la plus facile à comprendre pour notre raison et la plus conforme à elle ; mais on peut répliquer que ce que nous cherchons, c’est la manière dont les choses ont été ou sont réellement produites, non si elles ont été produites de la manière qui est la plus aisée à comprendre pour nous »24. Cette critique vaut tout aussi bien à propos des principes mécaniques de Boyle lui-même : il ne pouvait se contenter de dire qu’ils étaient intelligibles, il se devait de les fonder expérimentalement. -C’est ce qu’il voulut faire en conciliant les philosophes mécaniques et les chimistes. A l’en croire, le désaccord entre les uns et les autres était extrême : les philosophes mécaniques regardaient les chimistes comme de « simples manipulateurs irrationnels dont les expériences ne servent qu’aux apothicaires et aux médecins », les chimistes considéraient les philosophes mécaniques comme de « vains spéculateurs extravagants qui prétendent expliquer le grand livre de la nature sans avoir seulement regardé […] les phénomènes ». Les uns et les autres auraient cependant tout à gagner d’une fréquentation mutuelle : les expériences des chimistes seraient fructueuses pour la philosophie naturelle ; les chimistes auraient à prendre une leçon d’intelligibilité auprès des philosophes mécaniques26. Aussi Boyle se proposait-il de réconcilier les deux camps en montrant que « quantité d’expériences chimiques peuvent être heureusement expliquées par des notions corpusculaires et que quantité de notions corpusculaires peuvent être commodément, soit illustrées, soit confirmées par des expériences chimiques ».
Philosophes mécaniques et expérimentateur
L’illustration ou la confirmation de la philosophie mécanique par des expériences chimiques ne va pas de soi : les réactions chimiques ont lieu entre des corps concrets doués de qualités sensibles qui n’ont au premier abord rien à voir avec des mouvements de particules microscopiques. Ainsi, lorsque Boyle réalisa la décomposition du salpêtre en un acide et un alcali, Spinoza lui reprocha de décrire ces composants en termes chimiques sans chercher à en rendre compte mécaniquement. Le problème n’est d’ailleurs pas seulement celui de l’accord entre la philosophie mécanique et la pratique chimique, mais plus généralement celui de l’accord entre la philosophie mécanique et toute pratique expérimentale dont la description implique des termes non-mécaniques. Lorsque Boyle montra que l’air a un certain « ressort », c’est-à-dire qu’il est capable de revenir dans son état naturel après avoir été comprimé, Hobbes souligna l’obscurité d’une telle capacité : il n’existe en bonne philosophie mécanique ni mouvement spontané ni état naturel des corps. Sans cesse confronté à ce problème général, Boyle choisit d’autoriser l’utilisation provisoire de causes non-mécaniques qu’il appelle des « qualités ou des états corporels plus évidents et familiers », des « théories, notions et règles intermédiaires», des « principes subordonnés », des « causes subordonnées », des « qualités plus générales et familières » ou des « causes intermédiaires » Dans Some Considerations touching Experimental Essays in General, il défend le recours provisoire à des causes non-mécaniques de la manière suivante. Il commence par définir l’explication scientifique : « rendre raison d’un effet ou d’un phénomène, c’est en général le déduire de quelque chose d’autre dans la nature, plus connu que lui » et remarque conséquemment qu’il y a divers degrés dans l’explication d’un même phénomène. Or, « quoique les explications les plus satisfaisantes pour l’entendement soient celles où l’on montre comment l’effet est produit par les affections de la matière les plus primitives et les plus universelles, à savoir la masse, la forme et le mouvement, il ne faut pas mépriser les explications où les effets particuliers sont déduits de qualités ou d’états corporels plus évidents et familiers comme le chaud, le froid, le poids, la fluidité, la dureté, la fermentation, etc., même s’ils dépendent probablement à leur tour des trois principes universels nommés à l’instant. […] Si nous connaissons les qualités de tel ou tel corps et comment il est propre à agir sur d’autres corps, […] nous pouvons réussir des choses de grande importance sans avoir à remonter jusqu’en haut la série des causes »
Exemple:Savoir que l’or est le seul corps à avoir une plus grande densité que le mercure permet d’expliquer que tous les corps flottent dans le mercure à l’exception de l’or, quand bien même on ne sait pas expliquer mécaniquement la gravité ; de même, savoir que l’air a un ressort permet d’expliquer qu’une vessie gonflée d’air revienne à sa forme première après avoir été comprimée quand bien même on ne sait pas ce qu’est ce ressort.
==> Boyle suggère dès lors de répartir le travail
les esprits spéculatifs déduiront des « qualités premières universelles » (c’est-à-dire grandeur, figure et mouvement) les « qualités principales de la matière » (par exemple la fluidité, la dureté, etc.) ; les expérimentateurs chercheront les causes immédiates de phénomènes.
C’était précisément à propos de ces causes intermédiaires que Boyle dénonçait la manière dont scolastiques et chimistes tentaient de dissimuler leur ignorance par des noms. Prendre pour causes de tels principes, c’est revenir à un aristotélisme qui préfère l’évidence sensible du quotidien aux clartés parcimonieuses de l’entendement. Bien sûr, il soutient que ces causes sont subordonnées aux principes mécaniques ; mais il y a là seulement un postulat : tant qu’on ne connaîtra pas la chaîne des causes tout entière, on ne saura pas comment les causes intermédiaires se subordonnent aux premiers principes. La complémentarité des tâches des esprits spéculatifs et des expérimentateurs est elle aussi un postulat : une fois que les esprits spéculatifs ont déclaré que les causes premières étaient la matière et le mouvement, ils n’ont plus rien à faire que de laisser le champ libre aux expérimentateurs ; et les seconds peuvent toujours remettre à plus tard leur accord avec les premiers : « Nous devons tendre vers un savoir des choses qui soit immédiatement dérivé des premiers principes, mais non pas toujours l’exiger ou l’attendre ». Cette dualité des principes est pour le moins insatisfaisante : d’un côté il y a une physique des anges, la théorie absolument vraie et légitime qui montrerait comment tous les phénomènes procèdent effectivement de la matière et du mouvement ; d’un autre côté, il y a la physique des hommes, un foisonnement d’expériences qui leur permet de déchiffrer tant bien que mal quelques syllabes du monde, et peut-être de vivre un peu plus confortablement. La certitude de Boyle, dirait Hegel, c’est la conciliation de la philosophie mécanique et de la philosophie expérimentale, mais sa vérité, c’est le triomphe de la seconde sur la première.
Philosophes naturels et chrétiens
En associant atomistes et cartésiens, Boyle ne construit pas seulement un front commun contre les mauvais philosophes naturels que seraient les chimistes et les scolastiques. Il procède également à l’exclusion silencieuse du mécanisme matérialiste de Hobbes et assigne à la philosophie mécanique la tâche de défendre la religion chrétienne. De fait, tout un pan de son oeuvre est destiné à montrer les limites des explications mécaniques. La façon dont Descartes explique la formation d’un monde par l’instauration de quelques lois de la nature lui paraît par exemple aussi impie que l’idée épicurienne selon laquelle le monde s’engendre tout seul et par hasard ; dans les deux cas, on suppose une trop grande autonomie du monde par rapport à son créateur. « Lorsque je parle de la philosophie corpusculaire ou mécanique, je suis loin de penser à la manière des épicuriens que les atomes, se rencontrant par chance dans un vide infini, sont capables de produire le monde et tous ses phénomènes, ou à la manière de certains philosophes modernes que Dieu n’a qu’à mettre une certaine quantité invariable de mouvement dans toute la masse de la matière pour fabriquer le monde, les parties matérielles étant capables de s’assembler dans un tel système par leurs propres mouvements sans qu’ils soient guidés. […] Je plaide seulement pour une philosophie qui ne concerne que les choses purement corporelles, et qui, distinguant entre la première origine des choses et le cours subséquent de la nature, enseigne à propos de la première, non seulement que Dieu a donné du mouvement à la matière, mais que, au commencement, il a guidé les différents mouvements de ses parties pour former le monde qu’il avait prévu qu’elles composent (monde doué de structures et de principes séminaux, c’est-à-dire de modèles des créatures vivantes) et qu’il a établi les règles du mouvement et l’ordre parmi les choses corporelles, que nous avons l’habitude d’appeler lois de la nature. Et après avoir dit cela à propos de l’origine première de la nature, on peut se permettre d’enseigner à propos du cours subséquent de la nature que, une fois l’univers formé et les lois du mouvement établies par Dieu, toutes choses étant soutenues par son concours incessant et sa providence générale, les phénomènes du monde ainsi constitué sont physiquement produits par les affections mécaniques des parties de la matière et qu’ils opèrent les uns sur les autres conformément aux lois mécaniques » un mécanicien donne une meilleure peuve de son habileté s’il fabrique une machine élaborée qui, pour atteindre ses fins, a seulement besoin d’une certaine disposition de ses parties dépourvues de raison, que s’il lui fallait de temps à autre recourir à un serviteur discret pour prendre part à l’opération particulière de cette partie-ci ou de celle-là, ou pour empêcher l’engin de tomber en panne. […] Ils [dans ce texte, les aristotéliciens, mais cela vaut aussi pour les néo-platoniciens et leurs forces plastiques] semblent imaginer le monde à la façon d’une marionnette, dont la disposition est bien le produit de l’art, mais qui est cependant telle que, pour chaque mouvement particulier, l’artisan doit, en tirant tantôt un fil de fer ou une corde, tantôt un autre, guider les actions de l’engin et souvent les contôler ; mais il est selon nous comparable à une horloge perfectionnée, comme peut l’être celle qu’il y a à Strasbourg, où les choses sont si habilement disposées qu’une fois que l’engin est mis en mouvement, toutes choses se réalisent selon le premier dessein de l’artisan ; ainsi, les petites figures qui, à telle ou telle heure, accomplissent tel ou tel mouvement, n’ont pas besoin comme les marionnettes de l’intervention particulière de l’artisan ou d’un agent intelligent qu’il emploierait, mais elles remplissent leurs fonctions dans ces occasions particulières en vertu de la disposition générale et primitive de l’engin.
- Trois commentaires à présenter
*Non seulement les âmes humaines sont indescriptibles en termes mécaniques, mais elles sont d’une certaine manière capables de modifier les lois générales du mouvement.
*En deuxième lieu, la référence machinique est loin d’exclure les causes finales ; un tortueux essai défend, contre les cartésiens, leur usage en philosophie naturelle. Les corps dont on peut rendre compte mécaniquement sont finalement assez peu nombreux.
*Boyle fait partie des auteurs qui réduisent la portée du mécanisme pour laisser place à l’empire des âmes.
Conceptions erronées et origines possibles
- Se soucier d’expliquer les choses intelligiblement, mais alors que les autres philosophes rendent compte des phénomènes naturels seulement en général et superficiellement, ils expliquent ces mêmes phénomènes par de petits corps diversement figurés et diversement mus.
==> Une personne de tempérament conciliant devrait donc les réunir sous la bannière d’une seule et même philosophie qu’il s’agit de nommer. « Parce qu’elle explique les choses par des corpuscules, c’est-à-dire par des corps minuscules, elle peut être appelée corpusculaire, quoique je la dénomme parfois philosophie phénicienne parce que certains écrivains de l’Antiquité nous apprennent que non seulement avant qu’Épicure et Démocrite, mais même avant que Leucippe n’enseignent en Grèce, un naturaliste phénicien avait entrepris de rendre raison des phénomènes naturels par le mouvement et les autres affections de minuscules particules matérielles.
- Idéaliser les explications des chimistes et des scolastiques.
==> Fondamentalement cependant, les explications des chimistes et des scolastiques souffrent de deux défauts structurels, qui résultent de leur incapacité à comprendre la nature même d’une explication physique; les chimistes emploient un langage équivoque et inconstant ; les scolastiques confondent propriétés du corps et passions de l’âme et forgent des êtres chimériques qui sont à la fois substances et accidents
Conceptions: Origines possibles
- Boyle a longtemps fait figure de héros pour avoir réuni deux choses jusqu’alors séparées : la chimie et la théorie corpusculaire de la matière. Cette union aurait été fructueuse aussi bien pour la chimie, qui se serait enfin dégagée de sa gangue pré-scientifique, que pour la théorie corpusculaire, qui aurait enfin reçu un fondement expérimental. Ainsi Marie Boas-Hall pouvait-elle écrire que la philosophie mécanique de Boyle était a complete and well-developed theory, founded upon experiments, adequate to explain all the properties of matter, and both rational and empirical1. Plusieurs historiens des sciences se sont attachés ces dernières années à déconstruire cette image trop parfaite, et l’on tient maintenant pour acquis d’une part que Boyle devait plus aux théories alchimiques qu’il voulait bien le reconnaître et d’autre part que certains chimistes avaient avant lui conjoint pratique chimique et théorie corpusculaire de la matière.
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Concepts ou notions associés
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Stratégie de changement conceptuel
- En histoire des sciences
- La délimitation historique de la catégorie de philosophie mécanique est exactement aussi problématique que sa définition conceptuelle ; il est difficile de déterminer raisonnablement quand commence la philosophie mécanique et quand elle finit.Prenons par exemple l’idée que tout doit pouvoir être réduit à des mouvements de la matière : cette exigence est constitutive de l’atomisme antique, et par conséquent de sa résurrection dès le XVIe siècle. Pourquoi ne pas inclure en ce cas parmi les philosophes mécaniques ceux qui les premiers ont redécouvert l’atomisme antique, des auteurs encore mal connus comme Sennert, Basson, Bérigard, Gorlée, Jungius, Beeckman ? Et, si l’on considère non plus le terminus a quo mais le terminus ad quem, peut-on ranger sous la même catégorie la philosophie mécanique du XVIIe siècle, qui stigmatise la force comme une notion occulte, et les mécanismes des XVIIIe et XIXe siècles,qui
recourent sans cesse à des attractions non seulement mécaniques, mais électromagnétiques ? C’est eu égard à ces questions qu'on préfère parler de “philosophie mécanique” plutôt que de “mécanisme” : la catégorie de mécanisme n’étant nullement située dans le temps, son emploi présuppose que le mécanisme demeure fondamentalement identique depuis l’atomisme antique jusqu’à la fin du XIXe siècle ; or cette identité n’a rien d’évident.
Le principal théoricien de l'atomisme au XVIIe siècle est Pierre Gassendi (1592-1655). Épicure, qu'il a longuement étudié, lui fournit un modèle épistémologique, qui lui évite également de tomber dans les pièges d'un rationalisme dogmatique et d'un scepticisme ravageur. En tant qu'hypothèse explicative, compatible avec la conception chrétienne d'un Dieu créateur, l'atomisme rend parfaitement compte des qualités sensibles dont nous avons l'expérience, tout en fournissant un modèle satisfaisant pour l'organisation des données du monde observable.
À la même époque, l'invention du microscope permet de vérifier expérimentalement l'existence d'« atomes » qui jusque-là, restaient des entités purement théoriques. Le débat se déplace alors sur un autre terrain : celui de la nature et de l'identification des particules élémentaires dont le conglomérat façonne la réalité empirique.
À partir du XIXe siècle, la théorie atomique devient la chasse gardée des « sciences dures ». Dans le champ philosophique, l'atomisme va connaître un nouveau printemps grâce à certains représentants de la philosophie analytique. C'est le courant de l'atomisme logique, illustré par Bertrand Russell (1872-1970) et le « premier » Wittgenstein (1889-1951).
- Dans l'Antiquité, les atomistes restèrent des isolés qui n'eurent guère de disciples et le Moyen Âge les ignora ou ne voulut pas les connaître parce qu'ils faisaient figure d'impies. Mais, au XVIIe siècle, la doctrine retrouva un regain de faveur grâce à plusieurs des philosophes mécanistes, tels Galilée, qui se référa à Démocrite, et Gassendi, qui écrivit une vie d'Épicure et se déclara épicurien. Ils reprirent à leur compte l'idée d'une composition atomique de la matière ; elle leur permettait de se débarrasser de la physique aristotélicienne et des philosophies naturelles de la Renaissance. En faisant des corps des conglomérats d'atomes unis par hasard, en expliquant les qualités sensibles comme produites par ces corpuscules qui sont en eux-mêmes sans qualités, en relativisant l'espace, c'est-à-dire en rejetant l'idée d'un haut et d'un bas absolus, les atomistes repoussaient toute physique qualitative et toute idée finaliste ou panpsychique de la nature. Le monde, et le monde tout entier – car il n'y avait pas pour eux de distinction à faire entre le monde sublunaire et le monde astral –, était fait d'une matière inerte. On conçoit donc que les mécanistes aient été séduits par cet atomisme antique qui leur apportait une cosmologie et une physique beaucoup plus en accord avec leurs propres perspectives que la philosophie d'Aristote.
- Très tôt dans l'histoire de la pensée grecque, on voit se constituer une école de philosophes atomistes, l'école d'Abdère. On ignore tout du fondateur de cette école, Leucippe, mais on connaît par quelques textes la pensée de son disciple Démocrite, un contemporain de Socrate. L'atomisme fut repris et développé par Épicure (341-271), puis, au premier siècle avant J.-C., il s'introduisit à Rome, où Lucrèce (97-55) lui consacra son grand poème, le De rerum natura.
- Exemples en biologie
- En génétique
Hugo de Vries expose sommairement l'ensemble des recherches qu'il poursuit depuis plusieurs années sur la transmission 'des caractères chez diverses plantes (Datura, Lychnis, Œnothère, Solanum, Papaver, Viola, Zea, etc.). Ayant croisé entre elles des variétés différentes de ces végétaux, il a constaté que les caractères des formes parentes se transmettent à la descendance suivant des règles très simples, qui ne se peuvent expliquer qu'au moyen de certaines hypothèses. Tout se passe comme si chaque caractère correspondait à une forme particulière de facteur matériel (trâger). Ces facteurs déterminateurs de caractères sont indépendants les uns des autres, puisque, dans leur transmission, ils peuvent se séparer, se « ségréger ». De Vries voit dans ces résultats expérimentaux une confirmation de sa théorie particulaire des pangènes, théorie qui avait d'ailleurs été l'inspiratrice de ses recherches.
- L'atomisme et la théorie cellulaire
la théorie cellulaire, non moins que la théorie fibrillaire de Haller, que la théorie des molécules organiques de Buffon, ou que les différentes théories granulaires sur la constitution morphologique des êtres vivants qui se succèdent au 18e et 19e siècles (pour ne prendre que des exemples de théories biologiques de l’époque moderne) participent du « paradigme atomiste » en biologie, puisque aussi bien elles postulent toutes la nature composée du tout vivant, sa division en parties élémentaires irréductibles. – Mais toutes ces théories ne sont pas, loin de là, associationnistes (au vrai, seule la doctrine buffonienne des molécules organiques peut être dite telle). L’associationnisme implique en outre que le tout est un produit de l’association des parties, donc que les parties existaient à l’état séparé préalablement à leur association en tout, que l’existence du tout est postérieure à celle de ses parties : « La vie de l’animal ou du végétal, dit ainsi Buffon, ne paraît être que le résultat de toutes les actions, de toutes les petites vies particulières [...] de chacune de ces molécules actives dont la vie est primitive et paraît ne pouvoir être détruite. [...] Il n’est donc pas difficile de concevoir que, quand un certain nombre de ces molécules sont réunies, elles forment un être vivant 72 » . Une des implications essentielle de l’associationnisme est donc celle-ci, qui touche à la question de l’individualité : une conception de l’être vivant comme association de parties primitivement séparées est pour le moins difficilement compatible avec l’idée selon laquelle le tout constitue un individu : l’individualité peut se dire des parties, non du tout, quand bien même l’association, loin d’être une coopération réfléchie et voulue par les individus participants, comme c’est le cas pour Buffon s’agissant des sociétés animales et a fortiori des organismes complexes 73 , résulte de causes toutes mécaniques. Bref, l’associationnisme n’est qu’une des spécifications, parmi d’autres possibles, de la conception atomiste sous le rapport des statuts respectifs, plus précisément sous le rapport de la position chronologique et logique respective (pour autant que le caractère d’individualité est un signe de supériorité logique pour son sujet d’attribution) du tout et des parties.
La théorie cellulaire n’est donc qu’un cas particulier d’atomisme en biologie, comme la théorie des molécules organiques, de même genre qu’elle mais d’espèce différente dans la mesure où elle n’implique, contrairement à cette dernière, aucune espèce d’adhésion à la thèse associationniste, conception selon laquelle l’existence séparée des individus est le fait primitif, la constitution de l’organisme le fait second.
Questions possibles
- Comment expliquer la relation mécanisme-atomisme ?
- Quelles sont les différences entre cartésiens et atomistes ?
- Quels exemples trouve t-on pour l'application de ces courants de pensée en biologie ?
- Quels exemples illustrant l'antagonisme entre ces deux courants ?
- Sur quel point s'accordent les atomistes et les cartésiens ?
- Les penseurs grecs, comment ont il forgé la notion d'atome avant la naissance de la théorie atomique ?
- Quelles conceptions adoptées par les mécanistes et les atomistes vis à vis le vide ?
Bibliographie
Pour citer cette page: (- Atomisme)
ABROUGUI, M & al, 2020. Mécanisme - Atomisme. In Didaquest [en ligne]. <http:www.didaquest.org/wiki/M%C3%A9canisme_-_Atomisme>, consulté le 22, décembre, 2024
- G. Canguilhem : « La théorie cellulaire »
- Esquisse d'une histoire de l'atomisme en biologie Jean Rostand
- ROUX, Sophie. La “philosophie mécanique” de Boyle In : L’atomisme aux XVIIe et XVIIIe siècles
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